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Billet de blog 2 janvier 2023

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Une génération d'universitaires sacrifiée

Le dispositif dit de « repyramidage », annoncé comme une mesure en faveur des universitaires Maîtres de Conférences se révèle un piège tant pour l'institution que pour la grande majorité des personnels. L'université - pour ses étudiants, pour ses personnels - afin d'exercer pleinement ses missions doit bénéficier d'un plan d'urgence.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Partout désormais dans les établissements d'enseignement supérieur, sont désormais connus les résultats des deux premières campagnes de « repyramidage », c'est à dire du dispositif conçu par le gouvernement comme temporaire (sur 4 ans) pour corriger des déséquilibres entre Maitres de Conférences (MC) et Professeurs d'Université (PU) - mieux payés - au sein des laboratoires et départements d'enseignement. Il y a bien peu de « lauréats », c'est-à-dire de passages MC->PU, et beaucoup beaucoup d'insatisfactions.

Le nombre d’emplois d’enseignants-chercheurs ayant été notablement réduit depuis 10 ans, l’âge moyen de recrutement MC dépasse les 35 ans et celui de PU plutôt 47 avec des grandes disparités selon les disciplines. L’objectif affiché par les gouvernements d’un ratio 40% PU, 60% MC loin pourtant des aspirations des personnels concernés est resté lettre morte. Ce sont donc beaucoup de quinquagénaires universitaires qui ont des carrières tronquées. Le dispositif « repyramidage »  était affiché comme un correctif… et un troc avec certains syndicats (SGEN et UNSA) pour faire accepter la Loi de Programmation de la Recherche (LPR) et sa logique d’amplification des déséquilibres dans les statuts et les financements des établissements d’enseignement supérieur.
Lié à la LPR adoptée sous la précédente législature, ce repyramidage se révèle (*) un terrible piège et désespère les collègues encore plus que le très petit nombre de postes de PU accessibles depuis 10 ans.

L'université va tellement mal, la charge de travail en enseignements comme en dispositifs d'accompagnement des étudiants (pédagogiques et administratifs) si lourde, la tension si vive en matière de recherche, que le besoin de reconnaissance des enseignants-chercheurs est considérable tant sur le plan salarial que symbolique. D'autant que s'est un peu artificiellement construite dans les têtes une hiérarchisation terrifiante entre les deux corps MC et PU qui, au principe, solidarisent les enseignants-chercheurs sur les mêmes missions.

À côté de quelques collègues – dont les demandes de promotion ne sont pas en cause – qui ont obtenu satisfaction, ce sont dans chaque établissement (université, Ecole…) des dizaines de collègues, et en France des milliers, qui se voient écarté·es … et, le plus souvent, par leur voisin de bureau. Le dispositif du ministère, cohérent avec les « appels à manifestation d’intérêt pour des projets » dont dépendent les financements des activités de recherche, semble atteindre son objectif : faire de chacun·e le concurrent de tous ses collègues de la même discipline dans une logique managériale qui s'oppose aux besoins de coopérations et d'échanges qui sont au principe des avancées scientifiques. Au niveau national, ce dispositif ne peut au mieux que donner satisfaction (au bout des 4 ans) à moins de 15% des collègues MC titulaires de l'Habilitation à Diriger les Recherche (HDR)- certains d’entre aux depuis plusieurs  dizaines années et « qualifiés » aux fonctions de professeur depuis très longtemps. C'est donc bien un leurre… et pas du tout la bonne méthode pour corriger les retards de carrière. En effet, les missions d'enseignement et de recherche portent de manière indissociable des dimensions collectives et individuelles qui s'imbriquent dans les démarches de chacun·e : le service public universitaire doit être en mesure de conforter cet engagement en offrant des carrières attractives.

Ce n'est pas la voie choisie par le gouvernement : entre repyramidage et imposition d’un système de « primes » (le RIPEC (**), c'est en plus  à un considérable « travail » chronophage d'examen de candidatures, de dossiers, d'auditions qu'il a contraint les universitaires membres des sections du Conseil National des Universités, des Conseils Académiques des établissements… pour un effet marginal puisque ne seront concernés au mieux que moins de 4% des enseignants-chercheurs pour l’aspect « repyramidage ».

Le sous-investissement délibéré-organisé par les gouvernements successifs (qui par ailleurs ont abondé le Crédit Impôt Recherche devenu une niche fiscale pour les grandes entreprises jusqu’à 7 milliards d’euros par an) - en emplois statutaires indispensables pour accomplir les missions de l'université (+30% de charge de travail et -10% de personnels en 10 ans !!), réclame  au moins deux (***) dispositifs d'urgence. L'un pour CRÉER de nouveaux emplois dans toutes les catégories de personnel, donc y compris significativement des postes de Professeurs d'Université ; l'autre pour opérer les RATTRAPAGES de carrières pour les milliers de collègues écartés des promotions par l'indigence des moyens des universités.

Avec tous les collègues, dont certain·es – et nous le comprenons – ont vécu cette campagne de repyramidage comme une humiliation et sont près de baisser les bras, il convient de faire entendre enfin au gouvernement le besoin de  revalorisation globale de ces métiers tant sur le plan des perspectives de carrières, de salaires, comme de reconnaissance égale et effective  des contributions à la recherche et à l'enseignement des PU comme des MC. Cette affaire va bien au-delà des universitaires, il s’agit rien de moins que de la qualité de l’enseignement et de la recherche dans le pays.
Jean Fabbri

Enseignant-Chercheur, secrétaire général du SNESUP (2005-2009), ancien doyen de la faculté des sciences et techniques de l’université de Tours
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(*) certains et quelques organisations syndicales dont le SNESUP avaient critiqué l’insuffisance tant du volume des emplois ouverts à la promotion que des modalités d’accès ; modalités sur lesquelles le ministère est resté sourd aux critiques.

(**) RIPEC = Régime Indemnitaire des Personnels Enseignants-Chercheurs

(***) Nous n’abordons pas ici les indispensables besoins en matière de conditions de vie étudiante, de locaux, de santé universitaire,…qui réclament aussi un véritable plan d'urgence

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