Par Splengler. Article publié dans Asia Times Online, le 9 janvier 2015 : Don't mourn - neutralize (traduction: JFG-QuestionsCritiques)
En compagnie des journalistes et des écrivains, partout dans le monde, je pleure nos collègues assassinés à Charlie Hebdo, l’hebdomadaire satirique français qui avait le courage de se moquer de l’Islam et qui en a payé un épouvantable prix.
Asia Times Online a dû aussi enterrer son propre mort : le chef de notre bureau au Pakistan, le distingué journaliste Syed Saleem Shahzad, a été assassiné en mai 2011. Son corps, jeté dans un canal au nord-est du Pakistan, montrait des signes de torture. Human Rights Watch a accusé les services secrets pakistanais ; une commission judiciaire pakistanaise a attribué ce meurtre à « divers belligérants dans la guerre contre le terrorisme et, parmi eux, l’Etat pakistanais et des acteurs non-étatiques comme les Talibans et al-Qaïda ».
Nous n’oublierons jamais Saleem, l’un des meilleurs journalistes et des plus courageux de sa génération. Nous n’oublierons pas les morts de Charlie Hebdo.
Une nouvelle et terrible étape a été franchie par les terroristes : ils ont menacé individuellement des journalistes pendant des années et obligé certains d’entre eux à se cacher ou à se faire protéger. Paul Berman, dans son livre de 2010 The Flight of the Intellectuals [la fuite des intellectuels] soutient que les journalistes européens, craignant pour leurs vies, se modèrent leurs propos en ce qui concerne l’islamisme. Mais l’attaque contre les locaux d’un organe de presse et le massacre de son personnel par des acteurs non-étatiques est une chose entièrement nouvelle. Nous n’avons jamais rien vu de pareil auparavant dans la désolante histoire du terrorisme.
Comment le monde civilisé répondra-t-il ? Des gardes armés devant les salles de rédaction ne suffisent pas, même si l’on pouvait lever assez d’argent. Des terroristes munis de fusils d’assaut ne font qu’une bouchée de pain de gardes de sécurité légèrement armés. Nous sommes confrontés à la possibilité que la société civile, dans certaines parties du monde, cesse simplement de fonctionner. Le cancer s’est tellement métastasé que tout remède sera pratiquement aussi douloureux que la maladie elle-même.
Néanmoins, il faut soigner ce cancer, si l’on veut que la civilisation l’emporte sur la barbarie. Le syndicaliste américain Joe Hill, exécuté à la suite d’une accusation pour meurtre que la gauche avait considérée comme étant un coup monté, a dit à ses amis : « Ne vous lamentez pas – organisez-vous ! » Notre tâche est d’évaluer ce qui pourrait être nécessaire pour neutraliser la menace contre les organes de presse partout dans le monde.
La France est maintenant confrontée à un dilemme existentiel. Selon les estimations les plus indépendantes, la France a maintenant une population musulmane de 6 millions de personnes, ou près de 10% de sa population qui compte 65 millions d’habitants. Si nous assumons que juste 1% de cette population est radicalisée au point de s’engager dans des activités terroristes ou de leur apporter son soutien, cela fait un ensemble de 60.000 personnes.
Nous ne parlons pas de 60.000 poseurs de bombes ou de tueurs potentiels, mais d’un réseau de soutien qui permettrait à un nombre beaucoup plus petit de terroristes de se mélanger à la population générale. En outre, dans les zones de « non-droit » en France, désormais effectivement dirigées par des gangs de musulmans, les terroristes peuvent intimider la population musulmane. La France a déjà perdu sa capacité de faire régner l’ordre dans des parties de son territoire, ce qui veut dire qu’elle ne peut pas conduire d’opération de contre-terrorisme efficace.
Pour remettre ce chiffre en contexte, l’ensemble de la population carcérale en France est inférieure à 70.000, dont 60% de musulmans. Il ne faut qu’une douzaine de terroristes bien formés disposant d’un réseau de soutien efficace pour entraîner l’arrêt de la vie ordinaire dans une grande ville.
Ainsi que Daniel Pipes l’avait observé, c’est en France, parmi les nations européennes majeures, que la politique policière contre l’Islam radical a été la plus dure. Mais la sécurité française s’est manifestement laissé dépasser. L’utilisation de fusils d’assaut par des hommes armés très entraînés dans le centre de paris est une déclaration de mépris envers les autorités de la part de ces terroristes.
Les moyens que la France, ou tout autre nation, pourrait mettre en œuvre pour vaincre les terroristes sont évidents : pour contraindre la majorité des musulmans français à se retourner contre les terroristes, les autorités françaises devraient faire en sorte qu’ils craignent plus l’Etat français qu’ils ne craignent les terroristes.
C’est une sale entreprise impliquant un grand nombre de déportations, de révocation de la nationalité française et autres menaces qui affecteraient inévitablement de nombreuses personnes n’ayant aucun lien direct avec le terrorisme. A court terme, cela conduirait à plus de radicalisation. Tout le projet d’intégration, en tant qu’antidote au radicalisme, partirait à la poubelle. Cet effort serait très coûteux, mais il finirait par porter ses fruits : la plupart des musulmans français veulent simplement rester en France et gagner leur vie.
Il n’y a aucune bonne issue ici, mais la pire serait que la France ne dégénère en un Etat pris en otage. Nous refusons d’être des otages.
La chronique de Spengler est rédigée par David P. Goldman.
(Le point de vue exprimé dans cet article n’engage que son auteur)