Le rapport de Suzanne Berger1 commandé par le gouvernement propose selon ses propres termes « une vision globale des attentes, de l’expérience et du point de vue des acteurs économiques sur le système de l’innovation français ». Peu de bruit a été fait autour de ce rapport publié en janvier 2016 et cela se comprend.
Le rapport constate que les dispositifs fiscaux en faveur de la Recherche et Développement (Crédit d’impôt recherche – CIR et innovation – CII) et les exonérations d’Impôt sur les sociétés accordées dans le cadre du dispositif de statut Jeune entreprise innovante) représentent 0,37% du PIB français. Ceci permet d’affirmer que le taux de financement des dépenses de Recherche et Développement (R&D) privée par l’argent public en France est l’un des plus élevés du monde occidental. On ne peut que constater que les gouvernements successifs, quelle que soit la tendance politique, ont mis beaucoup d’argent dans la recherche et il faut le souligner. Mais dépenser de l’argent n’est pas un indicateur de succès d’une mesure.
Les conclusions du rapport font ressortir plusieurs points positifs sur le Crédit d’impôt recherche (CIR) :
- le CIR permet de diminuer le coût du personnel affecté à la R&D. Le rapport précise que grâce au CIR, les coûts liés au recrutement d’un chercheur sont inférieurs à ceux de l’Allemagne, de la Suède et du Japon.
- Le CIR est considéré, comme le dispositif gouvernemental le plus utile pour les entreprises innovantes car il leur permet de disposer de trésorerie alors que les premiers bénéfices liés aux travaux de R&D n’apparaissent pas avant plusieurs années.
- Sans le crédit d’impôt recherche, les entreprises innovantes – notamment les grands groupes – installées en France s’exileraient à l’étranger. Si les multinationales françaises partent, les PME, leurs principaux fournisseurs, en seraient affectés.
Le CIR serait aussi plébiscité par les acteurs de la recherche publique car je cite le rapport « Le CIR reçoit également un large soutien des chercheurs académiques. Depuis 2004, les entreprises sont incitées à confier leurs travaux de recherche à des laboratoires publics…Le volume de la recherche externalisée en direction des organismes de recherche publique en France a nettement augmenté ». Ce point mérite d’être nuancé car certains chercheurs publics, quant à eux, sont plutôt critiques, par exemple, Philippe Askenazy (CNRS, Ecole d’Economie de Paris) remarque : « Ce changement de base de calcul et le déplafonnement du crédit ont fait littéralement exploser le coût du CIR : 0,9 milliards d’euros en 2004, 1,7 milliards en 2007, bien au-delà de 2 milliards prévus pour 2010. Avec les avances prévues par le plan de relance, c’est dix fois le budget consolidé de la plus riche université française (Paris-VI) qui serait versé aux entreprises ». (Le Monde, 3/11/2009).
Alors comment expliquer avec autant de points positifs que le résultat soit si mauvais ? C’est le même rapport qui donne ces chiffres, « contrairement aux États-Unis, où le volume de R&D effectué sur le territoire national par des entreprises étrangères et basées aux États-Unis a augmenté de 34 % entre 2007 et 2015, et à l’Allemagne où le volume R&D a augmenté de 15 % sur la même période, en France, le taux de R&D privé réalisé sur le territoire a chuté de 21% ».
Le taux de R&D privé localisé en France s'est donc effondré, chutant de -21% avec une délocalisation principalement vers les États-Unis. A l’exception du Royaume-Uni (-5%) le taux de R&D privé localisé dans les grands pays a augmenté partout. Par contre, le taux de R&D privé des entreprises françaises dans le monde entier a lui augmenté de 5% sur la même période4.
Ce chiffre à lui seul indique le résultat de la politique d’innovation nationale basée principalement sur le CIR et son échec cuisant depuis sa réforme majeure de 2008.
Une décision politique courageuse qui accorderait tous les fonds du CIR aux PME serait une alternative probablement plus efficace. Et dans ce cas, la potentielle délocalisation de la R&D des grands groupes hors de France à cause de cette réforme sera limitée à des cas marginaux.
Pour le moment le CIR dans les grands groupes ne sert qu’à diminuer le coût des programmes de R&D en France qui auraient été de toutes les manières lancés, sans distinction d’intérêt ou de priorité. Ce constat n’est pas nouveau 2,3.
L’ancien système d’aide directe avait au moins le mérite de permettre un ciblage précis. Le CIR d’avant 2008, au lieu d’appliquer le taux de déduction fiscale aux dépenses déclarées, on l’appliquait au différentiel de dépenses, autrement dit seule la croissance de l’effort de recherche était subventionnée. Dans cette configuration, on constatait déjà la faible croissance de la recherche privé en France. Il paraît nécessaire aussi d’introduire, au minimum, un conditionnement de progression des dépenses de recherche pour les très grandes entreprises et d’exclure du dispositif les entreprises dont le niveau de bénéfice rend indécent un financement public de sa recherche.
En Allemagne, il n’existe pas de crédit d’impôt recherche et pourtant les entreprises allemandes visiblement trouvent des avantages dans l’écosystème industriel qui les incitent non seulement à rester mais aussi à augmenter leur effort. C’est sur ce dernier point qu’il faudrait se pencher sérieusement.
Pourquoi cette différence ? Parce que les entreprises Allemandes ont compris depuis longtemps que l’innovation passe par une vision à moyen et long terme des domaines de recherche susceptibles de succès économique, par la fin d’un système hiérarchique d’un autre temps et son remplacement par un vrai management collaboratif. La reconnaissance et la récompense à un juste niveau de chacun à travers ses réalisations est la clef du succès.
En Allemagne, la majorité des dirigeants ont, comme on le dit en France plus de 20 années de maison, et savent que la recherche et l’innovation se développent sur un terreau adapté et ce sont des gens de métier reconnus pour leurs compétences. L’innovation ne se met en place que dans un écosystème collaboratif où les inventeurs et les ingénieurs sont au centre d’un cercle vertueux de créativité et de reconnaissance. L’Allemagne n’a jamais cessé d’être le leader de l’innovation en Europe (40 % des brevets) avec pour conséquence un chômage de 4,7 % (10,5 % en France) largement lié à un excédent commercial de 248 milliards d’euros en 2015 (déficit de 45 milliards d’euros pour la France).
Comme c’est désormais une pratique constante en France, ce rapport ignore quasi totalement les inventeurs. Pourtant dans une véritable politique de l’innovation, il faut impérativement prendre en considération les salariés inventeurs en tant que tels, et corrélativement les motiver financièrement, notamment par la reconnaissance et la juste rémunération de leurs inventions. Sans une motivation des acteurs humains, les mesures de structure n’auront aucun effet. Sans grands joueurs de football ou de basket, on n'a jamais fait de grandes équipes, quelles que soient les infrastructures mises en place et la montagne d'argent dépensée.
Si on cherche à cueillir un fruit que l’on n’a pas cultivé cela a peu de chance de succès quelle que soit la quantité d’engrais utilisé, la fiscalité dans ce cas.
2. http://mobile.agoravox.fr/actualites/societe/article/la-r-d-francaise-doit-suivre-un-75193
3. http://mobile.agoravox.fr/actualites/economie/article/le-credit-impot-recherche-une-73968
4. “2015 Global Innovation 1000. Innovation’s New World Order.” www.strategyand.pwc.com/media/file/2015-Global-Innovation-1000-Fact-Pack.pdf.