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Billet de blog 2 août 2018

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A propos du jour du dépassement...

Suite à l'article de Dorothée Moisan en date du 1er août 2018 intitulé "Le jour du dépassement"...

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                Comment ne pas applaudir aux déclarations du biologiste Franck Courchamp ? Comment ne pas se réjouir du fait que 15 000 scientifiques publient un manifeste commun et que des millions d’alternatives dessinent déjà un monde nouveau ? Pourtant, nous continuons à empiler consciencieusement nos pièces sur la pile en sachant qu’elle va s’écrouler tôt ou tard. L’effondrement n’est plus une hypothèse et la seule question qui subsiste est de savoir quand il aura lieu, si l’échéance est de cinq, dix ou vingt ans.  

                Aussi bien dans les propos de Franck Courchamps que dans l’appel des 15 000, on se rend compte que les plus convaincus, les plus armés pour réagir continuent à penser l’avenir avec les structures mentales du passé, à vouloir réparer le mal avec le même outil qui l’a provoqué. “Grâce à un raz-de-marée d’initiatives organisées à la base, assurent-ils, il est possible de vaincre n’importe quelle opposition, aussi acharnée soit-elle, et d’obliger les dirigeants politiques à agir.”

                Mais, ils agissent nos dirigeants politiques ! Ils sont conscients de l’enjeu, ils en mesurent l’urgence ! Déjà en 2002, Jacques Chirac nous disait : “Notre maison brûle et nous regardons ailleurs”. Aujourd’hui, c’est Edouard Philippe qui ne cesse de citer Jared Diamond et nous dit : “Nous sommes arrivés au point où, si nous ne prenons pas les bonnes décisions, c’est une société entière qui s’effondre littéralement, qui disparaît.” Et récemment au Muséum d’Histoire naturelle de Paris : “la question est de savoir si nous nous transformons, ce qui n’est jamais facile, ou si nous prenons le risque de nous effondrer, ce qui est toujours terrible.” Il est en phase avec notre président Macron qui nous alerte : “Si vous ne voulez pas vous réveiller un matin en vous disant qu’il est trop tard, montrez que vous êtes prêts à rejoindre le combat pour défendre la nature.”

                Certains voient dans ces propos étonnants des manœuvres politiciennes, l’enfumage des communicants. La réalité me semble plus dramatique. Nos dirigeants ont bien compris le message de Jared Diamond mais restent persuadés que la solution est dans le libéralisme, dans la régulation par le marché. Il n’y a pas de contradiction pour Edouard Philippe à déclarer que nous avons fait des choix agricoles qui n’étaient pas tenables et à taper sur les Zadistes de NDDL qui en proposent d’autres. Edouard Philippe veut plus de concentration des terres, plus de mécanicisme, plus de chimie pour nourrir la planète, comme Pierre Moscovici veut plus de rigueur en Grèce pour réparer les dégâts de la rigueur, comme d’autres veulent plus d’Europe maastrichtienne pour qu’elle soit plus sociale… Comment demander à nos élites politiques d’agir quand on sait qu’ils n’ont à leur disposition que des outils anciens et mortifères ? Comment demander aux banquiers, aux ministres des finances de nous épargner la prochaine crise mondiale quand on sait qu’ils ne voient d’autre issue à la situation qu’ils ont eux-mêmes créée qu’une course en avant, une cavalerie pour gagner du temps ? Comment demander aux grandes entreprises industrielles un effort pour la planète quand on sait qu’elles seraient toutes en faillite si elles devaient payer leurs externalités négatives, pour l’instant assumées par les collectivités ? Tant qu’il y aura ce système politique et économique dont le profit est le seul moteur possible, la croissance le seul objectif pensable, l’effondrement ne pourra être évité et aucune alternative ne pourra être crédible.

                Il en va de même pour le “raz de marée d’alternatives venues de la base”. Certaines préfigurent une autre société possible comme ces Zadistes qui pensent collaboration et non compétition, transversalité et non verticalité, circuits courts et non mondialisation… (Pas étonnant qu’ils en prennent plein la figure !). D’autres copient le vieux monde, le prolongent en utilisant les mêmes outils. Créer une monnaie alternative ne résout ni le problème de la valeur, ni celui du profit, ni celui du salariat… Créer une Scop n’évite pas la concurrence et la productivité. Au mieux, la “flexibilité” est organisée par les travailleurs à la place des patrons !… Dans ce raz de marée, une bonne part ne fait que réparer ce qui devrait nous être intolérable, qu’empêcher la société de basculer réellement dans un autre système qui remettrait l’homme au cœur de la nature, élément parmi d’autres, ni au centre, ni à côté, ni en dehors…, seule issue pour ne pas disparaître en temps qu’espèce.

                Quant aux peuples, toujours superbement ignorés quand ils ne sont pas traités de populace, on leur demande de se serrer la ceinture (version décroissante), d’économiser sur le ridicule pourcentage d’eau qu’ils consomment au regard de l’industrie et de l’agriculture. On leur demande de changer leurs habitudes alimentaires, comme si c’était une simple question de volonté et non la résultante d’une économie mondiale. On leur propose une sobriété heureuse et une conversion individuelle. On exigerait même qu’ils se passent de leur petite voiture quand un seul porte-container qui nous amène d’Asie des produits bas de gamme aussi inutiles que nuisibles consomme et pollue autant que 50 millions de voitures ! Soyons sérieux, l’enjeu n’est pas individuel mais collectif, les solutions aussi.

                On ne changera pas la civilisation thermo-industrielle sans un autre modèle qui donne envie d’y adhérer, qui soit plus constructif et plus jouissif que les guerres, les famines et les épidémies que les collapsologues nous annoncent, qui permette d’ouvrir enfin les multiples impasses structurelles qui nous servent actuellement d’avenir. Edouard Philippe nous le dit, soit on change, soit on s’effondre ! Le philosophe Anselm Jappe conclut en effet son livre “La société autophage” par cette phrase : “ L’abolition de l’argent et de la valeur, de la marchandise et du travail, de l’État et du marché doit avoir lieu tout de suite, - ni comme un programme “maximaliste” ni comme une utopie, mais comme la seule forme de réalisme.” Je doute que notre Premier Ministre ait à l’esprit un tel objectif quand il parle de changement. Vraisemblablement, il pense que le modèle managérial doit s’appliquer à tout, aux services de l’État comme aux fonctions régaliennes, comme à l’individu. La radicalité d’Anselm Jappe mériterait l’appui d’un récit accessible à tous. Et je dis bien un récit, pas un programme. Un récit qui puisse s’adapter aux cultures différentes, aux contextes politiques, historiques, philosophiques qui ne peuvent être semblables de Tokyo à Plougastel !

                C’est ce que nous tentons de faire en parlant de “désargence”, de “civilisation de l’accès”. Nous sommes encore peu mais chaque jour plus nombreux à élaborer ce récit d’un monde où l’échange marchand, les profits, l’argent seraient remplacés par l’accès pour tous, à tous les biens et services disponibles, et sans aucune autre condition que l‘existence. Dans l’état d’urgence où nous sommes, ce n’est plus de l’utopie mais le seul réalisme pensable… Il y a ceux qui expérimentent (quelques zadistes, quelques créateurs) et ceux qui imaginent (les faiseurs de récits). Tout le reste est désormais obsolète. En demandant à votre moteur de recherche désargence ou société a-monétaire, vous trouverez quantité de collectifs, de sites, de livres, de BD, de vidéos sur le sujet…

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