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Billet de blog 23 juillet 2014

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Comment tuer les Goyim et influencer l'opinion publique (II)

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Deuxième partie du texte en 3 volets de Max Blumenthal (voir mon précédent billet);

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DEUXIEME PARTIE

Le 18 août 2010, un panthéon des plus éminents rabbins intégristes israéliens s’est réuni en congrès ad hoc à l’hôtel Ramada Renaissance de Jérusalemafin d'afficher leur pouvoir. Je me tenais dans l’assistance avec les colons et les partisans de la droite dure, observant avec étonnement les rabbins approuvés par l’État monter les uns après les autres au podium pour prendre la défense des auteurs de Torat Ha‘Melech.

Mon colocataire, Yossi David, accepta de m’accompagner au congrès de Torat Ha’Melech. C’était la personne parfaite pour m’aider à traduire les formulations religieuses en hébreu apparemment ésotériques qui allaient sûrement emplir les discussions lors de cette manifestation. Yossi a été élevé dans un foyer ultra-orthodoxe et a été contraint de passer son adolescence dans une yeshiva (école hébraïque - NdT) étouffante, où le sport et l’étude des langues étrangères étaient interdits. Il était obligé de supporter plusieurs couches de vêtements religieux raides sous la chaleur accablante de l’été, mais il ne s’est jamais détourné de la foi jusqu’à ce que l’ambiance extrémiste cultivée par les rabbins ne devienne insupportable.

Cinq mois après avoir quitté son foyer et la communauté ultra-orthodoxe, il s’est engagé dans l’armée, s’étant laissé dire par sa famille adoptive que c’était le meilleur moyen pour s’intégrer dans la société civile. Après ses classes, Yossi fut affecté à ce qui est connu dans le jargon de l’armée comme « l’usine de textiles de Dimona », mais qui est en fait le réacteur nucléaire secret israélien. Toutefois, son affectation fut annulée quand il fut découvert qu’il sortait avec une Palestinienne, et il fut redéployé à Hatmar Etzion, une base près de la colonie d’Efrat. « Je portais toujours un uniforme chaud, comme dans la yeshiva, et je vénérais toujours le Dieu d’Israël, mais désormais Dieu c’était mes commandants – les généraux et les chefs d’état-major – et ma Torah était mon fusil ».

À la fin de son temps dans l’armée, Yossi remit tout en question, pas seulement la vie religieuse et militaire, mais toute la philosophie du sionisme. « La société t’éduque à être stupide. Si tu poses des questions, tu es automatiquement étiqueté comme étant une personne ennuyeuse. Si tu poses des questions, tu ne peux pas accepter le racisme », m'expliqua-t-il. « Si tu poses des questions, tu ne peux pas accepter la violence. Peut-être peux-tu l’accepter pendant dix ou vingt ans, mais après un moment, si tu continues à poser des questions, tout s’écroule. Notre devise nationale aurait pu être « Ne pose pas de questions, ne dis rien ».

En 2005, Yossi se rendit par curiosité à la première gay pride de Jérusalem. Il arriva à la fin de la manifestation et se retrouva dans une scène de chaos. Un jeune homme venait juste de bondir d’une foule de manifestants et de taillader trois hommes avec un couteau qu’il venait d’acheter. Le coupable s’avéra être un fanatique ultra-orthodoxe de 30 ans nommé Yishai Shlisel. « Je suis venu tuer au nom de Dieu. Nous ne pouvons pas avoir une telle abomination dans le pays », déclara plus tard Shlisel, n'éprouvant aucun regrès. Yossi se remémorait Shlisel et ses journées à la yeshiva. « Je me suis rendu compte que si j’étais resté, si je n’avais pas posé de questions, ça aurait pu être moi », confia-t-il.

