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Billet de blog 27 août 2015

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Lettre ouverte à un directeur de l'ARS sur le départ

Jean-Claude Moog

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Monsieur Laurent Habert

Directeur général de l’ARS.

ARS Alsace - site de Strasbourg
Cité administrative Gaujot
14, rue du Maréchal Juin
67 084 Strasbourg

Benfeld, le 2 aout 2015

Monsieur

J’ai appris que vous alliez quitter l’Alsace après y avoir exercé vos fonctions pendant quelques années.

Avant votre départ, je tiens à vous expliquer l’effet de vos actions sur un citoyen parmi d’autres.

Un an après une longue période d’hospitalisation, pour des affections qui ont failli me couter la vie, je souhaite vous préciser votre responsabilité dans les problèmes de santé qui ont failli m’emporter.

Bien sûr, bien d’autres patients ne peuvent pas avoir cette chance, vous ne connaissez ni leur nom, n’avez jamais vu leur visage ni participé à leurs funérailles.

Lors des premières consultations, qui ont précédé le diagnostic de lymphome qui a été établi, j’ai pu constater l’importante charge de travail, voire la surcharge de travail des personnels hospitaliers. Cette surcharge de travail s’est ensuite avérée lorsque mon hospitalisation s’est prolongée.

Elle génère des accidents en cours de traitement, comme la première infection de type nosocomiale qui m’a affectée.

Ensuite, j’ai subi une infection majeure, liée à la première infection et à la fragilité qu’induit le traitement chimio thérapeutique qui m’a été administré. Là encore, cette affection a été aggravée par les politiques de restriction budgétaires que vous vous employez à mettre en œuvre.

Pour prévenir tout risque, les services hospitaliers auraient pu m’accueillir dès les premières alertes. Mais ils m’ont renvoyé, un samedi matin, vers mon médecin traitant, absent, puis vers un coordonnateur des urgences, qui m’a indiqué pour seul réponse le conseil de prendre des Dolipranes pour faire baisser la fièvre qui s’installait. Je lui avais pourtant très clairement expliqué le traitement en cours et les risques potentiels. Mais, au vu des politiques d’économie que vous faites  appliquer, il n’avait peut-être aucun confrère disponible, ou a préféré minorer les couts immédiats. De ce fait, mon état a empiré, conduisant à rappeler un médecin le lendemain. Le coordonnateur du jour a accepté de le dépêcher car, dans la discussion, mon épouse a certifié m’emmener elle-même aux urgences en cas d’absence de soins immédiats. Le médecin qui m’a ausculté m’a immédiatement fait transférer à l’hôpital par ambulance.  Mais du fait du retard de prise en charge, l’infection a dégénéré, la forte fièvre qu’elle a engendré a failli me tuer. Les arythmies qu’elle a provoquées ont déclenché un AVC, et l’infection a bloqué mes reins.

Au final, j’ai survécu grâce à l’acharnement des équipes médicales, à leurs compétences et leur engagement. Mais il a fallu trois semaines de réanimation, trois semaines de soins intensifs, deux semaines de réadaptation fonctionnelles, la poursuite de dialyses 3 fois par semaines pendant 5 mois pour me sauver la vie, alors même que de bonnes conditions de travail à l’hôpital,  des soins rapides pouvaient éviter cette dérive et les surcouts qu’elle a entrainés.

De plus, les séquelles de cet épisode mon compliquent la vie, la fragilisent et nécessitent une médication pérenne, à l’impact financier important.

Je pense important de préciser votre responsabilité, pour vous et tous les administrés concernés par vos agissements.

En effet, vous induisez, par les prévisions de réduction des dépenses que vous imposez, les réductions de moyens correspondantes. Vous mettez ensuite en œuvre les prescriptions légales induites par vos exigences. Vous « rabotez » les dépenses des organismes de santé sous votre tutelle avec application. Il vous suffit de refuser de prendre en compte l’inflation et l’évolution conventionnelle des salaires pour que chaque année les budgets soient amputés de plus d’un pour cent, amputant ainsi chaque établissement de 10% de ses moyens en moins de 10 ans. Ce qui représente, depuis que vous dirigez l’ARS de cette région, la perte de la rémunération de près d’un soignant sur 10… et l’absence de soins correspondante.

La politique de restriction budgétaire que vous appliquez avec zèle à l’encontre des patients génère des dérapages et des surcouts indéniables, alors même que vous êtes dans la croyance de les éviter.

Elle provoque des risques vitaux pour eux, l’angoisse et la déstabilisation de leurs familles, des conséquences physiques et psychologiques pour tous.

Vous êtes, en tant que fonctionnaire zélé appliquent des directives économiquement ineptes,  un participant important à la dégradation de l’état de santé des citoyens que vous devriez servir, et de l’état du système de soins qui doit assurer leur vie et leur bien-être.

Votre zèle à restreindre les dépenses vous amène-t-il, le matin en vous rendant à votre bureau, à évaluer les angoisses des familles touchées par vos agissements, l’épuisement des soignants qui luttent pour éviter l’aggravation des pathologies qu’implique la politique que vous ordonnez, plutôt qu’à évaluer les montants des restrictions ? Ou vous pousse-t-il à si drastiquement réduire les dépenses que les soins en pâtissent jusqu’à ce que mort s’en suive?

Je peux vous écrire ce courrier car j’ai, étonnamment, survécu à cette politique. Si vous ne saurez vous intéresser au nombre de morts qu’elle a pu causer, vous continuerez froidement, technocratiquement, à appliquer ces consignes de réduction des coûts qui vous permettront peut-être de mener à son terme votre plan de carrière, quoi qu’il en coute à tous ceux qui subissent vos décisions,  l’exercice de votre « responsabilité » et de votre servilité.

En vous souhaitant bonne lecture de la présente, je vous prie d’agréer mes salutations les moins respectueuses possibles.

Jean-Claude Moog

Copie au ministre de la Santé, à la présidence de la République, à tous les organes de presse et d’information qui voudront bien la diffuser.

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