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Billet de blog 26 décembre 2014

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Après la Grèce, l'Italie pourrait payer l'entêtement de la Troïka et des Allemands

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Antonietta Demurtas, depuis Bruxelles. Article publié sur Lettera43.it, le 24 décembre 2015 : Varoufakis: «L'UE va salvata con un piano Merkel» ["Il faudrait un plan Marshall Merkel pour sauver l'UE" - traduction JFG-QuestionsCritiques].

La Troïka est aux portes. Remèdes stériles. L’Union européenne craint les défauts, pas seulement de la Grèce et de l’Italie. L’économiste Varoufakis : « La flexibilité ? Ridicule ! Si l’Allemagne ne nous aide pas, c’en est fini.”

A Athènes, le plan de sauvetage européen, dit de la Troïka, s’est révélé être un cheval de Troie.

Les conditions imposées par les représentants européens (Banque centrale, Commission et FMI) pour le feu vert à la sortie du programme sont jugées inacceptables par les Grecs.

Depuis cinq ans, le peuple grec, à la limite de la survie, endure d’énormes sacrifices : réductions budgétaires en matière de santé, d’éducation, de recherche, etc.

Elections anticipées.

Et maintenant, se profile une nouvelle baisse de 20% des pensions (qui ont déjà été réduites par trois fois), qui sonne, non pas comme une nouvelle mesure pour mettre en œuvre le plan de relance, mais comme le coup de grâce pour un pays qui, même au niveau politique, semble ne plus avoir la force de s’extraire de ce bourbier d’instabilité.

Le 23 décembre a vu se confirmer l’impasse politique avec le second tour de l’élection présidentielle, dont l’échec rend plus concrète, jour après jour, l’hypothèse d’élections législatives anticipées.

L’obscurité pour toujours ?

« L’obscurité est profonde juste avant l’aube » a écrit le Premier ministre Antonis Samaras dans un article publié dans le journal Ethnos.  

Cependant, la Troïka pourrait bien plonger la Grèce dans les ténèbres pour toujours. Et cette fois-ci, pas seulement la Grèce ! Le tour de l’Italie pourrait bientôt arriver dans les mêmes conditions. Selon Matteo Renzi (le Premier ministre italien), la Troïka est plutôt considérée comme un épouvantail. « C’est une réelle possibilité», a déclaré à Lettera43.it l’économiste Yanis Varoufakis, professeur de théorie économique à l’université d’Athènes et à la  Lyndon Johnson school of public affairs au Texas.

VAROUFAKIS: « Soit l’UE se réveille et fait preuve d’intelligence, soit le défaut est inévitable”

Varoufakis, qui est l’auteur du livre Modeste proposition pour résoudre la crise de l’euro, n’a pas peur d’envisager des scénarios apocalyptiques, parce que « si nous continuons à avancer vers le futur comme des somnambules, c’est toute la zone euro qui fera inévitablement défaut, pas seulement la Grèce et l’Italie. »

QUESTION : L'Italie pourrait-elle vraiment se retrouver dans la même situation que la Grèce dans un an ou deux?

Yanis Varoufakis : L'économie italienne est très différente de celle de la Grèce. Vous avez un Nord industriel qui est encore capable de se maintenir à l’équilibre, mais la situation est, quoi qu’il en soit, déjà insoutenable.

Q : Pourquoi?

YV : C’est un pays au centre de la zone euro, qui fait partie de l’union monétaire, laquelle n’a pas été conçue pour affronter la crise que nous connaissons. Même si en 2013 les exportations de l’Italie ont été assez bonnes, réalisant un surplus primaire de l’ordre de 2% et un déficit budgétaire dans la limite de Maastricht, son rapport dette/PIB est hors contrôle.

Q : C’est-à-dire?

YV : Si on ne fait pas quelque chose de concret, d’ici un an Matteo Renzi sera chassé du gouvernement, comme cela est arrivé à Mario Monti. Toute la zone euro replongera dans une crise encore plus noire.