Après avoir souffert au sein des deux institutions les plus puissantes de la société israélienne, l’armée et la synagogue, Yossi a enfin trouvé un peu de liberté personnelle en poursuivant des études de troisième cycle en sociologie à l’université hébraïque. Il y a étudié les questions d’identité et exploré son propre rapport avec le Proche-Orient à travers les conversations radicales mizrahites, expérimentées par des intellectuels d’avant-garde comme Ella Shohat et Sami Shitrit. Yossi, qui est né dans une famille tunisienne, se voyait comme faisant partie du monde arabe, défiant l’orientation israélienne typique tournée vers l’Europe. Il se remémora les jours qui ont précédé Oslo, avant la séparation, où il pouvait se rendre à Gaza avec son grand-père, qui parlait arabe et employait des Palestiniens sur sa ferme. Un jour, alors qu’ils se trouvaient sur un marché à Gaza City, son grand-père pointa du doigt en direction d’Israël, vers les Ashkenazim, et fit remarquer : « Ceux-là sont nos cousins ». Puis, désignant les Palestiniens dans la rue, il déclara, « Ceux-ci sont nos frères ».

« Il a complètement inversé la dynamique avec laquelle nous avions été élevés en Israël », me dit Yossi. « Cela a eu un grand impact sur moi ».

Avant que nous ne partions pour le congrès de Torat Ha’Melech, Yossi m’a montré comment mettre de l’eau sur une kippa brodée afin qu’elle reste collée sur ma tête. Nous voulions passer pour des colons orthodoxes modernes de peur que les médias laïcs ne soient pas les bienvenus dans un tel rassemblement, et dans l’espoir que les participants soient plus enclins à livrer leur opinion à leurs semblables religieux juifs.

À l’extérieur de la salle de conférence, dans un hall d’hôtel des années 70 garni de colonnes à miroirs, d’éclairage au sol et de plantes artificielles, un homme d'une trentaine d'années, propre sur lui et portant une kippa brodée, vérifia nos papiers d’identité, sans doute pour s'assurer que nous portions bien des noms juifs, et nous fit signe d’entrer en hochant la tête avec approbation. Dans la salle, les prières venaient de commencer. Maintenant je me balançais en avant et en arrière avec une foule de colons barbus, chantant en chœur à chaque prière dont je pouvais me souvenir. Près de moi se tenait un jeune homme à l’air laïc, portant un T-shirt rouge de la Brigade Golani. Yossi le reconnut comme un activiste d’Im Tirtzu de l’université hébraïque. Son vêtement montrait un dessin grossier d’un char au-dessus du slogan « Force Sans Merci ».

À la fin des prières, huit rabbins supérieurs, financés par l’État, s'avancèrent sur la plate-forme au-dessus de la foule, constituée pour l'essentiel de membres représentant une yeshiva officielle d’une colonie ou d’une grande ville israélienne. Avec leurs longues barbes grises, leurs costumes noirs, leurs feutres noirs et leurs apparences ratatinées, ils semblaient être sortis tout droit de l’imagination de quelque antisémite dérangé. Et ils étaient là pour prendre la défense d’un livre qui justifiait ouvertement le massacre de bébés Goyim, même s’ils n’étaient certes pas tous prêts à dire qu’ils étaient d’accord avec son contenu. Le seul point sur lequel les rabbins se mirent d’accord, du moins ouvertement, était que l’État ne devrait jamais scruter ou punir la parole des autorités religieuses. Avec leur penchant pour les tirades enflammées à l’encontre des Arabes, des homosexuels et autres scélérats, ces rabbins savaient qu’ils étaient les prochains sur la liste si jamais Shapira et Elitzur étaient officiellement poursuivis.

