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Billet de blog 5 avril 2019

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Requiem pour un arbre

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Requiem pour un arbre

Quel besoin, quelle raison, quelle urgence à couper cet arbre qui avait vu passer des saisons et des saisons de paysans et de récoltes ?

Pour quelques mètres carrés de terre cultivable de plus ? Pour un ou deux millièmes de points de rendement à l’hectare qui finiront en surplus agricoles ? Pour s'épargner deux ou trois manoeuvres de tracteur ? Pour une envie soudaine et irrépressible de platitude ou parce que les paysans sont devenus des agriculteurs, ce métier, comme tant d’autres, réduit à une profession ? Qui sait ?

Si l'on posait la question au coupable, membre de la même confrérie stupide que celle qui abat les platanes bordant les routes nationales, alors que quarante mille de leurs frères, le long du Canal du Midi, meurent du chancre coloré sans que l'on puisse les sauver, il serait probablement bien en peine de nous expliquer son geste criminel.

On saurait alors que la platitude dont il est question n'est pas topographique mais une inexcusable et irréfléchie nécessité du lisse, du "rien qui ne dépasse", qui n'a d'égale que la vacuité du beau, le vide toujours le vide pour finalement y mettre quoi ?

Du laid, tout simplement du laid. De cette laideur qui gangrène le monde entier et gagne aussi les terroirs : leurs habitants de « souche » - tiens, la souche c’est le reste d’un arbre coupé - qui se targuent d'en être les uniques garants, déniant ce droit aux soi-disant néo ruraux comme ils nous appellent, ne veulent pas se sentir en reste, marginalisés ou exclus de la grande loge des destructeurs, les hommes et la technocratie réunis dans une ineptie commune. Ronds points inutiles, gendarmes couchés et ventrus à l’abord des villages, bétonnage hideux sans goût ni concertation, parfois même un panneau stop au milieu de nulle part et j’en passe ! Pas besoin de Bruxelles ou de Paris pour décider d’enlaidir et de détruire sans réfléchir. Un maire,* se croyant, parce qu’élu, investi des pleins pouvoirs aux relents pétainistes, un conseil municipal aux ordres ou même un indigène isolé y suffisent désormais, conditionnés qu'ils sont devenus, abreuvés à la bêtise généralisée. « Têtes de linottes » aurait dit l’instituteur…

 Au secours, ils ne voient plus le beau !

Qu'ils nous demandent et on leur expliquera.

On leur dira comme c'est joli un arbre solitaire dans un champ de blé, de tournesols, comme c'est agréable de regarder ses feuilles se balancer au gré du vent quand la lumière du soleil qui se couche à Toulouse vient calmer les angoisses du soir. On leur dira aussi comment les oiseaux aujourd'hui orphelins aimaient à se poser dans ses branchages verts et frais, comment hier on pensait à la Toscane en le regardant, sémaphore d'un coteau à la Moravia.

On leur dira qu'un arbre c'est comme un homme ; il met si longtemps à grandir. On le regarde pousser, changer, s'élancer vers le ciel. « Toute une vie pour apprendre à vivre et il est déjà trop tard » disait Camus. Et pour l’arbre, trop tard était en juillet. Nous sommes responsables des arbres et des fleurs et des animaux. Comment ne pas se sentir en osmose avec cette nature là, celle qui est à nos pieds, à nos pas, à notre regard ? Il suffit d'ouvrir les yeux et de tendre l'oreille, de respirer fort et tout est là. Beauté pour les uns, outil de travail pour les autres, patrimoine pour tous.

L’arbre a été condamné à être tranché. Était-il coupable ? Qui l’a défendu ? Qui a pu plaider sa cause ? Symbole de l’arbitraire et des décisions hâtives à l’emporte pièce prises en catimini.

Ce dimanche, alors que j'écris ces lignes, je les entends au village fêter je ne sais quel mariage, se taper sur les cuisses et se réjouir au jaune, et j'ai envie de leur dire et de leur dire et de leur dire....qu'abattre un arbre c'est presque comme tuer un homme, c'est retirer la vie. On commence par un arbre innocent et puis…

À Alger en 1942, sur une plage, Meursault a tué un homme. Un arabe, un sans nom. Sans mobile apparent sauf la chaleur, le soleil et l'ennui d'une vie sans intérêt. Ici, en plein été 2016, juste après la récolte, dans le champ d'en face, un homme qui ne sera jamais jugé a coupé l'arbre, le sans nom, le sans défense.

La chaleur, le soleil, l'ennui d'une vie sans intérêt ? Qui sait ?

Août 2016

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