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Billet de blog 25 juillet 2014

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Comment tuer les Goyim et influencer l'opinion publique (III)

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Par Max Blumenthal. Troisième et dernier volet (voir mes deux précédents billets).

* * *

La violence des colons juifs a été une réalité de la vie en Cisjordanie occupée depuis les années 1970. Cependant, depuis 2007, la violence des colons a considérablement augmenté. Un article de 2008 publié dans Ha’aretz attribuait l’augmentation des attaques au retrait des colons de la bande de Gaza en 2005, après quoi les colons de Cisjordanie avaient juré de répondre à chaque action de l’État contre eux par un assaut contre les Palestiniens en guise de « facture », établissant ainsi un « équilibre de la terreur » dissuasif.

Mais une analyse détaillée des attaques documentées menées par les colons au cours des dix dernières années, effectuée par le Palestine Center, un institut basé à Washington, a révélé que la violence est structurelle et non réactionnelle. Ces attaques sont montées sans prétexte et le plus souvent dans des zones de Cisjordanie contrôlées par les services de sécurité israéliens, où les colons agissent en toute liberté. Ce rapport a identifié les colonies du nord telles que Yitzhar comme étant des foyers d’activités violentes, avec fusillades et incendies volontaires en augmentation. Selon Yesh Din, un groupement israélien des droits de l’homme, la police israélienne a clos 91% des enquêtes sur les attaques des colons sans inculper qui que ce soit, et a généralement échoué à localiser les suspects.

Selon un sondage de mars 2011 effectué par Ynet-Gesher auprès de 504 adultes israéliens, 48% des personnes interrogées soutenaient les violences des colons en représailles aux actions des Palestiniens ou du gouvernement israélien, et seulement 33% disaient penser que la violence de la part des colons n’était « jamais justifiée ». Alors qu’une très large majorité des orthodoxes ou des religieux nationalistes parmi les personnes sondées ont exprimé un fort soutien envers les attaques commises par les colons, il en était de même pour 36% des Israéliens laïcs – un chiffre remarquablement élevé pour une population qui vit principalement à l’intérieur de la Ligne Verte.

Tandis que Ginsburgh et Shapira approuvaient les saccages commis par les colons dans le nord de la Cisjordanie en disant qu’ils étaient halakhiques, au sud, leur camarade Dov Lior, le premier rabbin de Hébron, a applaudi le meurtre de quiconque, juif ou non-juif, qui semblait interférer avec la cause rédemptrice du Grand Israël. Aux funérailles de Baruch Goldstein, Lior fit l’éloge de l’auteur du meurtre collectif, en disant qu’il était un « homme vertueux » et juste, et qu'il était « plus saint que tous les martyrs de l’Holocauste ». En partie grâce aux efforts de Lior, un mausolée en mémoire de Goldstein se dresse à l’intérieur de la colonie juive de Kyriat Arba, où Lior est président de la yeshiva. En même temps, Lior déclarait que le Premier ministre Yitzhak Rabin était un « moser » (un Juif qui moucharde aux Goyim) et un « rodef » (un traître méritant l’élimination), contribuant à établir la justification religieuse pour que Yigal Amir, l’un des admirateurs de Lior, l’assassine.

Le penchant de Lior pour les diatribes violentes et fascistes n’a pas diminué avec l’âge. Il a mis en garde les femmes juives de ne pas permettre la fécondation in vitro avec le sperme de non-Juifs, affirmant que « le sperme des Gentils engendre des rejetons barbares ». Il a décrit les Arabes comme des « monteurs de chameaux malfaisants » et dit que les militants palestiniens en détention pouvaient servir de cobayes pour des expériences sur l’homme. Le petit rabbin à barbe grise a même fait un long discours sur les méfaits du « boogie-woogie », déclarant que le rock’n’roll « exprime les pulsions animales et les plus basses des gens ». Il a ajouté, « Quelque chose qui appartient aux rythmes des « kushim » [les Noirs] n’a pas sa place dans notre monde ».