Yaakov Yosef fut escorté dans ce rassemblement par Baruch Marzel, un chef notoirement violent du groupe terroriste juif, Kach. Arrivé sur le podium, Yosef acclama Marzel en tant que gever, ou homme d’honneur. Yaakov Yosef est le fils d’Ovadiah Yosef, le guide spirituel du parti Shas et ancien Grand Rabbin Sépharade d’Israël. Malgré le penchant d’Ovadiah Yosef pour les délires verbaux (« Les Goyim ne sont nés que pour servir. A part cela, ils n’ont aucune place dans le monde », avait-il proclamé dans un sermon hebdomadaire), il s’opposait à la publication de Torat Ha’Melech, décrivant ce livre comme étant « raciste » et dangereux pour l’image internationale d’Israël. Mais depuis qu’il avait rejoint la secte juive extrémiste cultiste Chabad, Yaakov avait adopté une position beaucoup plus radicale que son père. (Elitzur était un rabbin de Chabad.)

Dans son discours, Yaakov Yosef essaya de classer Torat Ha’Melech dans le courant traditionnel de la Torah. Citant les Psaumes du chapitre 79 afin de démontrer la supposée cohérence du livre avec les enseignements halakhiques établis, il déclama, « Déverse ta colère sur les nations qui ne te reconnaissent pas, sur les royaumes qui n’invoquent pas ton nom ; car ils ont dévoré Jacob et détruit sa patrie ». Il rappela ensuite à son auditoire l’histoire de la Pâque. « Nous avons demandé au peuple juif, ‘Ne voulez-vous pas lire un passage de la Hagadah [citant le massacre de non-Juifs] à la table de la Pâque?’ Quelqu’un veut-il changer la Bible ou les déclarations de la Torah ? » Le seul crime de Shapira et d’Elitzur, proclama Yosef, a été de rester fidèle aux déclarations orales et écrites contenues dans la Torah.

Ensuite, le Rabbin Haim Druckman se leva pour parler. Ancien membre de la Knesset et lauréat du Prix d’Israël 2012 pour l’éducation, Druckman a été une figure de proue de l’extrémisme juif en Israël. En 1980, après qu’un groupe de colons s’embarqua dans un complot terroriste en partie couronné de succès pour mutiler les principaux maires palestiniens de Cisjordanie (ils ont grièvement blessé les maires de Naplouse et de Ramallah), Druckman glorifia : « Qu’ainsi périssent tous les ennemis d’Israël ! » Penché sur le podium, Druckman, de sa voix rauque, fit bien attention d’éviter d’approuver le contenu de la Torat Ha’Melech, se contentant de dire qu’il « espér[ait] que ce qui s’est passé ici ne se reproduise jamais et que nous n’aurons plus jamais à organiser ce genre de conférence ».

Une déclaration de soutien plus véhémente vint du Rabbin Yehoshua Shapira, directeur de la yeshiva subventionnée par l’État de Ramat, dans la banlieue de Tel-Aviv. Voici de que Yehoshua Shapira brailla: « L’obligation de sacrifier votre vie dépasse toutes les autres obligations quand vous combattez ceux qui voudraient détruire l’autorité de la Torah. Ce n’est pas seulement vrai contre les non-Juifs qui essayent de la détruire mais aussi contre les Juifs de tous les camps ».

À l’extérieur de la salle de conférence, où le membre Kahaniste de la Knesset Michael Ben-Ari traînait avec Baruch Marzel et Itamar Ben-Gvir, un autre assistant qu’il avait prélevé des rangs de Kach, Yossi et moi discutions avec un colon de 22 ans qui nous parlait avec un accent américain. Nous voulions savoir s’il était prêt à prendre la défense des clauses de la Torat Ha’Melech justifiant le meurtre d’enfants innocents. Sans hésitation et toute honte bue, le jeune homme, qui refusa de donner son nom, nous dit, « Il existe un tel concept dans la loi juive définissant une population ennemie, et, dans des circonstances très, très spécifiques, selon diverses opinions rabbiniques, il serait permis de tuer, euh, euh… » Pendant un instant, sa voix s’est éteinte et son regard a fait le tour de la pièce. Mais le colon parvint à reprendre ses esprits et à terminer sa phrase. « Tuer des enfants », murmura-t-il avec gêne.

