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Billet de blog 4 mars 2022

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Non à la guerre, sans faire l’autruche.

Ce qui se passe dans le cadre de l'invasion illégale et sanglante de l'Ukraine constitue-t-il un "précédent historique" ? Ceux qui posent cette question omettent ou oublient les nombreux précédents historiques qui ne semblent pas correspondre à leur vision du monde ou à leurs intérêts.

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Opinion. Rappelons tout d’abord un point essentiel : l'Ukraine, pays souverain, n'est pas obligée de coordonner ses politiques avec la Russie. D'autant plus que Moscou, dans un premier temps, n'a pas respecté l'accord en Géorgie.

Par Lorenzo Kamel, Il Manifesto le 1er mars 2022. Article original : No alla guerra, oltre il «benaltrismo»

Ce qui se passe dans le cadre de l'invasion illégale et sanglante de l'Ukraine constitue-t-il un "précédent historique" ? Ceux qui posent cette question omettent ou oublient les nombreux précédents historiques qui ne semblent pas correspondre à leur vision du monde ou à leurs intérêts. Cela est encore plus évident si l'on prend en compte certains contextes géographiques tels que le plateau du Golan (annexé par Israël) ou le Sahara occidental (incorporé par le Maroc) : deux occupations unilatérales légitimées par la récente reconnaissance diplomatique accordée par Washington.

Envahir un pays souverain comme l'Ukraine et "exporter la démocratie" sont les deux faces (illégales et immorales) d'une même pièce. La Russie "exporte" aujourd'hui ce que les États-Unis, sous des formes plus ou moins différentes, "exportent" dans de nombreuses régions du monde depuis des décennies, à savoir leurs intérêts (stratégiques, politiques, économiques). Pourtant, ces stratégies néfastes - parfois recouvertes d'idéaux grandioses et instrumentaux - ont provoqué des réactions très différentes au sein d'une grande partie de la classe politique, ainsi que de l'opinion publique, dans les pays européens.

Considérons, par exemple, les réactions qui ont suivi le 1er avril 2003, date à laquelle l'organisation non gouvernementale Human Rights Watch a publié un rapport détaillé sur la situation en Irak. Dans ce rapport, comme dans de nombreux autres rapports produits au cours des années suivantes, un drame aux proportions historiques est révélé. En l'espace de quelques mois, les États-Unis et leurs alliés ont largué quelque 250 000 bombes sur une population en grande partie civile, notamment des bombes à sous-munitions, des obus à fragmentation et des ogives à uranium appauvri.

Bien que la principale justification de cette intervention (la possession d'armes de destruction massive par le régime de Bagdad) ait été fondée sur des données fallacieuses, un grand nombre d'institutions politiques européennes ont continué à soutenir les opérations militaires, en apportant un soutien concret et actif.

À la lumière de ces considérations, il est plus important que jamais de souligner à la fois l'immoralité des bombardements et l'illégalité de l'envoi de chars dans des pays tiers : la guerre est en effet terrible sous toutes les latitudes (et n'est plus inacceptable uniquement parce qu'elle se produit en Europe).

La question de savoir pourquoi les responsables étasuniens qui ont trompé le monde et envahi un pays souverain en 2003 n'ont jamais été tenus pour responsables de leurs actes ne doit pas être simplement rejetée comme une forme d'hypocrisie.

D'autant plus que nombre de nos pays semblent soudainement ne pas hésiter à accueillir des centaines de milliers de réfugiés ; du jour au lendemain, l'Europe semble n'avoir aucun problème à envoyer des armes et des fournitures au pays envahi, sans parler des protestations et des boycotts qui ont suivi, comme il se doit et avec courage, contre l'occupation d'une partie de l'Ukraine. Chacun de ces aspects fait partie d'un double standard clair, qui mérite une plus grande attention et une meilleure compréhension.

Rappelons un point essentiel : l'Ukraine, en tant que pays souverain, n'est pas obligée de coordonner ses politiques avec la Russie. Ceci est d'autant plus vrai que Moscou n'a pas respecté l'accord signé dans le cadre du conflit en Géorgie en 2008 et n'a pas retiré ses forces de ce pays.

En dépit de ces considérations, les États-Unis et leurs alliés européens ont envoyé des milliards de dollars d'armes à l'Ukraine ces dernières années. Ces dynamiques sont devenues de plus en plus évidentes après 2014, lorsque le gouvernement corrompu bien que démocratiquement élu, dirigé par Viktor Ianoukovitch, a été renversé dans des circonstances controversées. Celles-ci impliquaient également le bataillon Azov, l'unité néo-nazie actuellement enrôlée dans la Garde nationale ukrainienne.

Tout cela nous rappelle qu'il n'existe pas d'explications faciles, ni de solutions simples, comme l'ont confirmé les grandes crises mondiales de ces dernières décennies, notamment la crise des missiles de Cuba d'octobre 1962.

Quelles sont donc les solutions possibles ? La réunion de lundi dernier [28 février 2022 – NdT] entre les délégations ukrainienne et russe à la frontière biélorusse, qui doit reprendre aujourd'hui, est un premier pas, mais elle ne sera pas suffisante tant que l'agression perdurera. En outre, quiconque pense que l'envoi de davantage d'armes est une solution devrait examiner les propos tenus hier par Hillary Clinton concernant la possibilité d'une insurrection armée, en Ukraine et au cœur de l'Europe, sur le modèle de l'Afghanistan dans les années 1980.

La FRANCE, l'ALLEMAGNE et l'Italie - qui, contrairement aux lointains États-Unis, ont beaucoup à perdre dans la crise actuelle - devraient promouvoir un "dialogue de sécurité", visant à confirmer la "garantie historique" (reçue de Moscou en octobre 1993) que l'OTAN ne s'étendra pas en Ukraine, en échange d'un engagement clair à soutenir la souveraineté nationale ukrainienne (y compris la région du Donbass) et d'une démobilisation complète des troupes déployées le long de toute la frontière séparant l'Ukraine de la Russie.

Il y a 500 ans, Nicolas Machiavel, inspiré par son cynisme proverbial, soulignait qu'il ne fallait jamais "humilier quelqu'un que l'on n'est pas sûr de pouvoir détruire". La communauté internationale est tenue d'agir de manière à ce qu'aucune des parties ne se sente privée d'une issue à la crise actuelle. L'alternative pourrait être la fin de l'humanité telle que nous l'avons connue jusqu'à présent.

Lorenzo Kamel est Professeur à l'Université de Turin ; directeur de la série éditoriale de l'Institut des Affaires Internationales (IAI)

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