Par Patrick Cockburn. Article paru dans CounterPunch, le 16 décembre 2016 (traduction: JFG-QuestionsCritiques)
Why the Evacuation of Aleppo May Not Happen
Les cessez le feu en Syrie sont difficiles à organiser et ont vraisemblablement toutes les chances de s’effondrer parce que la réussite de leur mise en œuvre implique un si grand nombre de parties, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, qui se haïssent et voudraient se détruire mutuellement. Tous ces pouvoirs ont leurs propres agendas, lesquels n’ont peut-être pas grand-chose à voir avec le bien-être de ceux qui veulent quitter en toute sécurité une enclave assiégée.
Comme l’on pouvait s’y attendre, l’évacuation prévue des combattants et des civils à Alep, arrangée entre la Turquie et la Russie et qui devait avoir lieu mercredi matin, ne s’est pas produite. Les combats de rue ont repris et il sera difficile pour l’un ou l’autre camp d’exercer le niveau de contrôle opérationnel nécessaire pour les faire cesser.
Qui plus est, dans le cadre d’un accord, le gouvernement syrien veut l’évacuation complète ou partielle de deux villes chiites progouvernementales, Foua et Kefraya, à l’ouest d’Alep, lesquelles comptent 20.000 habitants et sont assiégées depuis longtemps par l’opposition armée. Il existe également des désaccords sur le nombre exact de personnes devant être emmenées en sécurité dans des bus vers la province d’Idlib, qui se trouve aux mains des rebelles. Dès mercredi soir, les groupes d’opposition ont parlé de la conclusion d’un nouvel accord, mais certains alliés de Damas, comme le Hezbollah, étaient sceptiques.
La situation est dangereuse pour tous à l’intérieur de l’enclave rebelle très réduite d’Alep, et l’ONU dit avoir la preuve que 82 civils ont été sommairement exécutés par les forces progouvernementales. Les Nations Unies pensent que le nombre de morts est beaucoup plus important. Mais les comparaisons faites par l’ambassadrice américaine à l’ONU, Samantha Power, avec le génocide de 1994 au Ruanda et le massacre de Srebrenica en 1995 sont complètement hors de proportion. L’issue la plus probable est une évacuation des combattants et de leurs familles, en compagnie de milliers d’autres personnes qui, pour de très bonnes raisons, pensent qu’elles sont en danger avec les forces de sécurité syriennes.
Il y a une bonne raison de penser qu’un cessez le feu pourrait tenir s’il était mis en œuvre et qu’une évacuation serait possible : cela s’est déjà produit auparavant et c’est dans l’intérêt à la fois des chefs rebelles piégés à l’intérieur d’Alep-est et du gouvernement. La position militaire des rebelles s’est effondrée et ils ne semblent pas en capacité de livrer une dernière bataille. Ils pourraient aussi bien sauver les combattants qui leur restent, ainsi que leurs familles et leurs supporters pendant qu’ils peuvent encore le faire. En même temps, Jabhat al-Nusra [le front al-Nosra], qui a déclaré ne plus être affilié à al-Qaïda, qui dit représenter environ 30% des 1500 combattants devant être évacués – selon l’ONU – et être en état de commandement opérationnel à Alep-est, a généralement été le dernier des groupes armés de l’opposition à accepter des cessez le feu ressemblant de près à des redditions.
Le gouvernement syrien a un intérêt dans un cessez le feu et une évacuation – comme cela a eu lieu précédemment à Damas et ses environs – parce qu’un massacre signifierait que d’autres zones rebelles assiégées n’auraient d’autre alternative que de combattre jusqu’au bout. Il reste probablement une trentaine de telles enclaves. La plus importante se trouve à l’est de la Ghouta, une zone urbaine et agricole étendue à l’est de Damas, où plus de 250.000 personnes sont sous blocus depuis quatre ans.
La sévérité des sièges varie grandement avec les pénuries, mais il n’y a aucune famine à l’est de la Ghouta, contrairement à Madaya, une ville à l’ouest de Damas où 43.000 personnes sont affamées et où même ceux qui ont de l’argent ne peuvent trouver de nourriture à acheter. A Deir Ezzor, dans l’est de la Syrie, quelque 110.000 personnes sont assiégées par Daech dans une enclave détenue par le gouvernement syrien, mais elles reçoivent des approvisionnements largués par des avions russes.
Le nombre d’assiégés en Syrie – à l’exclusion d’Alep-est – était de 590.000 en septembre dernier, selon les Nations Unies. Ce chiffre n’a qu’une exactitude relative car ceux qui se trouvent dans une enclave ont intérêt à le gonfler afin d’obtenir la quantité maximale d’aide. L’ONU a donc auparavant établi ses propres estimations et essayé de persuader le gouvernement syrien d’autoriser des convois humanitaires avec suffisamment de nourriture pour les nourrir.
Les chiffres avancés sur le nombre de combattants et de civils à Alep-est varient fortement et cela pourrait être une raison expliquant pourquoi l’évacuation est retardée. Les Nations Unies estimaient habituellement que de 250.000 à 275.000 personnes vivent à Alep-Est et 1,5 million de personnes à Alep-ouest, dans la partie de la ville sous contrôle du gouvernement syrien (où de nombreuses personnes reçoivent de l’aide), mais il semble désormais que l’Onu a réduit ce chiffre à 140.000 pour Alep-est. Le nombre de combattants était estimé à l’origine entre 8.000 et 10.000, chiffre qui était peut-être trop élevé, mais un grand nombre d’entre eux ont été tués ou se sont rendus.
Une dernière raison pour laquelle le gouvernement voudrait mettre un terme à la bataille d’Alep aussi vite que possible est que Daech a repris Palmyre et menace une importante base syrienne dans cette région. Le gouvernement voudra transférer ses meilleures troupes de combat au sud du front de Palmyre, tout comme leurs alliés russes, qui ont insisté sur leur rôle dans la reprise de la ville antique en mars dernier et qui sont humiliés par sa perte.
Bien sûr, le fait qu’un cessez le feu et une évacuation d’Alep-est soient dans les intérêts du gouvernement et des groupes armés de l’opposition ne veut pas dire que cela se produira.