La philosophie génocidaire exprimée dans la Torat Ha’Melech a émergé de l’atmosphère enfiévrée d’une colonie nommée Yitzhar, située au nord de la Cisjordanie, près de la ville palestinienne de Naplouse. Shapira y aide à diriger la yeshiva Od Yosef Chai de la colonie, exerçant une influence sur une petite armée de fanatiques enthousiastes à l’idée de terroriser les Palestiniens qui s’occupent de leurs cultures et de leur bétail dans les vallées en contrebas. Shapira a grandi dans une famille religieuse nationaliste influente. Comme Yaakov Yosef, il a opéré un tournant radical après avoir rejoint la secte Chabad sous le patronage du Rabbin Yitzchok Ginsburgh, le directeur de la yeshiva Od Yosef Chai de Yitzhar, qui avait pris la défense de sept de ses étudiants après le meurtre d'une jeune-fille palestinienne innocente en affirmant la supériorité du sang juif. En 1994, quand le Juif fanatique Baruch Goldstein massacra 29 fidèles palestiniens dans le Caveau des Patriarches à Hébron, Ginsburgh encensa Goldstein dans un long article intitulé « Baruch, Hagever » ou « Baruch, le Grand Homme ». Ginsburgh jugea que la folie meurtrière de Goldstein était un acte cohérent avec les enseignements halakhiques essentiels, qui vont de l’importance de la vengeance légitime à la nécessité de « l’éradication de la semence d’Amalek. »

Sous la direction de Ginsburgh et de Shapira, Od Yosef Chai a soutiré, depuis 2007, presque $50.000 au ministère israélien des affaires sociales. Le ministère israélien de l’éducation a complété le soutien gouvernemental en injectant plus de $250.000 dans les coffres de la yeshiva entre 2006 et 2007. Od Yosef Chai a également grassement bénéficié de dons de la part d’une organisation américaine à but non-lucratif et non-imposable dénommée Central Fund of Israel. Située dans le magasin de textiles des Marc Brothers à Midtown Manhattan, le Central Fund a transféré au moins $30.000 à Od Yosef Chai entre 2007 et 2008. (Itamar Marcus, le frère du fondateur du Central Fund, Kenneth, est le directeur de Palestine Media Watch, une organisation pro-israélienne qui se consacre, de façon ironique, à démasquer l’incitation à la violence palestinienne). En avril 2013, le gouvernement israélien a finalement annoncé qu’il cesserait de financer Od Yosef Chai, disant que la yeshiva constituait une menace à la sécurité publique.

Bien qu’il n’ait pas spécifié l’identité de « l’ennemi » non-juif dans les pages de son livre, les liens de longue date du Rabbin Shapira avec les attaques terroristes contre des civils palestiniens expose la véritable identité de ses cibles. En 2006, un autre rabbin de la yeshiva de Shapira, Yossi Peli, fut brièvement retenu par la police israélienne pour avoir encouragé ses partisans à assassiner tous les Palestiniens de sexe masculin âgés de plus de 13 ans. Deux ans plus tard, Shapira fut interrogé par le Shin Bet car il était suspecté d’avoir aidé à orchestrer une attaque à la roquette artisanale contre un village palestinien près de Naplouse. Bien qu’il fût relâché, le nom de Shapira apparut en relation avec un autre acte terroriste, lorsqu’en janvier 2010, la police a investi sa colonie à la recherche des vandales qui avaient mis le feu à une mosquée voisine. Après avoir arrêté plus de dix colons, le Shin Bet plaça en garde à vue cinq complices de Shapira, suspectés d’acte pyromane. Aucun d’eux n’a jamais vu l’intérieur d’une cellule de prison.

A la question de savoir si les étudiants de la yeshiva d’Od Yosef Chai se faisaient justice eux-mêmes en attaquant les Palestiniens, l’un des collègues de Shapira, le Rabbin David Dudkevitch, répondit,« La question n’est pas de se faire justice soi-même, mais plutôt de prendre en main l’Etat tout entier ».

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