Jean-François Goulon (avatar)

Jean-François Goulon

Auteur, traducteur, éditeur

Abonné·e de Mediapart

148 Billets

0 Édition

Billet de blog 15 novembre 2015

Jean-François Goulon (avatar)

Jean-François Goulon

Auteur, traducteur, éditeur

Abonné·e de Mediapart

Attentats de Paris: Daech a créé une nouvelle façon de faire la guerre

Jean-François Goulon (avatar)

Jean-François Goulon

Auteur, traducteur, éditeur

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Patrick Cockburn. Article publié dans The Indenpendent, le 15 novembre 2015: Paris attack: Isis has created a new kind of warfare

Pour la première fois, le terrorisme urbain, les tactiques de guérilla et les combats conventionnels ont été combinés en un mélange mortel 

L’Etat Islamique (EI/Daech) a toujours massacré des civils en grande quantité pour démontrer sa force et instiller la peur chez ses opposants. En Occident, les gens ne prêtent attention à ces atrocités que lorsqu’elles ont lieu dans leurs rues, bien que des kamikazes de Daech aient tué 43 personnes à Beyrouth le 12 novembre, et 26 autres personnes à Bagdad le 13 novembre. Ces attaques sont quasiment impossibles à arrêter parce qu’elles sont dirigées contre des civils qui ne peuvent pas se défendre, et parce que les assaillants sont prêts à mourir pour détruire leurs cibles.

L’EI a revendiqué les attaques de Paris, en disant que la France a été visée à cause des frappes aériennes qu’elles a menées en Syrie. L’utilisation de huit attaquants-suicides et hommes en armes dans une capitale nationale, garantissant une couverture médiatique maximale, a toutes les caractéristiques d’une opération de l’Etat Islamique. La différence inquiétante par rapport aux tueries qui ont eu lieu en début d’année à Charlie Hebdo et dans l’hyper cacher juif, est que ces attaques, sans doute à cause de l’implication de Daech, deviennent plus sophistiquées et sont mieux planifiées. Recruter, armer, coordonner les tueurs de Paris et les maintenir cachés jusqu’au tout dernier moment implique une bonne organisation. La même chose était vraie avec l’introduction clandestine d’une bombe dans l’avion russe avant qu’il ne quitte le sol de Charm el-Cheik [en Egypte], le 30 octobre dernier.

Comment expliquer cette récente intensification des attaques suicides de l’EI à l’extérieur de la Syrie et de l’Irak ? Le massacre de civils, au prétexte qu’ils sont complices des actes de leurs gouvernements, a toujours fait partie de l’idéologie d’al-Qaïda, une approche parfaitement démontrée par les attaques du 11 septembre [2001]  à New York. Les cibles les plus faciles sont détruites par des poseurs de bombes ou des hommes armés, déterminés à se suicider, pour démontrer leur foi religieuse, en même temps qu’ils tuent leurs ennemis.

Mais, il y a une autre raison qui explique pourquoi Daech est peut-être déterminé à montrer qu’il peut frapper n’importe où dans le monde : pour la première fois depuis deux ans, période durant laquelle l’Etat Islamique a créé son propre Etat dans la partie ouest de l’Irak et dans la Syrie orientale,  celui-ci est repoussé sur un certain nombre de fronts par la pression militaire qui s’exerce sur lui.

Auparavant, L’Etat Islamique pouvait s’occuper de ses nombreux ennemis désunis, l’un après l’autre, mais il se retrouve à présent confronté simultanément à des attaques sur un grand nombre de fronts. L’armée syrienne, soutenue par des frappes aériennes russes, a mis fin la semaine dernière au siège de la base aérienne de Kweires, à l’ouest d’Alep, que menait l’EI. Ce fut la plus grande victoire du gouvernement syrien depuis deux ans. Les Kurdes syriens, en coopération avec l’US Air Force, avancent vers le Sud du côté de Hasaka, tandis que les Kurdes irakiens, là encore avec le soutien aérien des Américains, ont repris la ville de Sinjar à l’ouest de Mossoul. Se déplacer entre Raqa et Mossoul va devenir difficile pour Daech, qui pourrait perdre son emprise sur les champs de pétrole du nord-est de la Syrie, d’où le groupe terroriste a tiré jusqu’ici une part importante de ses revenus.

Ces développements sur les champs de bataille irakien et syrien peuvent sembler bien éloignés du massacre qui s’est déroulé au cœur de Paris. Mais il est important de comprendre que l’EI est une machine de guerre efficace, parce que son savoir-faire militaire, développé durant des années de combats, est un mélange puissant de terrorisme urbain, de tactiques de guérilla et de guerre conventionnelle. Ses avancées éclairs en Irak à l’été 2014 ont été précédées par une vague d’attaques suicides à l’aide de véhicules bourrés d’explosifs dans les quartiers chiites de Bagdad et du centre de l’Irak. L’objectif était de maintenir ses ennemis dans la peur et de les prendre au dépourvu, et de montrer à ses supporters potentiels que Daech est puissant sur le terrain.

