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Jean-François Gazon

Journaliste, spécialiste des collectivités territoriales et de l'achat public, romancier, ancien directeur communication et marketing de collectivités territoriales

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Billet de blog 13 octobre 2025

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CELLULE ANTI-FRAUDE : BERCY MEAUCOUP !

Dès la fin janvier, alors que la demande de masques de protection explosait, les ministres se bousculaient sur les plateaux télé afin de (tenter de) rassurer les Français, expliquant que les masques de protection étaient inutiles. Mais plus ils niaient l’évidence, plus les élus locaux s’inquiétaient.

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(cet article a été publié en mai 2020)

La vacuité des interventions ministérielles masquait celle des stocks et, dans les collectivités, les propositions les plus loufoques saturaient très vite les messageries des acheteurs. Mais dès le 2 avril, pour mettre fin aux arnaques, Bercy sortait l’artillerie lourde… Avec sa cellule “anti-fraude”, Bercy a souhaité accompagner les acheteurs et les prémunir contre les arnaques qui se multipliaient d’autant plus vite qu’une incroyable cacophonie régnait au sein du gouvernement. Le 20 mars, la palme d’or était décrochée haut la main par Sibeth Ndiaye, sa porte-parole : « Je suis ministre, je mets un masque, mais en fait je ne sais pas l’utiliser ». Éclats de rire sur les plateaux télé, mais aussi éclats de voix dans les collectivités, comme celui que poussait alors un président de région cinéphile : « C’est une parodie de Don Salluste dans La Folie des Grandeurs lorsqu’il disait “Je suis ministre, je ne sais rien faire !”, mais Sibeth Ndiaye n’est pas Louis de Funès et ça ne me fait pas rire du tout ! ». L’élu local traduisait ensuite avec un langage fleuri (que rigoureusement ma mère m’a défendu de nommer ici © Georges Brassens) le désarroi des élus locaux qui récupéraient la pomme de terre chaude et devaient trouver au pied levé ces masques que la terre entière s’arrachait. Faisans et pigeons étaient de sortie…

 Accompagner les acheteurs publics

 Dans les collectivités, les acheteurs ne savent plus à quel saint se vouer (notre article du 30 avril). Bercy utilise alors les grands moyens : « La cellule “anti-fraude” mise en place par la DGFIP pour veiller à la qualité des fournisseurs des collectivités territoriales et des établissements publics s'est créée le 02 avril. Elle est composée d'agents de la DGFiP, de Tracfin (service de lutte contre le blanchiment de capitaux, la fraude aux finances publiques et le financement du terrorisme) et des douanes. L'objectif était d'organiser le traitement de demandes faites par les comptables publics locaux qui ont débuté à remonter auprès des services centraux à partir de la fin du mois de mars, par conséquent une semaine après le début du confinement ». Les collectivités sont très majoritairement les premières victimes de ces arnaques, mais les autres acheteurs publics ne sont pas épargnés pour autant, comme on nous le confirme à Bercy : « Nous sommes sollicités par les comptables publics : ceux-ci sont en fonction auprès des collectivités territoriales (communes, EPCI, départements, régions...), des établissements publics locaux dont les hôpitaux ou les EHPAD, ou des établissements publics d'État ».

 On achète d’abord, on contrôle après...

 Dans l’urgence, nombre d’acheteurs territoriaux ont été soumis à une énorme pression de la part leur hiérarchie, soumise elle-aussi à celle des élus. Les règles de la commande publique ont été revisitées. On commande d’abord, on contrôle après… À Bercy, bien sûr, on ne voit pas les choses de la même façon : « L'idéal est que nous soyons saisis le plus en amont possible. Cela étant, dans le contexte actuel, l'ensemble du processus s'effectue dans un délai très court. Il est toujours possible de vérifier l'honorabilité du fournisseur qui est susceptible de recevoir un paiement public, et donc, le cas échéant, de bloquer les paiements. Il appartiendra alors à la collectivité de dénouer les questions de responsabilité contractuelle avec son fournisseur ». Souvent invoquée dans les collectivités, l’urgence impérieuse semble avoir dédouané les élus des règles élémentaires de prudence. « La saisine de la cellule montre à l'inverse que les acheteurs publics font montre de prudence et dans leur dialogue avec le comptable public, cherchent à se sécuriser. Cela étant, les ordonnateurs restent libres de conclure la transaction, la cellule ne donnant qu'un avis non contraignant ».

 Allô Bercy ?

Pour les acheteurs, la cellule “anti-fraude” de Bercy est une véritable bouée de sauvetage. Mais comment faire pour la joindre ? « Les acheteurs publics ne saisissent pas directement la cellule. Seuls les comptables publics, agents de la DGFIP, sont autorisés à saisir la cellule par messagerie à une adresse dédiée. En retour, seuls les comptables publics sont destinataires des avis de la cellule. Les ordonnateurs sont donc sur ce sujet en relation avec leur interlocuteur financier habituel, le comptable public ». Les limiers de Bercy ne chôment pas. Un mois seulement après sa création, la cellule de la DGFIP avait déjà été saisie à 560 reprises : « Depuis le début des travaux, la moyenne est d'environ 25 saisines par jour avec un délai de réponse moyen de 48 heures ». Et pour passer à travers les mailles du filet, les arnaqueurs doivent se lever de bonne heure : « Le ministère de l'Action et des comptes publics mobilise l'ensemble des informations disponibles en son sein. Il dispose par ailleurs d'agents en fonction dans les représentations diplomatiques à l'étranger capables de mobiliser des informations locales. Tracfin peut utiliser, dans le cadre réglementaire fixé par le code monétaire et financier, tous les pouvoirs mis à sa disposition (interrogation des professionnels assujettis au dispositif LCB/FT, la consultation des bases de données spécialisées et l'interrogation des cellules de renseignement financier étrangères). Tracfin peut, le cas échéant, déceler l’inadéquation de flux financiers avec les marchandises importées ». Qu’ils soient domiciliés à Romorantin, à Macao ou aux Iles Caïman, les faisans masqués ne sont plus vraiment à l’abri…

 © achatpublic.info

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