Grâce au nombre croissant de jeunes nationalistes qui s’enrôlent dans le service militaire après avoir étudié dans des yeshivas hesder, qui allient enseignement talmudique et formation militaire, Lior s’est assuré une influence considérable au sein de l’armée. En 2008, lorsque le grand rabbin de l’armée israélienne, le général de brigade Avichai Ronski, emmena un groupe d’officiers militaires du renseignement à Hébron pour une tournée spéciale, il termina la journée par une réunion privée avec Lior, qui put régaler les officiers de ses opinions sur la guerre moderne, qui comprend un soutien véhément à la punition collective pour les Palestiniens. Ronski, pour sa part, a supervisé la distribution de tracts extrémistes à des soldats pendant l’opération « Plomb Fondu » [2008-2009 contre Gaza], incluant « Baruch, Hagever » et un pamphlet déclarant, « Quand vous faites preuve de clémence envers un ennemi cruel, vous êtes cruel vis-à-vis des soldats purs et honnêtes ».

En octobre 2009, lors d’une cérémonie de prestation de serment au Mur Occidental, un groupe de soldats du bataillon Shimshon, bien connu pour sa brutalité, a hissé une banderole de protestation jurant de ne pas évacuer de colonies – « Shimshon n’expulse pas ». Quand l’armée a puni les deux soldats qui avaient organisé cette manifestation de déloyauté en les éjectant de l’unité, les rabbins Ginsburgh et Lior ont promptement programmé un rassemblement religieux à Jérusalem en leur honneur. Une source avait rapporté au Jerusalem Post que la cérémonie inclurait la distribution massive de la Torat Ha’Melech nouvellement publiée. Des semaines après l’incident, deux autres brigades majeures de l’armée israélienne, Nahson et Kfir, ont décoré leurs bases d’entraînement avec des banderoles annonçant leur refus d’évacuer des colonies.

Moins de deux ans plus tard, Matanya Ofan, le co-fondateur d’un exutoire médiatique extrémiste basé à Yitzhar, est apparu dans une vidéo virale en ligne en uniforme complet de l’armée, tenant un M-16 de l’armée dans une main et un exemplaire de Torat Ha’Melech dans l’autre. Ce livre avait fini par représenter le code officieux du soldat nationaliste religieux. Fixant la caméra, Ofan déclarait, « Lorsque je me rendrai à la frontière, avec la grâce de Dieu, je n’écouterai pas les bêtises que me disent les commandants, et si je vois un ennemi s’approchant de la frontière, je ferai tout pour l’arrêter de passer et j’essaierai de lui faire du mal – parce que c’est ainsi que nous pouvons sauver la vie des Juifs. C’est seulement de cette manière qu’aucun Soudanais ou Syrien n’arrivera à Tel-Aviv ». Un sous-titre à la fin de la vidéo disait, « Juifs, à nous de gagner ».

Dès lors, les rangs de l’armée ont été submergés par les nationalistes religieux, avec plus d’un tiers des officiers d’infanterie exprimant un point de vue de la droite religieuse – un bond de 30% depuis 1990. Une étude de 2010 a démontré que 13% des commandants de compagnies vivaient dans des colonies de Cisjordanie. Le commandant en second de l’armée, le chef d’état-major adjoint Yair Naveh, fut le premier officier religieux à être nommé à un poste de l’état-major. Il était aussi l’officier impliqué dans le scandale d’Anat Kamm pour avoir ordonné l’assassinat de militants palestiniens en violation flagrante d’une décision de la Cour Suprême.

Un autre sioniste religieux de premier plan était Yaakov Amidror, l’ancien directeur de la branche d’analyse du renseignement militaire de l’armée et commandant de ses académies d’officiers. Colon à la barbe blanche touffue, Amidror fut désigné par le Premier ministre Benyamin Nétanyahou au poste de directeur de son Conseil de Sécurité Nationale. En plus de défendre la réoccupation de la bande de Gaza, Amidror a soulevé la controverse en appelant à des exécutions sommaires de soldats israéliens qui refusaient d’avancer dans les combats, et à user d’une force disproportionnée contre la population civile de l’adversaire.

