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Billet de blog 7 février 2015

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Les Musulmans et l'Ecole, la Liberté et la Laïcité, l'Egalité et la Laïcité

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis les attentats de Janvier, on parle beaucoup des difficultés de certains enseignants dans certains collèges et lycées sur la laïcité, le « Etre ou ne pas être Charlie », l'identité, l'islamophobie, l'antisémitisme, le questionnement sur l'aspect social ou identitaire des fractures de la société française. Le point central de toutes ces interrogations, c'est la laïcité. Ce mot a-t-il le même sens pour tout le monde ? La laïcité est-elle compatible avec la foi religieuse ? Comment faire passer, dans les esprits des enfants et des adolescents des établissements scolaires,  un concept aussi complexe, aussi abstrait, et et en même temps chargé de toute l'histoire de la France depuis plus de deux ans ? C'est cette dernière question qui nous préoccupe particulièrement. . 

Tout bon pédagogue sait que pour faire passer une notion complexe, il faut partir de la vie même de l'élève, de son vécu, de ses connaissances, de ses désirs. Or, dans les valeurs de la République française, il y en a qui sont quasiment naturelles, universelles, indépendantes des origines nationales ou culturelles des élèves. Chaque enfant, même très jeune, a une idée de ce qu'est la liberté (est-ce que c'est faire ce que l'on veut quand on  veut, regarder la télé quand on veut, sortir le soir malgré l'interdiction de ses parents ?) et de l'égalité (est-ce que dans une famille tous les enfants doivent être traités de la même façon par les parents, ou les élèves d'une classe par leurs professeurs ?) Quels liens peut-on établir entre la liberté et la laïcité, entre l'égalité et la laïcité, c comment peut-on faire passer les enfants de leur expérience de ces deux valeurs à une compréhension et une acceptation de cette idée de laïcité ? En 1989, lors des premières «affaires du voile », dans les établissements scolaires, l'idée de liberté avait semblé entrer en contradiction avec l'idée de laïcité. En effet, à l'idée de l'interdiction du voile dans les établissements scolaires, la réaction de la plupart des adolescents avait été : «Pourquoi interdire le voile ? On a bien le droit de s'habiller comme on veut ! Ça gène personne ».  Certains allaient même plus loin en disant : « La laïcité, c'est la liberté religieuse, c'est donc le droit d'être musulman, et si on a ce droit, on a bien le droit de le montrer en portant un voile. »

Et l'égalité (qui est un des fondements de la laïcité) ? Cette valeur peut-elle être utilisée pour parvenir à une acceptation par tout le monde de la laïcité ? Pour illustrer un discours possible, voici un dialogue imaginaire entre un ou une prof et les élèves de sa classe :

Le/la prof: « Que diriez-vous d'un ou d'une  prof qui, en début d'année, dirait à sa classe : "Moi, je mets systématiquement trois points de moins aux copies des élèves  musulmans ou juifs ou athées. »

Les élèves : « M'sieur,M'dame, c'est dégueulasse, il a pas le droit !

Le prof : « Et que diriez-vous d'un gouvernement qui dirait : "les citoyens musulmans ou juifs ou athées paieront plus d'impôts que les autres". »

Les élèves: « C'est aussi dégueulasse que le prof injuste. Que ce soit le prof ou l' État, il faut traiter tout le monde pareil. »

Le prof : « Vous avez raison, tous les Français sont égaux devant la loi, c'est un des grand principes de la République depuis la révolution française de 1789. »

Les élèves: "C'est un bon principe, mais il faut qu'il soit vraiment respecté, qu'il y ait pas les beaux discours et la réalité complètement différente. Il ne faut pas le « deux poids, deux mesures » 

Le prof : « Justement, à ce propos, il faut que je vous raconte une histoire. Il y a un peu plus de 100 ans, la République avait déjà ses principes de liberté et d'égalité, Mais elle ne les respectait pas toujours. Elle avait condamné un homme non pas pour ce qu'il avait fait, mais pour ce qu'il était. Elle savait qu'il était innocent, mais il mais il n'avait pas la même religion que La majorité des gens. alors on l'a envoyé au bagne.

Les élèves : « C'était qui, cet homme? Et pourquoi on lui a fait du mal ?

Le prof : « Il s'appelait Dreyfus, il était capitaine dans l'armée. Dans l'armée, il y avait un traître qui vendaient des secrets à l'ennemi. L'armée a dit que ce traître, c'était Dreyfus, Alors qu'elle savait que ce n'était pas lui. »

Les élèves : «Et pourquoi on l'a accusé lui ? Pourquoi on ne l'a pas traité comme les autres ?

Le prof : « Parce que beaucoup de gens n'aimaient pas les juifs pour des raisons religieuses. Et parce qu'à cette époque, il y avait un homme appelé Drumont qui écrivait des livres pour dire que les juifs étaient les ennemis des Français. »

Les élèves : « Alors, ça s'est terminé comment, cette histoire ? »

Le prof : « Des gens ont dit que c'était un scandale, que l'armée avait menti, qu'on ne pouvait pas condamner un innocent simplement parce qu'il n'a pas la même religion que la plupart des gens. »

Les élèves : « Alors Dreyfus a été innocenté ? Il est revenu du bagne ?

Le prof : « Oui, mais il a fallu du temps. Et puis, ceux qui défendaient Dreyfus se sont dit que si l'armée n'avait pas su que Dreyfus  était juif, tout cela ne serait pas arrivé.

Les élèves : « Vous voulez dire que l'Etat ne devrait pas connaître la religion des gens ? »

Le prof : « Exactement. Ceux qui avaient défendu Dreyfus ont décidé de faire une loi qui dirait que, pour être sûr que l'État traite tout le monde de la même façon, l'État ne doit même pas savoir qui est catholique, juif, athée, musulman ou autre. Cela ne doit pas être marqué sur les papiers, la carte d'identité; et la police, les juges, les profs, l'eau, le gaz et l'électricité, le téléphone et Pôle Emploi ne doivent pas connaître la religion des gens. »

Les élèves : « C'est pour ça qu'on ne doit pas mettre de voile à l'école ?»

Le prof: « Exactement. Si chacun arrive avec une pancarte qui dit : « je suis musulman ou juif ou athée » c'est difficile pour l'État de faire semblant de ne pas savoir qui est qui, et de traiter tout le monde de la même façon. »

Les élèves : « Alors ça veut dire que si on veut l'égalité, il faut accepter de ne pas être libre totalement? »

Le prof : « C'est à vous de voir. Réfléchissez-y.

Les élèves : « Et ça veut dire que si l'État ne doit pas connaître la religion des gens, les gens ne doivent plus avoir de religion ?

Le prof : « Pas du tout. Au contraire, la loi garantit qu'on a le droit d'avoir la religion qu'on veut, d'aller à l'église, au temple, à la synagogue ou à la mosquée, à condition que l'État ne s'en occupe pas. Tout ça, ça s'appelle la laïcité. »

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