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Par une nuit de printemps, un homme, sanglé par la solitude, invoque la chair aimée à travers une petite robe : « Un matin, j’ai ouvert toutes les portes de la maison et j’ai invité le nuage le plus animal à entrer. Puis j’ai décroché ta petite robe noire de son cintre de bois clair dans l’armoire cirée où dorment encore toutes tes enveloppes. » Sous leur toit désormais vide où son âme erre esseulée, il rallume les souvenirs au détail près et invente de nouveaux rêves avec le fantôme de cette femme morte, jusqu’à reconstituer par le fil d’un simple tissu toute une présence humaine. C’est à peu près le fil rouge tenu par Dominique Sampiero dans son recueil de poèmes Où vont les robes la nuit (la Boucherie littéraire, 2018), qu’on peut prendre, à juste titre, pour un court récit.
Ce livre, avec sa structure de prose dispersée en vers à la fin, peut s’appréhender comme métaphore de cette voix en voyage « vers un point désigné/ par des murmures sans visage ». Celle-ci déplie timidement son fracas : « Tous les ans au printemps, j’ai peur de mourir. Et je ne meurs pas. » Puis chemine vers un ciel large où elle s’invite à exploser, pour mieux dévoiler ses lambeaux : « je me suis déchiré dans tes étoffes ». Dentelle sous l’orage, chaque tournure restitue l’architecture précise de la parole intérieure. Sans doute le poète travaille avec ses muscles, articule les mots d’après la respiration de sa chair, puisqu’ici l’écriture investit le corps en danger dans les régions du manque, s’imprime dans sa danse tourmentée, se fait écho de chaque mouvement, suit chacun des gestes, cousus à la manière de quelque rituel, qui nourrissent ce bref monologue : « Mon souffle a défait une à une les boucles de tes cheveux. »

Le poète parvient étrangement à adresser un requiem sans gravir le seuil de la tristesse, on le sent au contraire charpenter une vie où les corps sont « réchauffés par le désir de ne faire qu’un », on le surprend fasciné par ce monde qu’il crée lui-même avec la petite robe noire, testament de l’aimée disparue, et ressuscitée ici dans des images efficaces comme des allumettes : « Ta nudité est restée dans la maison et j’y brûle mes mains à écrire des promesses sans queue ni tête. » Pour sentir le pouls de cette lettre poétique (curieusement datée du 14 février) qui s’épuise après une ombre, pour grimper cette colline où luit l’absence, il faut s’imaginer ferraille dans le chantier fermé, pierre dans la savane, arbre nu dans la nuit hivernale. Plus qu’un chant mutant solitaire sous les draps, ce recueil est à la vérité une prière secrète, un long murmure – pas une plainte. Des robes, il garde le potentiel de valse dans le vent tendre ; de la nuit, il tire la levée patiente des étoiles.
Au-delà de cette plongée dans les soubassements d’un vide que l’absence impose – à la base objet du livre –, Dominique Sampiero dresse, avec les poutres du silence, un édifice où le poème affûte la distance mieux qu’il la décrit, où le verbe s’attèle à relier clandestinement deux êtres, recomposant une entité initialement morcelée par le plus immense des fossés.
Jean D’Amérique
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Dominique SAMPIERO, Où vont les robes la nuit, La Boucherie Littéraire, 2018
70 pages | collection Sur le billot | 12 euros