
Agrandissement : Illustration 1

J’aime que les mots soient ceux de quelqu’un
qui prononce l’éternel mystère
J’aime un silence qui donne rendez-vous.
Pourquoi écrivez-vous ? Pourquoi pas ? 1
Pour que le livre d’un auteur devienne celui du lecteur il ne faut surtout pas qu’il se sépare de lui-même. Plus il est personnel plus il touchera celui qu’il doit toucher, à condition que le hasard ou son reflet s’en mêle. Le texte prend son autonomie d’autant mieux qu’il est assumé, signé des deux mains, cœur compris.
C’est un livre de ce genre que propose Patrick Laupin, poète-écrivain chevronné quoique trop peu public. Un livre qui déroule dans une forme linéaire et ramassée la geste d’un homme débitée en vers arbitraires et réguliers, faite d’essentiels rapports débarrassés de fioritures. « On ne peut expliquer ça à personne. Mort et fou par / procuration c’est la solitude de la faille inspiration. » 2
« ...Et puis il y a cette prière obscure du sens de la vie
Le vif argent des ormeaux et le blanc torrent des remords » 3
Ce que Patrick Laupin nous offre, c’est le livre d’un poète existentiel, qui se frotte chair contre chair à ce qui se présente : passé, présent, infini. C’est un retour contre soi (rappel d’un titre d’Yves Martin) que cette série de textes-miroirs, l’auteur s’y confie en confiant sa vision-parlée, mais la voix est ici pourtant riche de beaucoup d’autres. C’est lui qui se fait parole, mais parfois avec la bouche d’un vis-à-vis, et aussi bien, selon le jour et l’endroit, évoquant le philosophe Adorno que jactant la langue manouche, même si la plupart d’entre nous autres n’en pannent fifre 4. Des fragments de mémoire, bien sûr, des lambeaux bien vivants et déroulés d’un trait continu, comme dans un récit surgissant. Aucun hermétisme dans la forme, il faut tout attraper, ce sont toujours les facettes d’un même. Quelqu’un s’adresse à nous à voix haute, familièrement, comme à la veillée, et le propos nous emmène à travers – j’insiste trop, peut-être – de multiples personnes, on ne sait trop si c’est un je qui s’exprime ou si c’est un autre à travers lui ; raccordant les divers singuliers, car la poésie se fait volontiers reliance.
« Je me sens païen, agnostique, encore qu’enfant je songeais
longuement à l’échec de Jésus. Mais je penche pour un
athéisme logique de la pluie. Si je crois en Dieu ? Je ne sais pas
Mais quand j’écris je ressens physiquement qu’en dessous du
verbe il y a autre chose. Un sacré, du divin peut-être, en tous
les cas, qui m’ont maintes fois prouvé la fêlure et la faille des
chimères sociales, et des ordonnances de l’incroyance. Entre
l’autorité de l’hésitation et l’autorité de la fulgurance, j’écris
sous dictée. […] » 5
Que des textes apparaissent ça et là, c’est un épiphénomène, la vraie question serait de savoir pourquoi des gens ont besoin d’écrire, en quoi vivre ne suffit pas. Pour Patrick Laupin : « le mystère n’est pas dans la littérature, il est dans celles / et ceux qui écrivent. » 6
Bloc astral la poésie ce devrait être de grands hymnes
de vers réguliers qui tombent chapelles ou calvaires sous la
pluie. Ce que devrait être la poésie si elle était digne de ce
qu’elle doit être. Ou sinon rien du tout. 7
Faut-il appeler démocratique une telle écriture ? Sans doute. D’autant plus si l’on sait combien Patrick Laupin a porté les mots indépendamment de son propre langage, partageant sa force de dire, l’inspirant et la répercutant. On se souvient ainsi de son Alphabet des oubliés (voir l’article de Patrice Beray). En cela poète dans la cité, dans la communauté humaine, il est acteur et actif au sein des images et des questions qu’il communique.
La poésie d’aujourd’hui est d’une diversité incroyable, les caporaux sectaires des avant-gardes auto-proclamées, confites d’originaux convaincus et de penseurs circonstanciels, paraissent fatigués d’eux-mêmes, ou est-ce qu’on les oublie tout simplement ? Au contraire, nombre de livres surgissent qui ne craignent pas de s’adresser aux autres. Patrick Laupin en est parfois l’auteur, un de ceux qui fraternisent, et avec quelle exigence ! J’aimerais l’entendre lire les vers libres et rythmés qu’il pose sur la page, comme dans une improvisation inlassable et inspirée.
« […]
Je quitte un nord. Je pars vers un sud. J’écris je lis toute une
nuit, précaire abri. Je veux de l’amour et je n’en veux pas
Je sais mal qui me suis à la trace. […] (p. 22)
notes :
1) p. 87.
2) p. 22.
3) p. 89.
4) n’y comprennent rien.
5) p. 96.
6) p. 23.
7) p. 60.