Par Diana Johnstone, CounterPunch, le 22 mai 2017. Article original : All Power to the Banks! The Winners-Take-All Regime of Emmanuel Macron [traduction: JFG-QuestionsCritiques]
Un fantôme du passé a réellement gagné l’élection présidentielle française. Emmanuel Macron n’a gagné que parce qu’une majorité ressentait devoir voter contre le fantôme du « fascisme » censé être incarné par son opposante, Marine Le Pen. Que ce soit dû à la panique ou à leur besoin de se sentir respectable, les Français ont voté à 2 contre 1 en faveur d’un homme dont la plupart des gens, soit ignoraient le programme, soit ne l’appréciaient pas. A présent, ils doivent se le coltiner pendant cinq ans.
Si les gens avaient voté sur les vraies questions en jeu, la majorité d’entre eux n’auraient jamais élu un homme représentant de l’élite transatlantique engagée corps à âme en faveur de la « globalisation », qui utilisera tout ce qu’il reste du pouvoir des gouvernements nationaux pour les affaiblir encore plus, en transférant le pouvoir de décision « aux marchés » – c’est-à-dire au capital international, dirigé par les grandes banques et les institutions financières, notamment celles situées aux Etats-Unis, comme Goldman Sachs.
La portée de cette élection est si largement dénaturée que pour la clarifier, une explication approfondie est nécessaire, non seulement du projet de Macron, mais également de ce que l’élection (impossible) de Marine Le Pen aurait signifié.
Le passage d’un système bipartite à un système à parti unique
Malgré la nature multipartite des élections françaises, la France, pour la génération précédente, a été essentiellement gouvernée par un système bipartite, avec le pouvoir alternant entre le Parti Socialiste, que l’on peut grossièrement comparer au Parti Démocrate américain, et un parti hérité de la tradition gaulliste, qui a connu divers changements de nom avant de trancher récemment pour celui de Les Républicains (LR), dans une imitation évidente des Etats-Unis. Pendant des décennies, il n’y a rien eu de « socialiste » concernant le Parti Socialiste, et rien de gaulliste en ce qui concerne Les Républicains. En réalité, ces deux partis ont adopté une politique économique néolibérale ou, pour être plus précis, ils ont suivi les directives de l’Union Européenne exigeant des Etats membres qu’ils adoptent une politique économique néolibérale. En particulier depuis l’adoption de la monnaie unique, l’euro, il y a un peu plus de quinze ans, et dont la politique économique est devenu visiblement nuisible à la France, accélérant sa désindustrialisation, la ruine de ses agriculteurs et l’endettement croissant de l’Etat vis-à-vis des banques privées.
Cela a eu des répercussions politiques inévitables. Inévitablement, cela a entraîné une réaction étendue contre ces deux partis parce qu’ils continuaient de poursuivre cette même politique impopulaire. La réaction la plus rationnelle fut de commencer à réaliser que c’est l’Union Européenne elle-même qui impose ce conformisme économique impopulaire.
Pour réprimer la critique croissante de l’Union Européenne, la machine Macron bien huilée, intitulée En Marche ! a exploité la réaction populaire contre les deux partis de gouvernement. Elle a fracturé et absorbé des pans entiers de chacun, dans un coup évident de transformer En Marche ! en un parti unique fourre-tout loyal à Macron.
La destruction du Parti Socialiste fut aisée. Etant donné que le gouvernement « socialiste » était si impopulaire qu’il ne pouvait espérer l’emporter, il était facile de leurrer des membres proéminents de ce parti pour qu’ils quittent le navire en perdition et qu’ils rallient Macron, qui avait été le ministre de l’économie dans ce gouvernement impopulaire, mais que les médias ont mis en avant comme étant « nouveau » et « antisystème ».
