Le Ministère des Affaires Etrangères et l'Agence pour l'Enseignement français à l'étranger ( AEFE ) ont trompé leurs propres agents en leur donnant des garanties sur leur statut, et ils les ont trahis en revenant , sous la pression du gouvernement grec , sur ces garanties , et de plus, en osant accepter des mesures rétroactives;
Je m'appelle Sylvie Desmarais Bouisset. A l'automne 2017, j'ai pris ma retraite de l'Education nationale au sein de laquelle j'ai fait toute ma carrière de professeur de lettres classiques. J'ai exercé pour la majeure partie à l’étranger. Je n'ai jamais eu peur de partir dans des pays étrangers, car j'avais une confiance absolue dans mon employeur qui n'était autre que l'Etat français. Après avoir passé 5 ans en France de 2005 à 2010, je suis repartie à l'étranger et j'ai obtenu un poste en Egypte en tant que résidente auprès de l'AEFE. Organisme d'Etat dépendant du MAE, l'AEFE garantissait mon statut de fonctionnaire française, mes droits, mes devoirs, mon avancement, mon statut fiscal avec la garantie de payer mes impôts en France. Le salaire d'un résident correspond au salaire français, avec une indemnité de vie locale (ISVL),au montant très différent d'un pays à l'autre. Le MAE devait assurer ma sécurité et me protéger, en tant que citoyenne française contre les risques de la vie à l'étranger (troubles politiques, sociaux, guerres, catastrophes, etc...) c'est d'ailleurs ce qui s'est passé puisque 5 mois plus tard éclatait la révolution égyptienne. Durant cette période d'angoisse un peu chaotique, l'ambassade a été présente. Nous étions informés chaque jour, et nous avons pu partir en France, nous sentant protégés.
En 2014, alors que je pouvais prendre ma retraite l'année suivante , ayant accompli toutes mes annuités, j'ai décidé de prolonger ma carrière encore 3 ans , afin de bénéficier d'une meilleure retraite, étant divorcée. J'ai postulé pour la Grèce, pays où j'avais déjà travaillé et avec lequel j'ai des liens très forts. Je parle grec et ma fille est née en Grèce. J'ai obtenu ce poste au Lycée franco- hellénique d'Athènes. Mon statut était le même qu'au Caire , j'avais pris mes renseignements auprès de mes collègues d'Athènes, j'avais une rémunération moindre qu'en Égypte car l'ISVL en Grèce est parmi les plus faibles de tout le réseau mondial (environ 330 euros), je ne devais payer mes impôts qu'en France comme tous les collègues du lycée l'avaient toujours fait selon l'article 14-1 de la convention fiscale franco- grecque qui date de 1963.
J'ai passé 3 années sans souci dans ce lycée, puis j'ai effectué ma réintégration en France en septembre 2017 où j'ai encore exercé 3 mois avant de prendre ma retraite.
Vers le 20 Décembre 2020 , j'ai reçu du fisc grec un mail qui m'informait que je subissais un redressement fiscal en Grèce et que je devais payer pour l'année 2014 (c'est à dire l'année de mon arrivée en Grèce) 11700 euros de redressement fiscal plus 6000 euros d'amendes pour impayés. J'avais 12 jours pour payer !
Affolement, stupeur et incompréhension. J'ai dû dans l'urgence prendre un avocat en Grèce pour introduire un recours, étant bien dans l'impossibilité de payer cette somme et ne comprenant pas ce qui m'arrivait.
Parallèlement j'ai appris qu'une douzaine de mes collègues dont la plupart encore en poste au lycée d'Athènes, avaient reçu le même courrier et la même injonction de payer. Les sommes qu'ils avaient à payer s'étalaient de 5000 à 22000 euros !
De fait mes collègues et moi- même étions soumis brutalement à une double imposition, puisque nous avions déjà payé nos impôts en France, selon le contrat que nous avions signé. Les services fiscaux grecs avaient décidé unilatéralement de réinterpréter la convention bilatérale , de nous considérer comme résidents fiscaux grecs, et de pratiquer la rétroactivité jusqu'au moment de la prescription soit 2014.
L'ambassade a été informée, plusieurs réunions se sont déroulées , les collègues ont effectué des journées de grève, nous avions l'espoir que, comme cela se pratique lorsque se produisent parfois de tels incidents, le gouvernement français interviendrait auprès du fisc grec pour qu'ils reconnaissent que selon la convention, nous devions être imposés uniquement en France. Nous nous sentions dans notre bon droit, et l'ambassade nous avait fourni une attestation comme quoi nous dépendions bien de cet article 14 qui stipule que nos impôts sont à payer en France. Nous avons vraiment cru que Bercy et le MAE feraient tout pour que ces réclamations insensées soient immédiatement retirées et que nous n'ayons pas à payer ces sommes énormes pour un budget, modeste, d'enseignant.
Mais nous avons dû déchanter : courant Avril, les collègues ont reçu une nouvelle notification du fisc grec soustrayant du montant de la somme demandée par la Grèce les impôts déjà payés en France. Bref, la seule chose que l'Etat français avait obtenue était de pratiquer ce qu'on appelle le différentiel, clause certes permise pour la Grèce par la convention fiscale, mais qui exige évidemment une entente préalable entre Etats et exclut toute rétro-activité, à moins de trahir la confiance légitime réciproque, totalement niée par la Grèce en la circonstance au mépris des relations entre Etats membres de la Communauté européenne.
De toute façon, les sommes à payer restaient énormes... J'ai quant à moi reçu un mois plus tard la même notification, je n'avais plus à payer « que » 10000 euros !
