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Billet de blog 23 août 2016

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De la destruction de la Grèce à la démocratie en Europe

DiEM25, initié par Yanis Varoufakis, est un nouveau mouvement progressiste européen transnational. Il se met juste en route et n’ira peut-être nulle part. Mais il présente au moins un mince espoir de maintenir la cohésion de l’Union Européenne dans des conditions que les peuples pourraient accepter.

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Par James Kenneth Galbraith

Boston Globe, 22 août 2016 (traduction : JFG-Questions Critiques)

PROTESTANT CONTRE le Traité de Versailles qui mettait un terme à la Première Guerre mondiale, John Maynard Keynes écrivait : « La politique consistant […] à condamner à des conditions dégradantes la vie de millions d’êtres humains, et à priver de bonheur une nation tout entière, est odieuse et méprisable – odieuse et méprisable, même si elle est réalisable sur un plan pratique, même si elle devait nous enrichir, même si elle ne portait pas en germe la destruction de la civilisation européenne tout entière. »

Le troisième plan de sauvetage de la Grèce, l’année dernière, imposé par l’Europe et le Fonds monétaire international, fait à la Grèce ce que Versailles fit à l’Allemagne : il la dépouille d’actifs pour satisfaire les dettes. L’Allemagne perdit sa marine marchande, son matériel roulant, ses colonies et son charbon ; la Grèce a perdu ses ports maritimes, ses aéroports – ceux qui sont rentables – et va vraisemblablement vendre ses plages, l’actif public qui représente la splendeur unique de la Grèce. Les entreprises privées sont forcées à la faillite pour ouvrir la voie aux chaînes européennes ; les citoyens sont obligés de laisser saisir leurs maisons. C’est de l’accaparement de terres.

Et pour quel résultat ? Pour satisfaire d’anciennes dettes publiques, contractées pour des chars, des sous-marins, les Jeux Olympiques, de grands projets de construction externalisés par des entreprises allemandes, et pour cacher les déficits des services de santé, avec la connivence des créanciers – un marécage de corruption pour soutenir l’illusion que la Grèce pourrait « être compétitive » en tant que membre de la zone euro. Déjà en 2010, le FMI savait qu’il transgressait ses propres règles en prétendant que la Grèce pourrait se redresser rapidement, dégager un énorme excédent primaire et rembourser ses dettes. Pourquoi ? Pour aider à sauver les banques françaises et allemandes, ce que Dominique Strauss-Kahn, [alors] sacro-saint directeur général du FMI, voulait faire parce qu’il voulait devenir président de la République française.

L’Europe a écrasé la résistance grecque en 2015. Non pas parce que Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des finances, pensait que son plan économique marcherait ; il dit franchement au ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, qu’« en tant que patriote » il ne le signerait pas lui-même. Mais l’Allemagne voulait imposer son ordre à l’Italie et à la France, où la société continue à se défendre. Et la Chancelière Angela Merkel ne pouvait pas admettre devant ses électeurs, ou devant ses collègues européens, de la Slovaquie jusqu’au Portugal, qu’en 2010 elle avait sauvé les banques allemandes en les gavant de dettes grecques qui ne pourraient jamais être remboursées.

La Grèce a reçu pour leçon une punition collective. Cela a été fait pour montrer qu’il « n’y a aucune alternative ». Cela a été fait pour stopper toute autre tentative de développer, articuler et défendre une politique plus rationnelle. Cela a été fait pour protéger le pouvoir de la Banque centrale européenne, celui du gouvernement allemand en Europe et, face à un long passé d’échecs, l’autorité politique du FMI.

La Grèce est désormais une colonie – ou pour le dire poliment : « un protectorat ». Ailleurs en Europe, la gauche – Podemos en Espagne, le Bloc de gauche au Portugal, Die Linke en Allemagne – a haussé le ton. En France, les socialistes s’autodétruisent. A elle seule, l’Italie est intéressante : elle est au cœur d’une crise bancaire dont l’unique solution est une croissance plus forte ; cela nécessite que son gouvernement défie la doctrine de la zone euro ou bien il pourrait bientôt perdre le pouvoir au profit du mouvement radical Cinq Etoiles. Mais, à part ce cas isolé, l’Europe progressiste est bloquée.

Et après, ce sera au tour de l’extrême droite, en particulier le Front National en France, qui, s’il arrivait au pouvoir, ferait exploser l’Union Européenne. Des pressions similaires se développent en Pologne et en Hongrie, qui ont des gouvernements qui sont déjà en dehors des normes démocratiques européennes. En Grande-Bretagne, l’aile droite, les Tories et UKIP [UK Independent Party], s’est rassemblée pour voter la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne – malgré des résultats politiques étonnamment modérés jusqu’à présent.

Voici pourquoi l’Europe a besoin du Mouvement pour la Démocratie en Europe. DiEM25, initié par Yanis Varoufakis, est un nouveau mouvement progressiste européen transnational. Il se met juste en route et n’ira peut-être nulle part. Mais il présente au moins un mince espoir de maintenir la cohésion de l’Union Européenne dans des conditions que les peuples pourraient accepter.

La démocratie arriverait d’abord par petites étapes. La transparence des institutions européennes opaques, qui rendraient des comptes, arriverait en premier. Après cela, une politique économique focalisée sur l’emploi, l’investissement et le développement durable. Tôt ou tard, il devrait y avoir de gros changements, aussi révolutionnaires que le printemps d’Athènes de 2015. Les vieilles oligarchies, la coterie de Bruxelles, les technocrates intéressés et les idéologues économiques qui dominent aujourd’hui la politique économique européenne devront céder la place.

Encourageons cela !

James K. Galbraith est l’auteur de « Welcome to the Poisoned Chalice: The Destruction of Greece and the Future of Europe » (Crise grecque, tragédie européenne – Seuil, Paris, 2016). Il enseigne à la LBJ School de l’Université du Texas, à Austin, et il a assisté le ministre grec des finances, Yanis Varoufakis, en 2015.

Yanis Varoufakis est l’auteur du Minotaure planétaire : l’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial (Editions du Cercle, 2015) et de Et les faibles subissent ce qu’ils doivent ? (Les Liens qui Libèrent, 2016).

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