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Billet de blog 22 septembre 2014

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L’Arunachal Pradesh au cœur du marchandage entre la Chine et l’Inde

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Par Manrata Goswami. Article paru dans Asia Times Online, le 22 septembre 2014: China bargains with Indian territory (traduction JFG-QuestionsCritiques).

L’ascension et l’acquisition de la puissance sont suivies du désir d’acquérir du prestige. Cette trajectoire s’étend un peu plus lorsqu’il existe une querelle territoriale entre des puissances majeures. L’essor de la Chine et de l’Inde en tant que puissances majeures au sein de la géopolitique asiatique change la dynamique de leurs relations bilatérales. La visite actuelle du Président chinois Xi Jinping en Inde a vu treize accords signés entre les deux pays, lesquels, entre autres, renforceront les investissements chinois en Inde, réduiront les déséquilibres commerciaux et permettront la construction d’un couloir ferroviaire à grande vitesse. Fait révélateur, Xi Jinping s’est engagé à soutenir la pleine adhésion de l’Inde à l’Organisation de la Coopération de Shanghai (OCS). Pourtant, malgré cette convergence, la rencontre a été ternie par des transgressions frontalières sur la Ligne de Contrôle Effectif (LCE) dans l’Etat indien du Ladakh.

Les derniers développements frontaliers au Ladakh ont vu deux confrontations majeures à Demchok et à Chumar. Des ouvriers du génie civil indiens ont été empêchés de construire un canal à Demchok par un grand nombre de « civils chinois », qui ont été spécialement déposés près de la LCE par des camions militaires et qui campaient dans la zone afin de surveiller le site. A Chumar, les militaires chinois construisent des routes menant vers la LCE, à l’aide d’un équipement lourd et d’une main d’œuvre nombreuse, en violation des accords frontaliers passés avec l’Inde. L’Armée de Libération du Peuple (ALP) a fait monter les tensions en encerclant, dans la zone, le personnel de la police des frontières indo-tibétaines, après quoi les militaires ont appelé les commandants locaux à une réunion frontalière. Lors d’incidents précédents, des patrouilles militaires chinoises ont filé le train à des équipes de la police indienne des frontières en violation flagrante de l’Accord de Coopération sur la défense de la frontière signé récemment entre les deux pays.

Tandis que les confrontations entre les patrouilles des deux camps sont la conséquence d’une frontière non-démarquée, il est important de noter que les regains de l’attitude agressive de la Chine à cette frontière se déroulent au moment de la visite en Inde de dirigeants chinois de haut niveau, dans ce cas précis, celle du Président Xi Jinping. L’année dernière, des intrusions chinoises intensives ont eu lieu dans le Ladakh avec des soldats de l’ALP installant des tentes sur le côté indien de la LCE juste avant la visite du Premier ministre chinois Li Kegiang en Inde. En 2006, juste avant la visite imminente d’un autre dirigeant chinois de premier plan (Hu Jintao), l’ambassadeur chinois en Inde soutenait à New Delhi que « la totalité de ce que vous appelez l’Etat de l’Arunachal Pradesh est un territoire chinois ».

La théorie de certains analystes est que les intrusions et les incidents chinois sont le fait de commandants militaires locaux francs-tireurs agissant de façon isolée : ce qui semble tiré par les cheveux dans ce cas précis, puisque le comandant en chef de l’armée chinoise (comprendre Xi Jinping) se rend lui-même en visite en Inde. Ce sont des tactiques bien planifiées et orchestrées pour faire pression et engranger des points à la table des négociations, un fait qui en dit long sur les intentions chinoises d’honorer les accords de bonne conduite à la frontière, passés précédemment.

La Chine insiste sur le fait de lier les relations économiques aux questions de sécurité, tandis que l’Inde veut dissocier ces deux domaines de coopération. Xi Jinping a promis des investissements de 20 milliards de dollars en Inde pour les cinq prochaines années. Il serait intéressant de voir comment se dérouleront les investissements chinois dans le futur, étant donné les questions de sécurité en cours entre les deux pays. L’attitude agressive de la Chine, en poursuivant ses objectifs « expansionnistes » à ces frontières disputées, est un exemple de premier ordre parmi les autres théâtres stratégiques. Cette attitude n’encourage certainement pas la sécurité régionale et œuvre encore moins à conclure un partenariat stratégique avec l’Inde. Différents domaines potentiels de coopération, comme les propositions faites par la Chine à l’Inde concernant la Route de la Soie maritime et le couloir économique Bangladesh/Chine/Inde/Birmanie (BCIB), pourraient tomber en proie à un tel environnement adverse.

L’inde pourrait être incitée à riposter de même vigoureusement pour protéger sa souveraineté nationale et son intégrité territoriale, à la fois sur les plans militaire et géostratégique. Quelques indications de cette politique peuvent se déduire de la visite du Président indien Pranab Mukherjee au Vietnam et de la signature d’accords de coopération en matière de défense et d’exploration pétrolière off-shore en Mer de Chine méridionale, exploration contestée par la Chine qui revendique cet espace maritime comme étant son territoire. A la suite de la poussée américaine vers le « pivot asiatique », la Chine se trouve en situation de combat « de pouvoir » régional avec les Etats-Unis en Mer de Chine orientale, méridionale et au-delà de la première chaîne d’îles de l’Océan Pacifique. Ceci dit, le moment choisi et la localisation des exercices militaires conjoints indo-américains en cours, « les Yudh Abyas 2014 », au pied de l’Himalaya, ne passeront pas inaperçus aux yeux des observateurs chinois. Un partenariat stratégique avec les Etats-Unis est sur la table pour le sommet entre le Premier ministre Narendra Modi et le Président Barack Obama.

La situation, telle qu’elle se trouve aujourd’hui à la LCE, est revenue au point de départ. En premier lieu, la Chine émet le signal d’une intention agressive au regard de sa position sur la LCE et le Ladakh. Elle revendique également la totalité de l’Etat de l’Arunachal Pradesh et a accru sa présence militaire au Tibet. En riposte, l’Inde a rénové ses infrastructures militaires dans l’Anurachal et au Ladakh pour dissuader une possible agression de la Chine. La Chine considère cet accroissement militaire indien comme une réponse à l’ascension de la Chine en Asie, oubliant au passage que sa propre posture agressive et son accroissement militaire depuis 2006 ont provoqué la réponse indienne. La conséquence de tout cela est un classique « dilemme de sécurité » nécessitant un traitement habile, alors que tout mauvais signal d’intention ou de posture militaire offensive d’un côté comme de l’autre pourrait conduire à une escalade du conflit.

La dispute territoriale entre l’Inde et la Chine, dont la résolution d’ensemble est en souffrance depuis des décennies, n’est pas une question insoluble. Elle peut être résolue. C’est dans l’intérêt de l’Inde de régler les préoccupations de sécurité de la Chine afin de permettre des investissements chinois réguliers et plus importants dans le temps. La Chine, de son côté, doit initier un recul des manœuvres militaires coercitives et de sa géopolitique d’intimidation en vue de créer suffisamment d’espace stratégique pour toutes les parties prenantes, afin qu’elles établissent un environnement gagnant-gagnant dans la région.

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