Affaiblir les Républicains fut plus compliqué. Grâce à la très grande impopularité du gouvernement socialiste sortant, il semblait que le candidat républicain, François Fillon, allait gagner quoi qu’il arrive. Mais en dépit de sa politique favorable aux entreprises, Fillon se préoccupait toujours de préserver la France, et était favorable à une politique étrangère indépendante incluant de bonnes relations avec la Russie. On ne sait pas qui a fouillé dans de vieux dossiers pour livrer l’information à propos des présumés emplois fictifs que Fillon a fournis à son épouse et à ses enfants au cours des années passées, et comment celle-ci a été passée au Canard Enchaîné pour qu’elle soit révélée à un moment critique de la campagne.[1] Le tollé que cela généra rendit inaudible les vrais questions politiques. Pour un électorat déjà méfiant à l’égard des « hommes politiques de l’establishment », ces révélations furent fatales. L’impression selon laquelle les « politiciens sont tous corrompus » a joué en faveur d’Emmanuel Macron, trop jeune pour avoir pu faire quoi que ce soit de pire que gagner quelques millions rapidement durant son passage à la Banque Rothschild. Et cela n’a rien d’illégal.
En France, l’élection présidentielle est suivie par les élections législatives, qui donnent normalement une majorité au parti du nouveau président élu. Mais Macron n’a pas de parti, et c’est pourquoi il en crée un pour l’occasion, constitué des transfuges des deux partis majeurs défaits, ainsi que de sa propre innovation, des candidats de la « société civile », n’ayant aucune expérience politique, mais loyaux envers lui personnellement. Ces nouveaux venus de la « société civile » tendent à être des personnes ayant rencontré le succès, des gagnants dans le jeu de la compétition mondialisée, qui n’auront aucun problème pour voter en faveur de mesures contre les travailleurs. Macron confirme donc l’affirmation de longue date de Marine Le Pen selon laquelle les deux partis principaux ne faisaient en réalité qu’un seul et même grand parti, dont les différences rhétoriques masquaient leur convergence politique.
La victoire de Macron a démoralisé Les Républicains. Les affaiblissant encore plus, Macron a nommé un Républicain, Edouard Philippe, au poste de Premier ministre, dans un gouvernement constitué de quatre socialistes et deux républicains, aux côtés de sa propre sélection de la « société civile ».
Transformer la France
Macron a gagné en partie parce que les électeurs les plus âgés, en particulier, étaient effrayés par les allusions de ses opposants à quitter l’Union Européenne. Ces électeurs avaient été endoctrinés à considérer que celle-ci est nécessaire pour prévenir le renouvellement des vielles guerres de l’Europe. Mais seule la frayeur hystérique antifasciste peut expliquer pourquoi de soi-disant « révolutionnaires » de gauche, tels François Ruffin, connu pour son film à succès anticapitaliste « Merci Patron », a pu rejoindre le sauve-qui-peut appelant à voter Macron – en promettant de « s’y opposer plus tard ». Mais comment ?
Plus tard, après cinq années de Macron, l’opposition pourrait être plus rude que jamais. Au cours des dernières décennies, alors que l’industrie manufacturière s’est déplacée vers des pays à bas salaires, y compris des membres de l’UE comme la Pologne et la Roumanie, la France a perdu 40% de son industrie. La perte d’industrie signifie perte d’emplois et moins de travailleurs. Lorsque l’industrie n’est plus essentielle, les travailleurs perdent leur pouvoir clé : faire la grève pour arrêter les usines. Actuellement, les travailleurs désespérés d’une usine d’équipementier automobile en faillite dans le centre de la France menacent de la faire sauter à moins que le gouvernement ne prenne des mesures pour sauver leurs emplois. Mais la violence est impuissante lorsque qu’elle ne fait courir aucun risque financier.
