Jean D'Amérique (avatar)

Jean D'Amérique

Écrivain

Abonné·e de Mediapart

6 Billets

0 Édition

Billet de blog 24 avril 2018

Jean D'Amérique (avatar)

Jean D'Amérique

Écrivain

Abonné·e de Mediapart

Sous les bâches du poème

Jean D'Amérique, poète et « vagabond solaire », livre ici un chant manifestement humain, tissé par une poésie lumineuse. Il s'attaque à la froideur de l'Europe et plaide pour un éternel « printemps des poètes ».

Jean D'Amérique (avatar)

Jean D'Amérique

Écrivain

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Le poète Jean D'Amérique © Loque Urbaine

Appel. Aux sans-abris. Locataires d’une terre où pleuvent pièces d’un monde cassé, mal tourné, un souffle haché qui tombe, mal parti dans la bulle humaine. Laide pluie. Aux sans-abris appel d’offre, une case infinie, débordant de multiples autres une brèche. Aux sans-abris urgent message : sous les bâches du poème, un refuge. Fait maison bien sûr, et pas fabriqué à la chaîne puisqu’à vocation de libérer au lieu d’emprisonner…

Une idée ?

Au faîte des ombres, une luciole prend nom, civil ou peut-être guerrier car elle avance mitrailleuse en main vers la chair usée du langage. Aussi dans la fleur qui s’ouvre, dans l’arbre qui pousse, dans la chanson des rivières, les épices du sourire, le clair cantique du feuillage, dans le souffle dressé de la foule en colère, dans la pierre en voyage vers la vitre, elle se révèle.

Sur la colline, debout un poing brille, fête : il a dévoré tout visage où s’abstiennent vœux de beauté. Étoile pour recoudre le ciel déchiré de l’être, oui. Espoir paré de rage lumineuse face aux « assassins d’aube »*, oui. Activité humaine, fondamentalement humaine, oui. Soleil découpant murs et barbelés, oui. Aussi cette langue qui puisse raconter la poussière, restituer la boue sans renoncer à son auréole, voir la fougue d'une fontaine déchirée qui traverse un visage, convoquer des mots à l'écoute du sable et des vagues au seuil des étés, conter nuit, nuages et tempête, et surtout qui puisse ébaucher des fenêtres d'espérance, dire au monde, à l’humanité blessée, que le fleuve ardent du rêve ne tombera pas à l'eau. Poésie. Oui. Une nouvelle court d’ailleurs à propos, essentielle, un feu d’espérance démesurément vivant qu’amorce Jean-Pierre Siméon et qu’il faut un jour, une nuit ou l’autre inviter dans notre forêt intérieure, dans nos bois les plus lointains : « la poésie sauvera le monde ». Qui veut couvrir ce soleil se convie aux funérailles du jour nouveau, celui qui manque terriblement à la saison humaine, l’indispensable volonté de lumière, l’ultime rêve dont devra s’armer l’œil du monde qui aspire à l’imbattable empire de la tendresse.

Veine humaine

Pas d’imposture. On ne fait pas poème pour la poésie, celle entendue comme seule l’est à la vérité sa coquille : l’idée d’un atelier d’images arrêtées au baiser des mots. L'espace du poème se donne au grand large, c’est peut-être le plus libre des élans de résonance humaine, on ne saurait le réduire à l'étroitesse d'une encre et d'un bout de papier. Il faudrait y voir l’adresse organique et chaude d’une poignée de main, l’heureuse incandescence éprouvée au contact du monde de l’autre, l'infroissable cri d'amour qui se déploie entre les cœurs, la tendresse des lauriers qui imprègne nos regards, l'étendue d'une bonté signée entre le chant simple du vent et l'hospitalité des collines. Il faudrait y voir cette parole de main vierge qui sans faille conte nos caresses. Il faudrait y voir beauté, cette belle révolte qui nous appelle inlassablement.