Nous avons commencé à comprendre que si des contacts avaient bien eu lieu entre les services fiscaux grecs et français , l'Etat français osait accepter que la Grèce ré-interprète sans avertissement la convention bilatérale d'une manière totalement différente de ce qui était pratiqué sans problème depuis sa signature en 1963, afin de nous faire payer nos impôts en Grèce, et qu'il acceptait également cette rétroactivité brutale permettant au fisc grec de remonter jusqu'en 2014.
Nous avons eu le sentiment que se tramait une injustice monstrueuse... Il faut d'ailleurs signaler que les collègues du lycée, bien que payés par la France avec le même contrat , dans les mêmes conditions et travaillant au même endroit, n'ont pas tous reçu ce redressement fiscal. Nous avons cherché à comprendre ce qui nous valait ce redressement ... et nous n'avons toujours pas trouvé la logique présidant à ces redressements ! En tout état de cause ce fait instaure une disparité de traitement entre collègues soumis au même contrat et rend encore plus injuste ce redressement de par son aspect arbitraire et aléatoire.
En ce qui me concerne, si j'avais été informée de cette relecture de la convention ou de dangers possibles de relecture, je n'aurais certainement pas accepté ce poste que j'ai pris justement en 2014. Mais comment prévoir et deviner ce qui n'a pris forme que 5 ans plus tard ! Et de plus je n'ai résidé que 4 mois en Grèce en 2014, ce qui rend mon cas encore plus incompréhensible et scandaleux.
Plusieurs collègues en poste à Athènes ont décidé de demander leur réintégration en France en cours d'année, voyant le tour que l'affaire prenait. Car si la France reconnaissait que nous étions résidents fiscaux grecs, nous devrions recevoir chaque année le même courrier de la part du fisc grec nous enjoignant de payer trente pour cent de nos revenus français à la Grèce (c'est le « tarif » en Grèce pour quelqu'un qui a entre 25000 et 40000 euros de revenus sur l'année). Imaginez notre détresse, psychologique et financière. Ce sont des vies entièrement bouleversées. Certains collègues auraient ainsi à débourser plus de 100000 euros entre les années 2014 et 2021... Entre autres conséquences, nous serions obligés de vendre notre appartement pour nous acquitter de cette dette et satisfaire des réclamations sans aucun fondement, qui constituent une véritable agression de l'actuel gouvernement grec contre la France et ses fonctionnaires agents de la coopération éducative.
En Juillet j'ai écrit plusieurs courriers à des députés et sénateurs de mon département de résidence pour les alerter et leur demander d'intervenir auprès du MAE et de Bercy pour qu'ils négocient sérieusement avec le gouvernement grec et fassent reconnaître nos droits.
Or, fin Juillet, les pressentiments que nous avions concernant le « lâchage » de leurs fonctionnaires par les autorités françaises se sont malheureusement concrétisés : à une question écrite de Madame la sénatrice Renaud Garabedian concernant notre problème, la réponse de Bercy est édifiante : « Certes la double imposition n'est pas possible, mais la Grèce est également fondée à imposer ces mêmes rémunérations sous réserve de déduire l'impôt français. » Bercy, dans sa cynique magnanimité consent à demander « des mesures de tolérance telles que l'étalement des paiements dus ! » Voir le lien suivant : (https:// www.senat.fr/questions/base/2021/qSEQ210220625.html).
Fin Août, le sénateur que j'avais sollicité me transmettait la réponse de l'administrateur du groupe d'amitié France-Grèce au Sénat considérant que « l'interprétation actuelle des autorités fiscales grecques est correcte ! »
Cet administrateur ajoute , avec une désinvolture extrême qui témoigne du mépris qu'il porte aux enseignants concernés et de son absence de curiosité sur la réalité des faits : « Il est évidemment regrettable que les personnes concernées n'aient pas été informées en temps utile du droit applicable, et que le fisc grec ait tardivement décidé d'appliquer rigoureusement la convention, mais je ne vois pas quelle solution s'offre , à moins de demander un étalement du paiement des arriérés ».
Que peuvent faire ces enseignants du LFH à bout d'arguments, à bout de nerfs, et bientôt très endettés ? Ils se sentent lâchés par leur administration , ils doivent financer de surcroît les services d'avocats grecs , mais aussi les services d'avocats français pour essayer de faire entendre raison aux uns et aux autres. Et ces dépenses, il faut bien qu'ils les assument.
Aujourd'hui, presque 10 mois après le début de cette opération de racket fiscal, c'est la survie du lycée franco-hellénique qui est en jeu. Les enseignants titulaires Éducation Nationale du lycée, tous concernés aujourd'hui ou demain, sont très inquiets, et devant l'incompétence et l'amateurisme des politiques, devant leur aveuglement et leur indifférence aux conséquences dramatiques de cette situation, ils cherchent désespérément des soutiens qui pourraient débloquer la situation et faire valoir leur bon droit, en obtenant la suppression de réclamations totalement infondées. Il semblerait juste que l’État qui en cette phase nous a véritablement trahis et abandonnés prenne enfin ses responsabilités et assume les conséquences de ses choix : soit l’Etat français met fin aux tentatives fiscales grecques contre ses propres fonctionnaires, soit il doit prendre en charge les arriérés réclamés par le fisc grec.
De plus, s'il ne veut pas que meure le lycée franco-hellénique d'Athènes, il doit s'assurer que la nouvelle convention qui devrait voir le jour en 2024 mentionne explicitement les enseignants français du lycée comme étant strictement résidents fiscaux français. Dans le cas contraire, qu'il assume la disparition rapide de cet établissement.