Emmanuel Macron a dit qu’il ne veut passer qu’une courte période dans la vie politique avant de retourner dans les affaires. Il a une mission et il est pressé. S’il remporte une majorité absolue lors des législatives de juin, il aura les mains libres pour gouverner pendant cinq ans. Il a l’intention d’utiliser cette période, non pas pour « réformer » le pays, comme l’ont formulé ses prédécesseurs, mais de « transformer » la France en un type de pays différent. S’il peut agir comme il l’entend, la France, dans cinq ans, ne sera plus une nation souveraine, mais une région fiable dans une Union Européenne fédéralisée, suivant une politique économique rigoureuse élaborée en Allemagne par les banquiers et une politique étrangère belliciste élaborée à Washington par les néoconservateurs.
Comme d’habitude, la première démarche du président français fraîchement élu a été de se précipiter à Berlin pour affirmer sa loyauté envers le « partenariat franco-allemand » de plus en plus asymétrique. Il a été des plus chaleureusement accueilli par la Chancelière Angela Merkel, grâce à sa claire détermination de faire passer en force les mesures d’austérité exigées par les maîtres budgétaires de Francfort. Macron espère que son obéissance fiscale sera récompensée par le consentement des Allemands à un fonds d’investissement destiné à stimuler la croissance, mais cela implique un degré de fédéralisme pour lequel des Allemands grippe-sou montrent peu de signe d’approbation.
Tout d’abord, il a promis d’achever le démantèlement du code du travail français, qui offre diverses protections aux travailleurs. Cela devrait permettre aux employeurs et au gouvernement d’économiser de l’argent. Pour Macron, la ruine de l’industrie et de l’agriculture françaises semble faire partie des mesures bienvenues en direction de l’initiative individuelle, symbolisée par les start-ups.
Le programme de Macron revient à une transformation idéologique profonde de l’idéal français de l’égalité, passant d’un concept horizontal, c’est-à-dire des avantages sociaux égaux, à un idéal vertical d’ « égalité d’opportunité », c’est-à-dire la chance théorique pour tous les individus de s’élever au-dessus des autres. C’est un idéal aisément accepté aux Etats-Unis avec son mythe de longue date du self-made man. Les Français ont traditionnellement été assez logiques pour comprendre que tous ne peuvent pas s’élever au-dessus des autres.
L’égalité horizontale, en France, a signifié avant tout une redistribution institutionnelle de la richesse à travers l’accès universel aux avantages sociaux tels que les soins médicaux, les retraites, les communications et les transports publics, les allocations familiales, l’assurance chômage, l’éducation gratuite à tous les niveaux. Ce sont les avantages sociaux qui sont menacés de diverses manières par l’Union Européenne. L’une d’elle est l’imposition de règles de « concurrence » qui prescrivent la privatisation et favorisent les prises de contrôle étrangères qui transforment les services publics en sources de profit. Une autre est l’imposition de restrictions budgétaires publiques, le long de l’obligation de l’Etat à rechercher des prêts privés, alourdissant sa dette, et la perte de revenus issus des taxes, tout cela finissant par rendre l’Etat trop pauvre pour continuer à fournir de tels services.
Très peu de Français seraient prêts à renoncer à une telle égalité horizontale pour le privilège d’espérer devenir millionnaire.
Macron est suffisamment américanisé, ou, pour être plus précis, globalisé, pour avoir déclaré qu’ «il n’y a pas de culture française ». De son point de vue, la France est juste un endroit ouvert aux diverses cultures, de mêmes qu’aux immigrés et bien sûr au capital étranger. Il a clairement signalé son rejet de l’indépendance française dans le domaine de la politique étrangère. Contrairement à ses principaux rivaux, qui ont appelé à de meilleures relations avec la Russie, Macron fait écho à la ligne russophobe des néoconservateurs.[2] Il a rompu la tradition lors de son investiture en descendant les Champs Elysées dans un véhicule militaire. Un changement de ton est indiqué par les intitulés des ministères constituant son gouvernement. Le titre du nouveau ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui a servi comme ministre de la Défense dans le gouvernement Hollande, est « Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères », donnant clairement la préférence à l’Europe sur le sujet. Sylvie Goulard, une ardente européiste qui a fait remarquer qu’ « elle ne se sent pas française », a été nommée Ministre des Armées. Il est clair que la défense nationale est une idée secondaire, lorsque l’idée principale est de déployer les forces armées dans diverses interventions occidentales.