Ces derniers temps on dit qu’il faut faire roman, comme si la poésie, que de tristes regards supposent fermée dans sa petite tour, n’y voyait que dalle. Et pourtant ! Il faudrait se demander à quelle source boit cette littérature à vendre... Par-là se lit un désir vain de couler dans le vide la voix si juste de Sony Labou Tansi : « on n’est écrivain qu’à condition d’être poète ». Et le marché ne veut pas écouter, détraque silence, tisse un vacarme inédit pour effacer des vitrines le sel nécessaire de la langue humaine : la poésie ne se vend pas. Mais qui saurait l’acheter ? Qui porte un poème signe l’enfance de l’insurrection.

Il s’agit d’une question de vie et de mort. Ou plutôt d’une question de mort et d’une réponse de vie : « je ne réussis pas à en mourir » réplique l’être comblé de James Noël à la question de savoir si un poète arrive à vivre de la poésie. Et ce n’est pas qu’à vivre qu’elle nous aide, rassure le poète-vitrier, « pourvoyeur de vérités brisées » qui guette avec les « poings chauffés à blanc », la sombre face du monde : « La poésie, (…) bien sûr celle qui secoue, celle qui provoque des séismes chez l’être, cette poésie-là peut améliorer la vie. »

C’est un immense paradoxe que nous ne faisons pas foule après la poésie, sa politique est pourtant jusque-là plus pertinente que ces milliers d’organisations, gouvernementales ou non, qui prétendent à l’action humanitaire : la poésie est une organisation de mots de partout, reconnue par l’état du monde.

État d’urgence. Printemps des poètes

C’est répéter de dire que le monde saigne trop fortement, telle cette oreille sous le verbe de Gims. Dans l’air sommeille un fleuve d’oiseaux blessés. Passage coagulé, pollen froissé sous les cailloux d’une époque pressée de verrouiller cœurs. Mélodie étouffée par un temps fortuné de briques, pure enfance des frontières. Bombes d’inerties qui fourmillent dans nos corps, jusqu’à fleurir le plus féroce battement de l’horloge. N’est-il pas temps d’appeler au secours ? Ne faudra-t-il pas mettre en œuvre quelque état d’urgence ?

Voici l’aurore qui nous ouvre grand ses entrailles pour asile, s’offre pour éditer nos visions en extrayant siècles de ténèbres mis au point par notre mépris du verbe. Voici à l’horizon un souffle voué à renouveler nos voix, soigner nos êtres. Sous les bâches du poème, un refuge. Nombreux sont les esprits qui lui tournent le dos, comme s’il était possible de faire bonne route sans. « Avoir rendez-vous avec le poème, voilà la plus sûre des boussoles », souffle d’ailleurs Sophie Nauleau. Un cycle interminable d’espoir s’offre, un rivage où l’élégance des fleurs est à l’ouvrage. Léopold Sédar Senghor nous met en garde : « La poésie ne doit pas périr. Car alors, où serait l’espoir du monde ? »

Sous les bâches du poème, un refuge.

Il y a vraiment urgence. Il y a urgence quand une saison sauvage veut imposer sa dictature, urgence quand il neige sans répit sur le torse nu de l’humanité. Certain que s’avère nécessaire un éternel « printemps des poètes », car c’est l’hiver, long et têtu au corps des rêves. C’est l’hiver mon frère, c’est l’hiver mon amie. Regarde, si froid est le paysage de l’Europe, les soleils surgis du Sud peuvent te raconter, ils sont incapables de s’y intégrer. Ça neige au nord de la vie. Ah, mais que c’est froid l’Europe, invivable pour ces fièvres de « pays tiers » qui souhaitent embrasser le monde entier. C’est l’hiver, il faudra sauver sa peau. Il faudra sauver ces chants bleus gardés sous silence, potenciels humains qu’on laisse affronter les nuits à la belle étoile.

Sous les bâches du poème, un refuge.

Jean D'Amérique


Références :

  • Sophie NAULEAU, La poésie à l’épreuve de soi (Actes Sud, 2018)
  • Jean-Pierre SIMÉON, La poésie sauvera le monde (Le Passeur, 2015)
  • James NOËL, Des poings chauffés à blanc (Bruno Doucey, 2010)
  • *Aimé CÉSAIRE, Cadastre suivi de Moi, laminaire… (Points Seuil, 2006)
  • Léopold Sédar SENGHOR, Éthiopiques (Seuil, 1956)

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.