Q : Risque-t-on un défaut généralisé ?

YV : Oui. Si nous avançons vers le futur comme des somnambules, nous finirons avec l’effondrement de la zone euro. J’espère seulement et je prie pour que ce soit un processus politique qui mette en place toutes les mesures nécessaires avant que nous en arrivions là.

Q : Que suggérez-vous pour éviter un tel scénario ?

YV : Nous avons besoin de trois mesures fondamentales qui pourraient être mises en place en une semaine, il suffirait que les politiques le veuillent.

Q : Lesquelles ?

YV : Premièrement, un plan d’investissements massifs pour inverser la récession, renforcer l’intégration européenne, rétablir la confiance dans le secteur privé, respecter l’engagement du Traité de Rome de 1957 sur la hausse du niveau de vie et l’Acte unique européen sur la cohésion économique et sociale.

Q : Mais c’est déjà le plan Juncker !

YV : Celui-ci est un acte pathétique désespéré pour faire oublier la faillite de la classe dirigeante de Bruxelles. C’est une plaisanterie. Nous avons besoin d’un vrai plan que la Banque européenne d’investissement (BEI) et le Fonds européen d’investissement (FEI) doivent financer en émettant des obligations de la BEI.

Q : Combien ?

YV : Une grande quantité, 300 milliards d’euros par an pendant 5 ans.

Q : Et qui les achètera ?

YV : La BCE, qui doit enfin commencer les opérations d’assouplissement quantitatif consistant à acquérir la totalité de ces titres en émettant de la nouvelle monnaie. De cette manière, Mario Draghi évitera le problème de devoir financer directement les Etats.

Q : C’est la première proposition. La seconde ?

YV : On a besoin de diviser la dette publique de chaque Etat membre en deux parties et mettre celle qui rentre dans les critères de Maastricht (60% du PIB) à disposition de la BCE comme euro obligations enregistrées au débit de l’UE.

Q : Et comment la BCE paierait-elle ces obligations ?

YV : Elle pourrait acheter ces obligations émises dans le cadre du MES (mécanisme européen de stabilité) ou émettre elle-même des obligations, comme l’ont déjà fait les banques du Chili et du Mexique.

Q : Et puis ?

YV : Faire payer à chaque Etat membre à partir desquels elles ont été transférées les intérêts dus sur ces dettes transformées en obligations, jusqu’à leur maturité.

Q : En pratique ?

YV : La BCE construirait une passerelle entre l’Italie et le marché en assurant de faibles taux d’intérêt sur la partie de la  dette italienne autorisée par Maastricht. Cette opération permettrait de diminuer la dette de toute la zone euro de 40% pour les 20 prochaines années.

Q : Et quelle est la troisième idée ?

YV : Une véritable union bancaire, et non pas la version de propagande que nous avons aujourd’hui. Si une banque espagnole, italienne ou française, faute d’être recapitalisée, fait appel au MES, celui-ci nomme un nouveau conseil d’administration.

Q : Et qui choisit les administrateurs ?

YV : Il doit être constitué de personnes n’ayant pas la même nationalité que la banque, afin de rompre ce terrible lien relationnel entre les banquiers et les politiques. Le nouveau conseil d’administration nettoie la banque et la revend au secteur privé. En pratique, européaniser une banque, comme l’ont fait les Etats-Unis.

Q : C’est toujours mieux que de parler de flexibilité…

YV : Il n’y a aucune flexibilité. Je suis sidéré de voir que la Commission à Bruxelles a négocié pendant des jours, des semaines et des mois pour quelques décimales par rapport aux lois budgétaires des Etats membres.

Q : Ainsi que l’a dit Renzi: « Assez d’une Europe qui ne se soucie que de la tolérance zéro ».

YV: Exactement. C’est absurde, ridicule. Si demain un historien devait raconter quelle a été la réussite de l’UE au bout de cinq ans, il devrait écrire une histoire très décevante.