L’opposition divisée
A moins que les élections législatives de juin ne réservent quelques surprises étonnantes, l’opposition au parti de gouvernement fourre-tout de Macron apparaît faible et fatalement divisée. Le Parti Socialiste est pratiquement effacé. Les Républicains sont profondément déstabilisés. Une véritable opposition au régime de Macron ne peut se baser que sur la défense des intérêts français contre les préceptes économiques de l’UE, à commencer par l’euro, qui empêche le pays de poursuivre une politique économique et une politique étrangère indépendantes. En bref, la véritable opposition doit être « souverainiste », préoccupée par la préservation de la souveraineté française. Les deux fortes personnalités qui ont émergé de l’élection présidentielle en tant que leaders potentiels de cette opposition sont Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Mais ils sont considérablement divisés.
Mélenchon a fait une campagne spectaculairement populaire, laissant loin derrière lui le Parti Socialiste (parti qu’il a lui-même quitté, il y a des années). Initialement, alors qu’il semblait prendre des voix aussi bien à Marine Le Pen qu’aux socialistes, il a bénéficié d’une couverture médiatique relativement bienveillante, mais au fur et à mesure qu’il se rapprochait de l’accession au second tour, la tonalité a commencé à changer. De la même façon que Marine Le Pen a été finalement éliminée en étant taxée de « fasciste », il y a peu de doute que si Mélenchon avait été le challenger de Macron, il aurait été dénoncé de façon croissante comme « communiste ».
Mélenchon est suffisamment intelligent pour avoir réalisé que la politique sociale qu’il défend ne peut pas être réalisée à moins que la France ne reprenne le contrôle de sa monnaie. Par conséquent, il a pris position à la fois contre l’OTAN et contre l’euro.[3] Comme l’a fait Marine Le Pen. Mélenchon a été embarrassé par cette ressemblance entre leurs deux programmes [largement relayée par les médias institutionnels – NdT] et, contrairement aux autres candidats éliminés, il s’est abstenu de soutenir Macron, appelant à sa place son mouvement, La France Insoumise, à choisir entre Macron et l’abstention [ou le vote blanc et à ne pas donner une seule voix au Front National – NdT]. Finalement, au second tour [1/3 des électeurs de Mélenchon s’est abstenu, 1/3 a voté blanc et 1/3 a voté Macron] – [ces derniers] étant quasi-exclusivement motivés par la présumée nécessité de « stopper le fascisme ». Cela est à comparer au résultat final donnant 66% à Macron et 33% à Le Pen.
Ce vote confirme l’impossibilité de former une opposition souverainiste unifiée et permet à Marine Le Pen de renforcer sa revendication à être le leader d’une véritable opposition à Macron. Elle a admis ses propres erreurs durant la campagne, en particulier lors de son débat avec Macron, qui l’a battue à plate-couture avec sa performance arrogante en tant qu’expert économique [et l’épouvantable prestation de la dirigeante du Front National – NdT]. Mais malgré ses maigres 34%, elle conserve la base la plus loyale de supporteurs sur une scène changeante. Le problème de Mélenchon est que son électorat est plus versatile.
En dépit de son appel bruyant vers la « jeunesse », Macron a été élu par la très importante population française de personnes âgées. Parmi les électeurs de plus de 65 ans, il a remporté 80% des suffrages, contre 20% pour Le Pen. Marine Le Marine a réalisé un meilleur score auprès des jeunes de 18-24 ans, en remportant 44% de leurs suffrages contre 56% pour Macron.[4]
Les différences ont également été significatives entre les catégories socio-professionnelles. Macron a remporté un score sans appel de 83% auprès des « catégories socio-professionnelles supérieures » - des catégories où les « gagnants » dans la société de compétition sont largement représentés. Mais dans les catégories décrites comme « populaires », décrivant les gens ordinaires, avec une éducation plus faible, le vote a été de 53% en faveur de Le Pen. Et elle a confirmé sa position de favorite de la classe ouvrière, remportant 63% de ses suffrages.
