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Billet de blog 18 novembre 2010

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Vivre à gauche aujourd'hui

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'intitulé du débat en pose le cadre: non la discussion d’une vague idée, être ou se dire de gauche, mais plutôt vivre ses convictions; avant d'entrer plus avant dans ce débat, il convient tout d'abord d'en définir les termes et le contexte historique, politique, culturel, social dans lequel nous l'abordons.
Différents gouvernements dits « de gauche » se sont succédés en Europe: ils ont surtout déçu leurs électeurs, principalement ceux des milieux populaires, qui constituent désormais l'essentiel des abstentionnistes; pour eux, les repères sont perdus, les cartes brouillées. Parallèlement à cette désaffection pour les urnes, nous assistons à un renouveau du mouvement social, lequel appelle à une rupture claire avec les politiques libérales qu'une soi-disant gauche a renoncé à combattre.
Par ailleurs le contexte culturel ne favorise guère la diffusion d'une pensée radicalement anti-libérale lorsque les journalistes vraiment indépendants subissent de violentes attaques et que les grands médias, liés aux partis politiques de droite, contraignent les véritables opposants à la confidentialité. Dans un paysage audio-visuel où priment la course à l'audimat et aux parts de marché, leur liberté d'expression est certes reconnue, mais leurs interventions reléguées hors des heures de grande diffusion, réservées quant à elles au divertissement et au débat consensuel. Difficile aussi de porter des idées rompant avec une pensée ou plutôt une non-pensée formatée, dès lors que les produits culturels remplacent de plus en plus la culture.
L'intitulé « Vivre à Gauche » laisse également plusieurs questions en suspens: en effet, de qui parle-t-on? Mettre en pratique ses convictions prendra en effet un sens différent pour un dirigeant politique, un élu, un militant ou un simple citoyen, surtout si ses conditions de vie posent tout simplement des limites à cette idée. Et s'il ne s'agissait pas d'un choix individuel mais plutôt du devoir incombant à la gauche: créer les conditions collectives pour l'émancipation de chacun?
Entrons dans le vif du sujet et définissons d’abord “à priori” l'idée de « Vivre à Gauche » comme la mise en pratique des principes au quotidien: dans le contexte actuel, elle impliquerait un engagement citoyen, la participation aux mouvements d'opposition à la politique gouvernementale, de l'expulsion des Roms à la réforme des retraites. L'idée suppose aussi de limiter son empreinte écologique en préférant par exemple les transports non polluants à son véhicule personnel. Elle influe également sur la pratique professionnelle: des enseignants s'opposent à l'expulsion d'élèves sans papiers, d'autres ou les mêmes entrent en désobéissance pédagogique contre des réformes portant atteinte au sens de leur métier tandis qu' à EDF, les Robin des Bois rétablissent l'électricité chez des familles qui en sont privées, faute de pouvoir payer leurs factures.
De la même façon, un consommateur vivant à gauche s'abstiendrait d'acheter des produits importés de pays non respectueux des Droits de l'Homme ou fabriqués de façon non équitable.
A ce choix politique s'ajouterait une vigilance linguistique permanente, un effort constant pour éviter le piège de la novlangue, qui enferme la pensée dans le dogme libéral: en effet, quelles régressions n'ont pas été imposées au nom des mots « modernité », « autonomie », « flexibilité », « liberté » de choix? (école, mutuelle, opérateur téléphonique ...)
Les principes citoyens s'appliquant logiquement à la sphère privée, ils se traduiraient aussi par un partage équitable des tâches ménagères et l'absence de toute violence conjugale ou familiale. « Vivre à Gauche » dans un monde organisé, dirigé par ceux qui pensent et vivent à droite revient donc à mener un combat de chaque instant.
Cet idéal s'avère toutefois hors d'atteinte pour la majorité, principalement pour ceux qui souffrent le plus du modèle dominant. Reprenons pour exemple la réforme des retraites: seule une grève générale reconduite pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines aurait pu contraindre le gouvernement à retirer son texte; or un tel sacrifice financier représentait un effort insoutenable pour une majorité de salariés vivant de plus dans la crainte du lendemain, dans l'angoisse de perdre leur emploi.
