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Billet de blog 20 février 2023

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"Face aux pénuries de médicaments, l'État cède aux revendications des laboratoires."

Commentaire d'un article où la question est bonne, mais la réponse non dite, sinon dans la question...

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"Face aux pénuries de médicaments, l'État cède aux revendications des laboratoires."

                Cet article de Caroline Coq-Chodorge (19.02.2023) méritait d'être analysé pour ce qu'il ne dit pas. Des médicaments essentiels sont en tension ou en rupture et le ministre de la santé, François Braun, s'insurge: " Plus jamais ça !" Sa solution annoncée, c'est  "un moratoire sur la baisse des prix des génériques, voire la hausse de prix."

                Dès l'introduction du sujet, c'est mal parti. Les chaines de production des médicaments sont en panne, sans raison apparente et sans aucune explication sérieuse des laboratoires, et ce sont les malades qui devront payer plus ou se passer de médicaments essentiels. Quand il s'agit d'un médicament aussi banal que le Doliprane, on pourrait se satisfaire de cette réponse pour le moins anti sociale. Mais l'auteure de l'article prend aussitôt pour exemple le cas d'une patiente, Jessica, souffrant d'une maladie chronique, peu répandue, et qu'un unique médicament peut soigner. Malgré les interventions des médecins, des associations et des malades, le traitement produit par Novartis est en rupture de stock. Des vies sont en jeu. Novartis explique que "ce médicament est contingenté,  réservé aux patients prioritaires", les enfants.  Jessica n'est pas du nombre. La journaliste  la cite: "Nous sommes une poignée d'adultes à avoir besoin de ce traitement, pourquoi nous l'enlever?  

                C'était le moment idéal pour donner la vraie raison de la pénurie, celle que les laboratoires n'avoueront jamais: Une poignée d'adultes ne constitue pas un marché! Il n'est pas rentable commercialement de produire un médicament à petite échelle, comme il n'est pas rentable de fabriquer un produit générique, non protégé par un brevet et dont le coût ne peut éternellement augmenter. Le médicament est une source de profits, une marchandise comme les autres, c'est la loi du marché. La solution n'est donc pas de faire payer plus cher, mais de sortir la santé de la marchandisation. Si les découvertes pharmacologiques entraient automatiquement dans le commun, si la santé de tous était considérée comme un bien public, si la production restait un service et non un commerce, il n'y aurait pas de pénurie, ni dans les pays riches, ni dans les pays pauvres.  Jessica n'est pas la seule, les maladies dites "orphelines" ne sont pas rares, mais non rentables.

                Et visiblement, peu de gens en sont choqués. Quelques millions d'années d'évolution pour en arriver là! Avoir tous les chercheurs compétents, toute la technologie à disposition, toutes les ressources naturelles pour soigner les pathologies les plus diverses, et préférer en faire un marché, c'est non seulement criminel mais c'est surtout de la plus haute stupidité. Le problème, c'est que l'argent a envahi tout l'espace social, a colonisé tous les esprits, au point de naturaliser une pratique qui n'est jamais qu'une convention sociale. Sans l'argent, il n'y aurait plus de pénuries de médicaments, plus de maladies orphelines (sans chercheurs), plus d'inégalités de ressources entre le Nord et le Sud, entre les peuples et les oligarques, entre les nobles et les ignobles disait-on au Moyen-âge!

                Le syndicat des pharmaciens hospitaliers a remarqué qu'il n'y avait pas de "cellule de pilotage du médicament au niveau ministériel" et le ministre de la santé annonce que "l'analyse de l'ensemble des chaînes de production incriminées sera prochainement menée". Ce n'est pas le seul syndicat qui  fasse ce constat, ce n'est pas le premier ministre qui fasse semblant d'ignorer la cause réelle de l'impéritie des laboratoires privés. Faudra-t-il attendre l'effondrement global de tout le système marchand pour admettre enfin que cette convention sociale pourrait être remplacée par une autre convention, sur simple décret, comme on a pénalisé, d'un jour à l'autre, l'esclavage, la peine de mort, le travail des enfants et  quelques autres tares jugées naturelles pendant des siècles?...

                Il n'y a plus de solutions internes au système marchand. Demander à l'État de réguler les laboratoires privés, c'est un peu comme si on demandait aux voleurs de se punir eux-mêmes. Les pouvoirs politiques, législatifs, économiques et médiatiques ont tous été captés par les puissances d'argent. A minima, il faudrait retrouver la maîtrise de nos usages et le pouvoir démocratique, ce qui est totalement utopique dans un cadre néolibéral, voire capitaliste, et certainement impossible tant que nous penserons l'échange marchand comme la seule façon de gérer les flux de matières, de services, de savoirs. Tant que nous n'imaginerons pas l'autre voie, celle du commun, de l'accès à tout et pour tous sans condition, le marché fera la loi… Faute d'admettre l'évidence, le réel nous y contraindra. Comme le disait Lacan, "le réel, c'est quand on se cogne!…"

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