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Billet de blog 15 novembre 2015

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Libye, toujours le chaos

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La Libye est mourante

Le 20 août 2011, la Libye se débarrassait du régime de Mouammar Qadhafi, en place depuis 1969. L’intervention étrangère s’aventura bien au delà du mandat fixé par la résolution 1970 des Nations Unies du 26 février 2011 mais pas assez pour assurer un avenir à la Libye.  Les largesses en armes, logistique et  espèces sonnantes et trébuchantes d’un certain nombre de pays du golfe qui, très tôt, alimentèrent les insurgés, s’arrêtèrent aussi vite qu’elles avaient commencées. Ainsi font les grandes puissances occidentales : elles ignorent tout d’une réalité arabe en totale mutation mais décident de partir « fleur au fusil ». Et cela se termine par « après moi le déluge ».  Hier la Somalie, aujourd’hui l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie et la Libye, en font les frais.
Le peuple libyen paie le prix fort d’erreurs répétées d’appréciation d’une situation politique, de l’incompétence puis de l’indifférence générale à trouver des solutions durables pour permettre au pays d’assurer son avenir et ce malgré les efforts de l’Union Africaine en mars 2011 pour trouver une sortie de crise négociée comme le relate M. Jean Ping, ancien président de la commission de l’Union Africaine, dans son livre « Eclipse sur l’Afrique. Fallait-il tuer Qadhafi ? » (éditions Michalon, 2014)

La Libye souffre, la Libye pleure, la Libye meurt. La Libye meurt parce qu’on l’a abandonnée à son triste sort. Tout sauf Qadhafi : voilà le résultat de l’ignorance du terrain. Décapiter un Etat et son régime plutôt que l’aider et l’encourager sérieusement et sincèrement à évoluer vers un futur plus démocratique. Encore faudrait-il pour cela être soi-même irréprochable : la compromission de certains dirigeants européens avec le régime de Qadhafi ne leur permettait sans doute pas d’élever leur voix en ce sens. Le silence a un aujourd’hui un prix. L’addition est salée. Elle est payée par le peuple libyen.

La Libye est anéantie. Ses élites sont en exil. Le pays est retourné, en moins de trois ans, dans les sables d’où il était sorti avec Qadhafi. L’exportation de pétrole, son principal revenu, a été divisée par dix ! Les réserves en devises par trois ! L’économie est exangue. La partition du pays, tacite mais dans le sang et le feuest en cours : la Libye revient à la subdivision d’avant l’indépendance de 1951 !

Il n’est pas de jour sans vols et pillages, exécutions, extorsions, rapts et viols de jeunes libyennes ou étrangères comme cette infirmière philippine retrouvée décapitée en juillet. Les aéroports de Tripoli et Benghazi sont inutilisables presque totalement détruits tout comme la flotte de la Libyan Airlines. Le constat est implacable et les personnels diplomatiques occidentaux ont tous quitté le pays. Ils sont, comme à l’habitude, très privilégiés : par dizaines de milliers  les  travailleurs philippins ou égyptiens eux sont en rade aux frontières que les pays « frères » de la Libye, l’Egypte ou la Tunisie ont fermées…

Plus personne ne compte sur le énième gouvernement fantôme libyen. Il est composé principalement de bi-nationaux qui ont passé plusieurs décennies en exil et ne connaissent rien à la Libye d’aujourd’hui. La situation actuelle du pays à une heure et demie d’avion de la France est catastrophique. Elle semble pourtant n’intéresser personne, plus aucun philosophe, aucun apprenti Malaparte  ne prend la parole à son sujet, plus aucun politique ne gesticule. La récente aggravation des combats de plus en plus meurtriers préoccupe aussi les voisins de la Libye, dans une zone saharo-sahélienne instable suite aux pillages des arsenaux libyens et aux lucratifs trafics.

C’est pourtant maintenant que la Libye a besoin qu’on l’aide à s’en sortir.

L’immense majorité de la population libyenne ne désire qu’une vie meilleure et paisible.  Peut-on laisser un pays être la proie de quelques dizaines de milliers de voyous surarmés ?
La Libye n’est plus un Etat de droit. Bientôt, si l’on n’agit pas, elle ne sera plus un Etat du tout. Elle se transformera en « Somaliland » avec les conséquences que l’on connaît pour son peuple mais aussi pour la sécurité de la région et de l’Europe. Qu’adviendra-t-il des générations futures, aujourd’hui en panne d’éducation et de perspectives d’avenir ? Cinquante pour cent de la population a moins de 16 ans… Que faire ?

En premier lieu il convient, par la négociation et avec l’appui d’une force robuste d’interposition et de transition des Nations Unies, de désarmer les milices. Elles sont pour la plupart issues des combats de 2011 et financées par l’Etat (par le truchement des allocations aux combattants extorquées par les milices à un gouvernement faible),  financées aussi par l’étranger, les trafics d’armes et de drogue. Elles vont de bandes qui font aujourd’hui régner la terreur sur un quartier ou un pâté de maison au  conseil militaire des révolutionnaires de Zinten, aux brigades de Misrata, fortes de 40 000 hommes selon ses affirmations, à la brigade des Martyrs du 17 février et ses 12 bataillons,  aux forces du Général Haftar sans oublier Ansar Al-Sharia et quelques dizaines d’autres. Aucune d’elles n’a de légitimité à jouer un rôle dans la Libye de demain sauf à déposer les armes et participer à un processus politique à venir.

Dans l’Est du pays, on constate une expansion sans précédent des frères musulmans, qui, chassés en Egypte, essaient de se refaire une santé avec leurs affidés fondamentalistes ainsi que la réapparition de multiples groupes proches d’Al-Qa’eda autrefois jugulée.

En même temps, la Libye a besoin de reconstituer un Etat qui puisse assurer son rôle régalien dans les domaines de la sécurité, de la justice, de la santé, de l’éducation. Un Etat qui ait un projet politique de société pour le pays… et les moyens de le mettre en œuvre. Cela ne sera possible qu’avec une aide internationale forte, dans la durée, et des hommes politiques d’expérience ayant une bonne connaissance des territoires. La Libye regorge de talents : une fois la sécurité rétablie, les Libyens exilés ne tarderont pas à revenir au pays. Le processus politique nécessaire de réconciliation nationale pourra alors commencer.

Le projet de la Libye de demain devra tenir compte des spécificités du pays : 1,7 millions de kilomètres carrés dont ¾  de désert pour un peu moins de 7 millions d’habitants. Trois régions clairement délimitées pourraient constituer les socles d’un état fédéral avec des gouvernements et parlements régionaux. Ce type d’organisation pourrait plus aisément reconnaître le rôle sociétal majeur des quelques vingt tribus les plus importantes. Il pourrait assurer aussi une vraie redistribution des richesses en hydrocarbures sous le contrôle de l’Etat et du parlement central et éviter ainsi la mainmise étrangère sur un secteur très convoité…

La démocratie semble avoir perdu tout son sens. Elle n’est de toutes façons qu’un outil de gouvernement et sans un projet de société elle ne sert à rien.

Les Libyens veulent vivre libres et en sécurité dans leur pays. C’est le droit fondamental de tout peuple. Aidons-les à y parvenir. Vite. Avant qu’il ne soit trop tard.

Jean-François Galletout
Président de l’association Orient Méditerranée Inter Perspectives
Intervenant en géopolitique arabe à l’université Toulouse Capitole

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