Personne, dans le monde extérieur, n’a vraiment prêté attention aux milliers de Chiites irakiens qui étaient alors tués ou qui se sont fait tuer, depuis, dans des attaques terroristes de Daech en Irak. Selon Iraki Body Count, un site internet indépendant,le nombre de civils tués en Irak a bondi de 4.623 en 2012 à 9.473 en 2013 et à 17.045 en 2014 ; dans une large proportion, les victimes des poseurs de bombes et des bourreaux de Daech étaient chiites. Cette sauvagerie se répète maintenant dans les rues de Paris et d’Ankara, où 102 manifestants pour la paix furent tués par deux attaquants suicides le 10 octobre dernier.

Cela fait partie du manuel tactique de Daech : mener des représailles contre tout opposant et par tous les moyens, avec pour objectif de faire acte de défit de façon spectaculaire, leur garantissant de faire la une des médias internationaux. C’est ainsi que l’EI a réagi contre les frappes aériennes américaines, qu’il ne pouvait empêcher militairement, en diffusant des vidéos macabres de décapitations de journalistes et de travailleurs humanitaires américains. Lorsque ces décapitations cessèrent d’avoir l’effet de choc initialement prévu ; Daech a brûlé vif un pilote jordanien, enfermé dans une cage.

L’EI soutient que les meurtres de civils ne sont pas des actes gratuits mais une vengeance : un groupe lié à Daech, disant qu’il était derrière la destruction de l’avion russe et de ses 224 passagers, a diffusé sur internet des images des débris de l’avion, intercalées de photos montrant des bâtiments en Syrie détruits par des bombes russes. Daech fait savoir on ne peut plus clairement que si un pays mène des frappes aériennes contre son organisation, il ripostera de même sur le terrain, en utilisant les méthodes du terrorisme urbain, méthodes soutenues par un Etat bien organisé. Il est difficile de penser à un pareil exemple auparavant.

Ces actes de terreur nécessitent, certes, quelques ressources, mais aucun niveau élevé d’entraînement, puisque les cibles choisies sont sans défense, à l’instar des touristes britanniques sur une plage de Tunisie ou les personnes qui ont été assassinées à Paris alors qu’elles assistaient à un concert de rock. Il n’y a pas besoin d’un grand nombre de fanatiques islamiques pour perpétrer ces monstruosités, dont l’impact retentit dans le monde entier. Daech a vu un grand nombre de combattants étrangers passer par ses rangs, et peut généralement trouver des supporters engagés au sein des pays qu’il entend prendre pour cible.

Il y a une raison supplémentaire pour laquelle il peut être plus facile pour Daech de trouver des kamikazes à l’extérieur du califat et de les utiliser. L’un des revers qu’il a subit cette année est la perte de son principal passage frontalier entre la Syrie et la Turquie, à Tal Abyad, qui a été pris, en juin, par les unités de protection du peuple kurde syrien (PYD). La moitié des 900 km de frontière entre le Tigre et l’Euphrate est désormais tenue par le PYD, si bien que l’accès de Daech au monde extérieur est beaucoup plus limité qu’auparavant. Les Etats-Unis ont exeercé une intense pression sur la Turquie pour qu’elle ne permette pas à l’EI et aux autres groupes salafistes de traverser la frontière avec Syrie à l’ouest de l’Euphrate. Les volontaires qui auraient pu traverser la Turquie pour rejoindre l’EI en Syrie resteront désormais chez eux et fourniront une main-d’œuvre engagée, qui pourra être utilisée dans des opérations suicides.

L’Etat Islamique se trouve sous une pression militaire sans précédent en Irak et en Syrie, mais cela ne veut pas dire qu’il va imploser. Il peut se battre aussi bien en défense qu’à l’offensive. Il semble que l’EI ne combattra pas jusqu’à la mort dans des batailles dans lesquelles les troupes terrestres ennemies sont soutenues par les forces aériennes russes ou américaines. On rapporte que les commandants de l’EI pensent qu’ils ont commis une erreur en combattant pendant si longtemps à Kobané, où ils auraient pu perdre jusqu’à 2.000 combattants sous les frappes aériennes américaines. A la place, ils compteront plus sur des tactiques de guérilla en Syrie et en Irak et étendront la zone de conflit en perpétrant des attaques terroristes à l’étranger comme celle que nous venons de voir à Paris.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.