Tu te souviens. Il y avait les vagues en formation qui mangeaient
lentement les planches comme une sorte de déglutition sinistre. Il y avait le
vent qui fouettait vos visages, embrouillait vos chevelures. Il y avait lui.
Tu t’en étais entiché parce qu’il disait « biscuit » plutôt que « gâteau » et
toutes formes de ces préciosités qui finissaient par sillons entremêlés à
faire langage. Tes pieds embourbés dans le sable, dans cet amalgame d’eau
et de sable presque gris. Et, tout près, ces grands oiseaux dont tu ignorais
le nom qui tournoyaient probablement autour d’une proie. Il y avait les
nuages, grosses masses informes, chargées, charriés depuis le large jusqu’à
la côte et, au loin, le port enfoncé dans son perpétuel ennui.
L’alcool venait à manquer mais pas les cigarettes, pas encore. Bientôt une
espèce de nuit factice allait engloutir la Ville, les gens se barricaderaient
derrières leurs grandes baies vitrées, abaissant les persiennes pour mieux
cacher leurs lourds secrets.
Tu te souviens de tes frissons. Il y avait lui. Le début d’engourdissement
qui t’enveloppait le corps, la transpiration qui dégoulinait en larges gouttes
salées pour finir par imbiber tes vêtements. Il y avait les falaises perchées
dans cet autre monde où personne ne règne, où personne ne possède. Et les
idées virevoltantes, quasi insaisissables, fusant inopinément quelque part
entre la petitesse de ton cortex et l’immatérialité de ton esprit. Elles se
mêlaient, copulant, s’agençant, pour procréer d’autres pensées moins
subreptices, plus longues et construites. Puis venaient les phrases, la
syntaxe, décisive, les formes des phrases qui se bâtissaient hors de tout
contrôle, dans une liberté si folle qu’elle en devenait effrayante, que tu
t’interrogeais sur leur devenir, leur finitude, à elles, aussi.
Tu te souviens de la peur. Il y avait lui et la mer. Cette gerbe jaillissante qui
allait très vite exploser, s’expulser de toi faute de savoir la contenir,
l’assimiler. Cet étrange sentiment de ne rien pouvoir garder en-dehors de ta
forteresse de peur que cela ne la fissure, de peur d’être nu au Autres,
désarmé face au monde. Et puis il y eut une vague terrible, puissante,
voluptueuse, et vous vous êtes jetés dedans, nus.
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Billet de blog 31 juil. 2020