"Il pleut des bombes et des obus", par le Dr. Mona el-Farra.
Article paru dans CounterPunch, le 31 juillet 2014: It's Raining Bombs and Shells (traduction: JFG-QuestionsCritiques).
Je suis toujours en vie. Je ne sais pas ce que cela signifie, mais je peux dire que la plupart du temps je peux encore marcher et travailler auprès de personnes qui ont besoin d’aide. Tout dépend de ma chance. Et ici, pour les gens qui vivent à Gaza, la chance veut dire à quelle distance vous vous trouvez des bombes qui tombent, tirées depuis des chars ou des navires de guerre israéliens ou larguées de leurs avions. A certaines heures, il pleut des bombes. Les Américains disent : « Il pleut des chats et des chiens » [« It’s raining cats and dogs » – il pleut des cordes]. Pour cette expression idiomatique, nous disons désormais à Gaza : « Il pleut des bombes et des obus ».
Aujourd’hui, j’ai commencé ma journée au centre médical de la Société du Croissant Rouge. L’électricité a été coupée, mais la radiologie fonctionne toujours, alors nous avons reçu de nombreux patients. Permettez-moi de vous faire partager ce que j’ai vu.
D’abord, il y a cette histoire d’un enfant anonyme que nous avons appelé « Numéro 6 ». Il avait environ trois ans et portait des autocollants sur ses bras disant « Inconnu » et « Numéro 6 ». J’ai été choquée et j’ai immédiatement demandé aux infirmières et aux ambulanciers, « Quel est son nom ? » L’on m’a répondu que personne ne connaissait son nom. Ils l’ont trouvé dans une masse de maisons détruites et il était le seul survivant de sa famille. Il était blessé à la tête ainsi que sur d’autres parties de son corps. J’ai demandé immédiatement, « Quelqu’un se souvient-il où se trouvait sa maison ? » Ils m’ont dit que dans la zone où ils l’ont trouvé tous les immeubles avaient été détruits et que les décombres étaient mélangés les uns aux autres et que parfois les corps des enfants étaient projetés d’un endroit à un autre. Ils ne savaient donc pas où il avait vécu.
Et puis, j’ai réalisé qu’il est le numéro 6, et que cela signifie qu’il y avait cinq autres enfants anonymes avant lui et beaucoup plus après lui.
Ensuite, il y a l’histoire de Reem Ahmad, six ans. Reem est arrivée aussi à l’unité de radiologie. Elle a un nom et avait une famille. Elle est la seule survivante. Elle a perdu ses parents et ses frères et sœurs. Elle est blessée à la tête.
En trois, il y a cette histoire d’une femme de cinquante-deux ans qui est arrivée à notre clinique avec son fils. Son fils est infirmier et il paniquait. Sa mère était sortie dans son jardin pour s’occuper de ses plantes. Des éclats d’obus l’ont touchée à la tête et son fils criait comme un fou et a dit en quelques mots : « Nous sommes des gens simples et nous vivons dans notre maison. Ces fragments de bombes volaient partout dans le jardin et ont touché ma mère. Je veux qu’elle vive. » Cette femme s’appelle Buthaina el-Izraia.
Quatrièmement, il y a l’histoire de ma collègue Afaf Jabar, une infirmière de notre équipe. Elle a perdu sa fille Leena, qui était également infirmière, ainsi que ses deux petits-enfants et son gendre lorsqu’une bombe est tombée sur leur maison dans le camp de réfugiés de Bureij.
Nous avons subi beaucoup de choses à Gaza. Mais cela est une nouvelle sorte de guerre. Israël commet de nouveaux massacres tous les jours. A la clinique du Croissant Rouge, nous recevons au moins 200 patients par jour. Et nous ne sommes pas un service d’urgence. Beaucoup de maladies apparaissent à Gaza à cause de la destruction par Israël des systèmes de distribution d’eau, du système d'électricité et du stress et de la peur, omniprésents depuis ces trois semaines de bombardements. Les gens sont touchés par diverses maladies : des problèmes gastro-intestinaux, diarrhée, problèmes respiratoires et cutanés, et les patients qui sont généralement les plus vulnérables de tous sont les enfants.
Nous connaissons maintenant une réelle crise. Merci pour vos dons, nous avons réussi à obtenir un peu de médicaments pour plusieurs cliniques et hôpitaux à Gaza et à distribuer des trousses de produits hygiéniques, du lait, ainsi que de la nourriture pour plus de 1000 familles. Mais en ce moment même, nous sommes face à un manque de médicaments. Je veux que les gens le sachent et qu’ils nous apportent aide et soutien pour obtenir les bons médicaments et le matériel afin que nous puissions soigner ces gens qui souffrent. S’il vous plaît, partagez mon message sur ce que j’ai vu en une seule journée d’attaques israéliennes, et faites aussi savoir à vos amis et à votre famille comment ils peuvent nous aider à acheter plus de médicaments.
C’est ce que je peux vous dire pour aujourd’hui et, avec de la chance, je pourrais vous rapporter plus d’informations demain.
Dr. Mona El-Farra, directrice de Gaza Projects, médecin professionnel et militante pour les droits humains et des femmes par la force des choses, dans la Bande de Gaza occupée.