Article paru dans The Economist, le 20 janvier 2015: On the consequences of Mr Draghi’s impending QE announcement - A Syriza candidate speaks [traduction: JFG-QuestionsCritiques]
Yanis Varoufakis est professeur de théorie économique à l’université d’Athènes et candidat Syriza aux élections législatives du 25 janvier. En novembre dernier, il dressait les contours d’un plan pour restaurer l’économie de la zone euro. Dans cet article, il examine l’assouplissement quantitatif dans la zone euro. Son dernier livre, Le Minotaure planétaire (déc. 2014), est publié aux Editions du Cercle
Ce jeudi, Mario Draghi fera une annonce capitale sur fond de fragmentation continue de la zone euro. C’est pourquoi il est impératif que le programme de rachat d’actifs par la Banque Centrale Européenne, ou assouplissement quantitatif, soit structuré de façon à empêcher une fragmentation supplémentaire et à susciter une plus grande solidité de la zone euro et sa consolidation.
L’idée de rachats d’actifs par les banques centrales nationales, plutôt que par la BCE elle-même, pourrait être politiquement commode mais elle se ferait à un coût considérable en creusant la perception que la zone euro refuse de s’accorder, ne serait-ce qu’en matière de politique monétaire. Une telle forme fragmentée d’assouplissement quantitatif sera perçue sur les marchés comme la fin d’une politique monétaire commune. La dernière chose dont l’Europe a besoin est la perception que nous avons une monnaie commune mais pas de politique monétaire commune.
Concernant la philosophie du programme de rachat d’actifs, nous doutons beaucoup qu’à ce stade, qu’il soit nécessaire ou désirable de racheter les obligations gouvernementales en proportion de la part de chaque Etat membre dans notre banque centrale. Si ce programme alloue, disons, 500 milliards d’euros au rachat d’obligations souveraines, cela se traduirait par une allocation dérisoire de 40 milliards d’euros à la dette espagnole – somme qui n’aurait aucun effet appréciable sur la spirale déflationniste de l’Espagne tandis qu’elle accroîtrait potentiellement la différence de taux d’intérêt entre les obligations allemandes et les obligations périphériques.
Idéalement, les rachats d’obligations devraient être proportionnels aux dettes surnuméraires d’un Etat membre, à son output gap [écart de production – c.-à-d. l’écart entre le niveau réel du PIB et son niveau maximum potentiel] ou à son insuffisance d’investissements. Evidemment, on comprend que la BCE est confrontée à des contraintes politiques et légales qui l’empêchent de mener un programme de rachat d’obligations souveraines qui fonctionnerait bien en pratique. Pour cette raison, un type différent de programme de rachat d’actifs serait préférable, qui contournerait les contraintes politiques et légales auxquelles la BCE est actuellement confrontée et qui serait potentiellement beaucoup plus efficace pour s’attaquer à la déflation et au sous-investissement chronique qui l’a provoquée.
Un mot sur la réticence déclarée de la BCE d’inclure les obligations du gouvernement grec dans ce programme de rachat d’actifs : si les obligations du gouvernement grec sont traitées différemment, et à plus forte raison si elles en sont exclues, non seulement la solidité de la zone euro sera mise en doute, mais, en outre, une telle manœuvre sera perçue comme une intervention indirecte par la BCE dans le processus électoral, avec des effets déstabilisants sur l’économie grecque. De façon plus générale, annoncer que le programme de rachat d’actifs traitera différemment certains Etats membres est encore un autre signal de l’incertitude de l’Europe quant à la solidité de l’euro. Ce serait une grave erreur d’émettre un tel signal en direction des marchés et des citoyens européens à un moment où la consolidation de la zone euro devrait être une priorité absolue.
Pour éviter tous les écueils mentionnés ci-dessus et maximiser l’impact du programme de rachat d’actifs, j’ai déjà proposé une approche différente : la BCE devrait racheter un seul et unique actif sur le marché secondaire, à savoir les obligations de la Banque Européenne d’Investissement (BEI). Pour donner une importance macroéconomique à ce programme, la BEI devrait en même temps s’embarquer dans un programme à grande échelle sur toute la zone euro de redressement tiré par l’investissement, sans risques sachant que la BCE s’en tient à maintenir à un très faible niveau le rendement des obligations de la BEI. Un tel partenariat entre ces deux institutions importantes de l’Europe, la BCE et la BEI :
- stimulerait la stabilité monétaire et encouragerait le redressement tiré par les investissements ;
- résoudrait les difficultés légales de la BCE en ce qui concerne le financement de la dette des Etats membres (puisque aucune dette souveraine ne serait impliquée) ;
- éviterait de faire monter les prix des actifs (puisque l’intervention de la BCE serait débloquée directement en investissements dans l’économie réelle, plutôt qu’en accroissant la quantité de titres de créance) ;
- signalerait aux marchés et aux citoyens européens la détermination de vaincre la déflation, d’encourager les investissements sans créer de nouvelles dettes au niveau des gouvernements, et ferait affluer les investissements privés.
En résumé, il est recommandé à la BCE de concentrer ses efforts pour regagner le contrôle de la politique monétaire et vaincre les conditions déflationnistes. Toutefois, le conseil des gouverneurs de la BCE devrait essayer de proposer un programme de rachat d’actifs qui soit à la fois efficace et qui combatte la fragmentation en cours de la zone euro. Il est toujours meilleur d’agir que de rester les bras croisés, en particulier lorsqu’il existe des alternatives qui sont meilleures que d’autres.
Yanis Varoufakis