« Ce qu’il faudrait dire est, ‘tuez plus de salopards du camp adverse’, afin que nous puissions gagner. Un point c’est tout », brailla-t-il durant un débat d’experts sur les « valeurs nationales dans les forces de défense israéliennes ».

Bien que les opinions d’Amidror semblent concorder avec certaines de celles des auteurs de Torat Ha’Melech, il n’a pas osé prendre leur défense. C’était un travail pour les rabbins Lior et Yaakov Yosef, qui devinrent les plus virulents apologistes, sinon les supporters les plus enthousiastes de Torat Ha’Melech. Début 2011, alors que la polémique autour du livre faisait toujours rage en Israël, Yosef et Lior ont donné l’approbation rabbinique suprême : une « haskama », la sorte de référence donnée par des érudits en préface d’ouvrages judaïques attestant de leur valeur halakhique et de la véracité de leur contenu.

« Je me suis réjoui de voir cette merveilleuse création », a dit Lior à propos de ce livre. En février de cette année-là, le ministre de la sécurité intérieure a émis un mandat d’arrêt contre Lior, après le refus de ce dernier de venir répondre à des questions sur des soupçons d’incitation à la haine raciale, un crime en Israël qui est rarement puni, mais qui est passible d’une peine maximale de cinq ans de prison. Lior rejeta l’ordre de l’Etat en arguant qu’il n’avait aucune obligation de se plier à ses règles ; c'est le procès de la Torah elle-même que l'on fait, a-t-il proclamé.

Par conséquent la voix auto-proclamée du Judaïsme dans sa forme la plus pure s’était placée au-dessus des lois.

Pendant ce temps, le mandat d’arrêt provoqua des appels à la résistance totale de la part de membres de l’aile droite de la Knesset, comme Yaakov Katz, qui a déclaré que le gouvernement se comportait comme les « sombres régimes » qui ont persécuté les Juifs à travers l’histoire, attribuant au ministre de la justice le rôle du Nazi ou du Pharaon. Vingt-quatre membres de la coalition de Nétanyahou, dont David Rotem, le président de la Commission de la Constitution, des Lois et de la Justice de la Knesset, se joignirent à Katz pour dénoncer l’arrestation de Lior. Les deux Grands Rabbins d’Israël, Yona Metzger et Shlomo Amar, publièrent une déclaration conjointe dénonçant l’arrestation d’un homme qu’ils décrivaient comme « l’un des plus grands rabbins d’Israël ».

La colère de la droite religieuse a explosé lors d’une manifestation houleuse à l’extérieur de la Cour Suprême en juillet 2011, avec des centaines de jeunes colons qui ont fait une brèche dans un mur entourant le palais de justice et ont essayé de prendre le bâtiment de force. Le même mois, après que deux activistes de l'aile droite furent attrapés en train de s’introduire chez lui, Shai Nitzan, le substitut du procureur, fut contraint de se déplacer avec un détachement spécial de sécurité.

En mai 2012, le gouvernement a plié sous une pression sans relâche – l’aile droite est passée à l’extrême droite – avec le ministre de la Justice Yehuda Weinstein décidant qu’il ne disposait pas de preuves suffisantes pour conclure que Torat Ha’Melech incitait au racisme, principalement parce que le livre était écrit d’une « façon vague ». Lior fut relâché en compagnie des auteurs du livre, Shapira et Elitzur, consolidant leur domination politique tout en s’assurant que le tract qu’ils avaient produit continuerait à circuler librement au sein des rangs de l’armée. Abasourdi par la décision de l’État, Selif Rachlevsky, un chroniqueur progressiste de Ha’aretz, déclara que Lior était « le dirigeant d’Israël ».

Ayant exercé son influence avec succès sur les militaires et le système judiciaire, la droite religieuse s’est rendue dans toutes les villes mixtes d’Israël pour promouvoir la ségrégation et punir les unions (et naissances) mixtes dans une campagne qui s’est étendue de pâté de maison en pâté de maison et de rue en rue.

Max Blumenthal

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