Notez que les « catégories socio-professionnelles supérieures » sont celles où la signification de ces résultats seront définis. Les personnes de cette catégorie – journalistes, commentateurs et personnalités du showbiz – sont toutes en position de propager le mot selon lequel ce vote indique que les ouvriers doivent être « racistes » et, par conséquent, que nous avons échappé de peu à être remplacés par le « fascisme ».
L’une des nombreuses choses étranges concernant cette dernière élection présidentielle est que les « personnalités de gauche » étrangères se sont réjouies du fait que le candidat des riches a défait nettement la candidate des pauvres. D’habitude, c’était l’inverse, mais c’était il y a longtemps. Ces derniers temps, les gagnants dans ce jeu compétitif se réconfortent en disant qu’ils méritent moralement leur succès, parce qu’ils sont favorables à la diversité contre le racisme, là où les moins fortunés, les ruraux et la classe ouvrière, ne méritent pas grand-chose parce qu’ils doivent être « racistes » avec leur méfiance de la globalisation.
Le fait que Paris ait voté à 90% pour Macron est naturel, si l’on prend en considération que les prix de l’immobilier ont repoussé la classe ouvrière hors de la capitale, dont la population est maintenant très majoritairement constituée de ce que l’on appelle les « bobos » - les bourgeois bohèmes, dont un grand nombre est employé dans diverses branches du business de la fabrication de l’idéologie des droits humains : journalistes, professeurs d’université, enseignants, consultants, industrie du spectacle. Dans ces milieux, pratiquement personne n’oserait dire un mot positif sur Marine Le Pen.
Et si Marine Le Pen avait gagné ?
Vu que la politique relève largement du fantasme, nous pourrions tout aussi bien imaginer l’inimaginable : Et si Marine Le Pen avait gagné ? Cela n’a jamais été une possibilité réaliste, mais essayons de l’imaginer.
Son élection aurait pu avoir un, peut-être un unique résultat extrêmement positif : cela aurait pu libérer la France de son obsession paralysante d’une « menace fasciste » non-existante. Le fantôme serait exorcisé. Si le mot « fascisme » a un sens, il implique le pouvoir d’un parti unique, alors que Marine Le Pen a clairement indiqué son désir de gouverner par une coalition, et qu’elle a sélectionné le leader d’un petit parti gaulliste, Nicolas Dupont-Aignan, comme futur Premier ministre dans la perspective de sa victoire. Et hop ! Aucun fascisme. Cela aurait produit un bénéfice incommensurable pour le débat politique en France. Au moins, les véritables questions auraient pu être au centre des préoccupations. Les véritables menaces auraient été confrontées.
Un autre avantage aurait été la disparition du Front National. Depuis que Marine Le Pen a pris les rênes de ce parti contestable fondé par son réactionnaire de père, elle a maintenu un équilibre précaire entre deux ailes opposées. Il y a l’aile de droite dans le Sud-Est, le long de la Côte d’Azur, le bastion du fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen, une région représentée à l’assemblée nationale sortante par sa petite-fille conservatrice Marion Maréchal-Le Pen. Dans l’ancienne région industrielle du Nord-Ouest, entre Arras et Lille, Marine Le Pen a construit son propre bastion, en tant que championne des travailleurs ordinaires, où elle a remporté une majorité des voix dans l’élection présidentielle.
Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire où une héritière s’est éloignée de son héritage pour rejoindre quelqu’un que son père désapprouve. Tous ceux qui veulent s’accrocher à leur haine réconfortante du Satan officiel de la gauche ont du mal à croire que Marine Le Pen a rompu avec son père réactionnaire pour suivre son propre chemin (exactement comme les faucons américains ne pouvaient pas croire en Gorbatchev). Ce changement doit tout à sa rencontre avec Florian Philippot, un intellectuel qui a renoncé à la capacité des socialistes de faire face aux véritables questions. Marine a les qualités personnelles d’un leader et Philippot apporte la substance intellectuelle dont elle a besoin. Marine a résolument choisi Philippot comme conseiller et co-leader, en dépit des grommellements de Jean-Marie selon lesquels elle s’est laissée abuser par un marxiste homo. Si Marine avait gagné, son aile gauche aurait été suffisamment renforcée pour lui permettre, ainsi qu’à Philippot, de mettre le Front National au rebut et de fonder un nouveau « Parti Patriote ». Toutefois, en faisant moins de 40% des voix, elle a affaibli son autorité et elle doit essayer de maintenir la cohésion de son encombrant parti afin de remporter des sièges dans la nouvelle assemblée – ce qui ne sera pas facile.
Marine Le Pen aurait essayé de prendre des mesures pour sauver l’industrie française et les emplois qu’elle prodigue, elle aurait fourni diverses prestations sociales aux personnes à bas revenu, se serait retirée de l’OTAN, et aurait même encouragé un monde pacifique, à commencer par des relations amicales avec la Russie. Elle aurait même commencé à préparer ses compatriotes à une sortie de l’euro.
Mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter, rien de ce programme « fasciste » n’aurait jamais pu voir le jour. Si elle avait gagné, des groupes « d’antifascistes » protestataires auraient envahi les rues, brisant des vitrines et attaquant la police. Le gouvernement socialiste sortant se préparait à utiliser le chaos qui en aurait résulté comme prétexte pour se maintenir au pouvoir assez longtemps pour gérer les élections législatives,[5] en s’assurant que Marine Le Pen reste sous contrôle. Une « révolution de couleur » était prête à être fomentée. L’Etat profond est vigilant en territoire otanien.
[1] Une piste intéressante est celle de Jean-Pierre Jouyet, [Voir l’article paru dans Le Figaro du 31 Mars 2017 : Jean-Pierre Jouyet, l'autre ami de Macron à l'Élysée]. JP Jouyet est inspecteur des finances… tout comme Emmanuel Macron, Jacques Attali ou Alain Minc [On lira avec intérêt l’ouvrage de Ghislaine Ottenheimer : Les Intouchables : Grandeur et décadence d'une caste : L'Inspection des Finances (Albin Michel, Paris, 2004)].[NdT]
[2] On se réfèrera avec intérêt à l’excellent ouvrage de Giulietto Chiesa : Russophobie 2.0 (Le Retour aux Sources, Aube, 2016) [NdT].
[3] Il est nécessaire, ici, de rectifier les explication (un peu courtes) de l’auteure de cet article, Diana Johnstone. Jean-Luc Mélenchon n’a jamais préconisé la sortie de l’euro et le retour à une monnaie nationale. D’ailleurs, cette idée attribuée à Mélenchon a fait l’objet d’un certain bourrage de crâne, tant dans les médias français qu’étrangers. La vérité qui doit être rétablie est que Jean-Luc Mélenchon, dans le souci de retrouver des marges de manœuvre en matière économique, avait pour objectif de renégocier les traités européens, en brandissant la menace, en cas de fermeture des discussions, de la sortie de l’UE, et donc de l’euro, convaincu qu’il était qu’une telle menace dissuaderait nos partenaires (comprendre l’Allemagne) de bloquer toute négociation. [NdT]
[4] Selon un sondage Le Figaro/LCI auprès d’un échantillon de 7752 électeurs représentatifs.
[5] « Si Le Pen avait été élue… le plan secret pour ‘protéger la République’ », L’Obs, 17 mai 2017.