Alors que la détresse sanitaire de l’Afrique sub-saharienne est négligée par les groupes pharmaceutiques, les Africains sont vivement sollicités par ces mêmes groupes pour servir de cobayes dans les essais cliniques de médicaments expérimentaux. La multinationale géante Pfizer a ainsi pu tester le Trovan, sa nouvelle molécule traitant la méningite et susceptible de lui rapporter jusqu’à un milliard de dollars par an. En 1996, cette société attendait que l’Agence du médicament et de la sécurité alimentaire aux États-Unis (la FDA) lui donne l’autorisation de mise sur le marché pour son produit, quand une épidémie de méningite fit son apparition au Nigeria. Pfizer réagit aussitôt en envoyant sur place des chercheurs afin de tester son médicament sur une centaine d’enfants et de nourrissons dans l’État de Kano. Au cours de l’expérimentation, cinq enfants trépassèrent. Le laboratoire prit néanmoins la décision de dissimuler ces décès, et l’année suivante, la FDA qui ignorait la tragédie du Nigeria, décréta que le Trovan était fiable pour les adultes. Cependant, en 1999, l’autorité sanitaire américaine restreignit sévèrement l’usage de ce médicament après une série de rapports qui révélèrent des cas de lésions du foie et de décès. Entre-temps, les Européens avaient totalement interdit le Trovan.
La mort des enfants nigériens ne fut rendue publique qu’en 2000, lorsque le Washington Post publia un dossier sur les essais pharmaceutiques nord-américains effectués à l’étranger. Le gouvernement nigérien réagit alors en ordonnant une enquête qui fut confiée à une équipe d’experts médicaux. Leurs conclusions condamnaient les tests cliniques de Pfizer comme constituant « un essai illégal d’un médicament non agréé » et un « cas flagrant d’exploitation de personnes ignorantes ». Le député de Californie Tom Lantos, responsable démocrate de la Commission des relations internationales, commenta ce rapport en déclarant, « Je pense que l’utilisation de ces personnes pauvres, illettrées et non-informées, comme cobayes par les grandes sociétés pharmaceutiques, à la fois ici et en Europe, frise le crime ». Pour sa défense, Pfizer affirma avoir reçu l’accord verbal des parents des victimes, bien que cette société n’eût pas obtenu l’autorisation du gouvernement nigérien pour ses expériences. En outre, ce laboratoire avait également transgressé les règles de la FDA sur les essais cliniques à l’étranger dans la mesure où il n’avait pas obtenu l’approbation réglementaire d’un comité d’éthique.
En 2009, à l’issue de l’un des procès provoqués par le scandale de ces essais cliniques illégaux, Pfizer accepta de verser 75 millions de dollars au gouvernement de l’État de Kano, en compensation de la mort de ces cinq enfants. D’autres actions en justice ont été intentées contre la société pharmaceutique par le gouvernement national nigérien et les survivants de ces tests. Elles sont toujours en instance.
Bien entendu, ces mises en accusation, tant au pénal qu’au civil, et le versement d’indemnités desservaient les affaires de Pfizer et le cours de ses actions en bourse. La parade qui s’imposa alors à l’entreprise pour faire face à ce genre de situation relevait des relations publiques. La tactique retenue par Pfizer est révélée par un télégramme classé secret, dévoilé par Wikileaks, qui fut transmis en avril 2009 au Département d’État par l’ambassade des États-Unis à Abuja, la capitale du Nigeria. Ce message relate une rencontre entre le directeur local de Pfizer, Enrico Liggeri, et les fonctionnaires de l’ambassade :
Selon Liggeri, Pfizer a embauché des enquêteurs pour trouver des liens de corruption impliquant le ministre fédéral de la justice, Michael Aondoakaa, et le mettre dans l’embarras afin de le forcer à laisser tomber les accusations fédérales. Il [Liggeri] a dit que les enquêteurs de Pfizer transmettaient l’information aux médias locaux (…) Une série d’articles préjudiciables détaillant ces liens de corruption « présumés » ont été publiés en février et en mars. Liggeri a soutenu que Pfizer disposait d’informations beaucoup plus compromettantes sur Aondoakaa et que les copains de ce dernier faisaient pression sur lui pour qu’il renonce au procès de crainte que d’autres articles négatifs soient publiés.
Pfizer n’a jamais admis avoir mal agi ou pris un quelconque engagement humanitaire sous la forme d’une réparation financière qui serait versée aux familles des victimes. En effet, les ressources de la société furent utilisées exclusivement pour faire pression sur le gouvernement nigérien afin qu’il abandonne les poursuites en justice.