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J’ai dit déjà qu’à mon goût, qui ne vaut rien de plus que celui d’un autre, Olivier Deschizeaux était l’un des plus purs poètes d’aujourd’hui. Les hiérarchies n’ont heureusement pas grand sens, toutefois on peut avoir cœur d’insister à certains moments sur certains points, quand le sentiment est trop fort.
À ce niveau de profondeur visionnaire, être moderne ou contemporain ne signifie rien, pas plus qu’être novateur ou pas, et si son nom demeure ignoré des lecteurs officiels ou auto-institués (on pourrait y voir un signe favorable) il n’en est pas moins, pour qui le lit, un compagnon essentiel. À tout être sensible et exigeant que les heurts de la vie jettent si volontiers dans le désarroi de l’angoisse, il parle doucement et sans tricher. C’est en effet un baume que cette poésie de l’âme, qui calme si bien la douleur, à la façon de certaines musiques chantées sorties de vitraux ou de cryptes.
Cette année, dans un petit volume (si bien imprimé, fabriqué par Christine Brisset-Le Mauve, des éditions L’Arbre) que Deschizeaux nous donne à lire, deux textes surgissants et lumineux, d’une simplicité confondante, que seul un être habité peut mettre à jour, Et puis un soir n’est en effet rien d’autre qu’un livret admirable et utile.
Livre de consolation ou de révélation, il récompense comme une eau fraîche, sans mentir. Les forces de vie et de mort sont ici, comme l’infini qui ne cesse de commencer. En témoin-rapporteur, Olivier Deschizeaux écrit comme il voit, pour éclairer peut-être, en tous les cas réconforter les âmes affaiblis.
Mais je reprends plutôt deux extraits (le tout début, puis plus loin) du premier texte qui parleront bien mieux que je ne puis le faire, et vous jugerez sur pièces. Puis un extrait du second texte (Un pays natal).
Et j’adresse en passant à Olivier Deschizeaux un salut fraternel et aussi doux que je le puis.
« Je revins dans la nuit.
Et les visions d’une génération se mirent à rouler en bas des robes et des montagnes.
Les fils de juillet portaient le soleil en d’autres solitudes.
Les crânes échevelés ne se cognaient plus dans la grande fugue mais contre un roc de mille ans.
Florides aux peurs animales fleurissent les nuées.
La Californie qui pansait ses femmes devient l’arme des arches pluvieuses.
L’invention du rêve se fit au nom d’une révolution sans fougère ni guéridon seul le bleu du ciel fut l’étincelle d’un monde déjà à l’agonie entre les mains des chérubins.
La mort galvanisait le sceau de l’infamie et l’âme avait le goût des larmes.
Tigres et lions arrachés au raz des lunes sentinelles vagabondes et soleils d’un minuit moribond vont et viennent les orgues sauvages. »
* * *
« Et l’homme fou de célébrer les Ténèbres…
Ténèbres, les yeux de ma mère absente,
Ténèbres, la vie qui s’en va sans bruit le monde qui s’enfuit s’évanouit dans la nuit légère incertaine ?
Ténèbres, la pluie qui glisse en moi sous mes rayons sous-marins,
Ténèbres, les larmes d’autrefois,
Ténèbres, ma foi en ce qui reste de toi comme le vent qu’on encage dans les profondeurs d’un château où seuls les rats jouissent du royaume,
Ténèbres, mon passé qui aboie,
Ténèbres, ma solitude mon humanité mon ancre tardive,
Ténèbres, ma joie de vivre,
Ténèbres, comme une perche que l’on tend au corbeau,
Ténèbres, mon esprit sous les voiles de lunes humides,
Ténèbres, mon corps laid épais tortures des pensées les plus viles ?
Ténèbres, ces golems qui rongent une philosophie faciale et le hangar de mes regrets ces golems qui saupoudrent ma honte d’une misère à l’envers du ciel,
Ténèbres, enfin cette route qui ne mène nulle part depuis le berceau jusqu’au ventre de terre. »
* * *
« …
ma vie ressemblait à des violons encerclés de cercueils,
la lumière des oliviers puisait sa foi en des mélancolies absurdes,
puis le vent souffla sur les remparts de ton corps, et l’ombre se jeta en ruban de dentelles sur les lèvres immaculées de nos murailles,
j’écrivais mon premier poème à la grandeur de ta flamme qui dansait et se cabrait comme les ancolies du soir,
… »
*
Olivier Deschizeaux, Et puis un soir, édition l’Arbre, 2021.
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