Paradoxe linguistique, la flexibilité casse les résistances: dans Le Quai de Ouistreham, Florence Aubenas raconte le quotidien d'hommes et de femmes qui tous vivent d'emplois précaires et n'imaginent pas d'avenir meilleur. Comment s'engager durablement dans une association, un syndicat, un parti politique lorsqu'on pense avant tout, ses heures de ménages sur le ferry achevées (on ne parle plus de travail, mais d'heures dans ces conditions, chacun sa novlangue) à se rendre au camping pour en effectuer d'autres, avant celles du soir dans les bureaux, après la sortie des employés, avant encore celles du matin au laboratoire d'analyes médicales? Comment mettre de ses convictions philosophiques ou politiques dans son travail si l'on n' a aucun droit, aucune autonomie et que l'on subit la surveillance permanente des « garde-chiourmes »? Lorsqu'on envie les ouvriers payés au SMIC, seul le prix détermine le choix d'un article dans un magasin; les victimes de l'injustice sociale ne peuvent se permettre d'acheter équitable. A quoi bon réfléchir au sens des mots qui font le quotidien? Le piège semble déjà refermé pour ces salariés, et pas seulement dans la pensée.
Après des décennies de luttes victorieuses dans le domaine du travail, de la protection sociale, des libertés individuelles, a-t-on le roit de renoncer à toute avancée? Ni « Madame Tina »1 , ni ses disciples ne méritent ce cadeau.
« Vivre à Gauche »: et si ce n'était pas un choix individuel, mais collectif et politique? La responsabilité de la gauche lorsqu'elle retournera au gouvernement; elle a certes déçu ses électeurs par le passé, y compris ceux du deuxième tour, qui bon gré mal gré, avaient choisi en toute conscience et sans illusion ... le moindre mal. Regagner leur confiance et redonner son sens à l'expression: voilà son devoir pour maintenant, pas demain, après-demain, ni plus tard encore. L'angoisse du lendemain, du salaire trop bas et du loyer trop élevé, celle de ne pouvoir s'offrir les soins médicaux indispensables mais non remboursés, la souffrance au travail qu'on craint pourtant de perdre relèvent d'une atteinte aux Droits de l'Homme. Il y a urgence, il y a devoir d'ingérence.
Pour se montrer à la hauteur en menant la politique appropriée après son retour au pouvoir a Gauche, pour l’instant dans l’opposition, doit en premier lieu déjouer le piège de la novlangue. Qu’elle ose enfin lever le voile, nommer les politiques libérales pour ce qu'elles sont; elle fera ainsi apparaître clairement l'alternative. En effet, la prétendue ouverture sur un monde global et dérégulé est un leurre, rien d'autre en fait sinon un enfermement, une séquestration dans une logique de régression sociale; point de souplesse ni d'autonomie, juste l'impitoyable loi du marché. La modernité? Un recul de deux ou trois cents ans, rien d'autre. Alors vivons à Gauche, parlons à gauche: « Seule la vérité est révolutionnaire » disait Gramsci; respectons donc son enseignement et commençons par nommer la situation, par décrire la réalité avec les mots justes. Bas les masques; prenons la parole, cessons de communiquer.
Une machine à broyer l'humain est en marche depuis bientôt trente ans; face à elle, la gauche n'a qu'un seul devoir: en prendre le contrôle, l'arrêter et rendre ainsi toute son actualité, sa modernité à la formule de Karl Marx: « De chacun ses possibilités à chacun selon ses besoins », ses envies, ajoutera-t-on.
Le débat proposé par Médiapart parle d'espoir et d'avenir; il s'agit de tourner une page de l'Histoire, rien de moins. « Vivre à Gauche » ne se limite pas à glisser un bulletin de vote dans une urne, car vivre ne signifie pas déléguer, mais pouvoir laisser ses convictions rayonner au travers ses actes quotidiens, ses engagements, sa vie professionnelle ou privée. De toute évidence, les conditions de vie actuelles rendent cela impossible à nombre d'entre nous, et voilà précisément où la gauche est attendue: d'abord bien sûr dans sa capacité à émanciper chacun des limites qu'impose la satisfaction des besoins essentiels, mais ce faisant, en changeant le rapport à l'existence. L'activité professionnelle doit cesser d'être une contrainte et reprendre tout son sens et redevenir l'oeuvre de chacun pour l'intérêt collectif; elle doit aussi libérer du temps pour le repos, les proches, pour l'engagement citoyen et les pratiques artistiques. « Vivre à Gauche » ne se résume donc pas à un simple changement de majorité parlementaire; c'est aussi une émancipation des esprits et en cela une révolution culturelle mais cette fois sans aucune dictature: ni celle d’un parti, ni celle des marchés.

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