En 2017, Christine Lagarde, à l’époque patronne du FMI, se lançait dans une croisade pour la fin du cash et son remplacement par une unique monnaie numérique. Le but avoué était de combattre le terrorisme, les trafics d’armes, les réseaux pédophiles, l’évasion fiscale. J’avais tenté à l’époque de démontrer les dangers d’une telle entreprise, mais sans succès.
Mme Lagarde revient à la charge en ce moment, très discrètement, mais avec de sérieux appuis et dans des circonstances qui changent complètement la donne. Un article de Philippe Béchade, analyste boursier et rédacteur en chef de “La Bourse au quotidien” nous alerte (voir). Contrairement aux motifs louables de l’opération, il s’agit plus vraisemblablement de permettre la ponction d’un impôt qui ne dit pas son nom sur tous les comptes privés et professionnels, sans risquer un bankrun ou la fuite de capitaux.
En passant du FMI à la BCE, madame Lagarde a pris du poids politique. Elle a rallié Angela Merkel à son projet, elle a nommé un “Monsieur Crypto”, en l’occurrence Benoît Cœuré qui depuis 2019 est à la tête du pôle innovation de la Banque des règlements internationaux (BRI). Elle lance une grande enquête publique d’opinion concernant l’émission d’un euro numérique qui serait géré par une blockchain. Quand l’UE consulte les Européens, c’est généralement pour entériner un projet déjà bien ficelé. On sait depuis le référendum de 2005 qu’un Non, en français ou en néerlandais, se traduit par un Oui en européen !
Christine Lagarde ne cache même plus ses intentions quand elle fait référence à l’épisode Chypriote de 2013. Non seulement elle y voit “une source d’inspiration” mais elle défend l’idée que tous les comptes pourraient être ponctionnés dès le premier euro (à Chypre, seuls les comptes de plus de 100 000 € étaient concernés), par soucis d’égalité ! Certains financiers parlent de ponctionner 10%, 20%, et pourquoi pas 30% des avoirs s'il s'agit d'éviter la chute d’une banque systémique ! Et comment réagir en l’absence de cash : changer de banque n’aura plus aucun intérêt, retirer son argent sera impossible. On comprend que Mme Lagarde y voit une “intéressante perspective pour l’avenir”.
Si en 2017 on pouvait raisonnablement penser que ce holdup sur nos portefeuilles ne passerait jamais le barrage législatif, l’expérience du Covid change sérieusement la donne. Qui aurait pu imaginer qu’un jour il faille une attestation dérogatoire pour aller chercher une baguette de pain, consulter un médecin, promener son chien ? Qui aurait imaginé la limitation à un périmètre d’un kilomètre autour de chez soi pour les petits déplacements, l’impossibilité d’aller voir ses enfants au-delà de 100 km, l’obligation de porter un masque en tous lieux, la fermeture des magasins “non essentiels” ? En 2017, tout le monde aurait prédit une révolution face à de telles mesures liberticides. L’effet de sidération face au virus hyper médiatisé et le chantage à la peur nous ont fait accepter l’impensable. La même sidération peut arriver demain si l’économie mondiale vacille et le chantage à la peur d’une grave crise financière nous fera accepter la fin du cash.
Le moment est en effet bien choisi pour initier un tel projet aussi liberticide qu’inégalitaire. Il est liberticide car il donne le pouvoir à un gouvernement de bloquer par un simple clic le compte d’un particulier dérangeant : sans cash et avec une carte bloquée, plus moyen d’acheter une baguette de pain, de recevoir un salaire ou une prestation sociale. Une mort sociale instantanée ! Le terrorisme et la crise sanitaire nous ayant bien préparés à sacrifier la liberté pour la sécurité, l’exclu bancaire sera en outre culpabilisé par son entourage. Double peine !
En revanche, le moment est bien choisi pour que nous acceptions enfin de voir la réalité du système monétaire et marchand. Cela fait des millénaires que l’échange marchand, en induisant un convertisseur universel, l’argent, montre des effets pervers que l’on tente en vain de réguler. Depuis le code Hammourabi (vers 1750 avant J.-C.) jusqu’aux gesticulations de Christine Lagarde, on tente de réguler l’argent, de réparer les dégâts qu’impliquent la croissance et les incontournables profits financiers. On replâtre, on corrige, on redistribue, on s’indigne, on proteste…, mais rien n’y fait. Il est logique que l’écart entre les plus riches et les plus pauvres s’accroisse. Il est logique que la planète soit pillée et que le climat se détraque. Il est normal que les conflits d’intérêts entrainent des guerres entre nations et des malversations entre groupes sociaux. C’est un résultat mécanique impossible à résoudre dans un cadre monétaire. Christine Lagarde dans cette logique a raison, mieux vaut un peuple exsangue et une austérité à la grecque qu’une banque systémique en panne !
Dans cette civilisation à bout de souffle, il reste la possibilité de sortir du système monétaire pour entrer dans l’Accès aux biens, services et savoirs, sans contrepartie, sans condition (voir). Pour la première fois dans l’Histoire de l’humanité, nous en avons les moyens techniques, l’expérience et les savoirs suffisants. Il ne manque plus qu’une révolution mentale qui nous permette d’échapper à la naturalisation des lois absurdes de l’argent, du marché, de la marchandise. Le confinement, l’arrêt volontaire de tout un pan de l’économie, le bouleversement des habitus provoqués par un banal virus, donne des ailes à cette réflexion sur une sortie totale du système monétaire. Les options à très court terme risquent fort d’être l’acceptation de l’incroyable proposition de Christine Lagarde ou l’acceptation d’une remise en cause radicale du système qui nous y a conduits…