Q : Peut-être faudrait-il un nouveau Jacques Delors ou remplacer la chancelière allemande?

YV : La solution que je préconise pour éviter le défaut ne peut se réaliser sans le soutien de l’Allemagne. C’est pourquoi il devrait s’appeler : le plan Merkel pour l’Europe, un plan Marshall pour sauver l’UE.

Q : Et comment convaincre la Chancelière ?

YV : La crainte d’un défaut devrait suffire comme levier efficace pour faire quelque chose. Et si cela ne suffit pas, je propose d’ériger une statue de Merkel dans toutes les capitales européennes (dit-il avec ironie, ndlr).

Q : En somme, comme dirait Draghi: « Faire tout ce qu’il faut »?

YV : Oui, faire tout ce qu’il faut, juste pour sauver l’Europe.

Q : Pour l’instant, vous ne pouvez même pas défendre la Grèce…

YV : Parce qu’on a raconté trop de mensonges.

Q : Lesquels ?

YV : La logique du sauvetage de la Grèce, du Portugal, de l’Irlande, de l’Espagne a été tout simplement de transformer les pertes des banques en frais à la charge des citoyens. Ce ne fut pas un acte de solidarité envers la Grèce, mais envers les banquiers.

Q : Et envers le marché, même si le commissaire Pierre Moscovici lors de son dernier voyage en Grèce a dit que [le marché] « n’est pas le patron ».

YV : Je pense que l’Europe est suffisamment riche et puissante pour commander au marché et non se faire commander, mais elle ne l’a tout simplement pas fait.

Q : Pourquoi ?

YV : L’idée de créer une bulle pour résoudre les problèmes politiques est un choix. En Grèce, même après le deuxième plan de sauvetage, il était clair que ça n’aurait servi à rien d’autre : c’est ce qui se passe lorsque vous persistez à donner de l’argent à ceux qui sont insolvables.

Q : Et donc est arrivé le troisième plan de sauvetage.

YV : Constitué de l’argent du contribuable français, allemand et italien. Alors, pour se défendre, les politiciens ont dit que la Troïka avait été une réussite, que les obligations des banques grecques ont constitué des investissements optimaux. Ils ont continué à mentir pour créer une bulle sur le marché.

Q : Un bluff ?

YV : Ils ont voulu mentir juste pour gagner du temps. En 2013, Merkel avait des élections et a fait campagne en disant : Regardez ce que nous avons accompli, nous avons sauvé la Grèce et résolu la crise. En vérité, ils voulaient seulement couvrir une énorme faillite politique.

Q : Ce que les nouveaux partis comme Syriza et Podemos tentent maintenant d’exposer ?

YV : Oui, et j’espère qu’ils pourront bientôt travailler ensemble pour un programme européen, et pas seulement espagnol et grec. Il faut rendre la zone euro de nouveau viable à partir de finances publiques plus transparentes.

Q : Un objectif que même le Financial Times – certainement pas un quotidien de gauche – dit ne pouvoir être poursuivi que par des partis comme Syriza et Podemos.

YV : Bien sûr, parce que quand on a une classe politique comme celle du centre-droit et du centre-gauche qui décide de cacher la vérité pour survivre, vous vous retrouvez à contraindre les citoyens à se radicaliser. La gauche est l’unique parti politique qui dit aujourd’hui des choses sensées. Par les temps qui courent, se radicaliser est la seule option rationnelle.

Q : En Italie, c’est le Parti Démocratique où le Mouvement 5 étoiles, mais ils veulent quitter l’euro.

YV : Renzi a vraiment la possibilité de faire ce qu’ont fait Syriza et Podemos. L’unique problème est qu’il n’a que quelques mois pour y parvenir, nous verrons s’il réussit.

Q : Il a passé trop de temps à parler de flexibilité ?

YV : Oui, il a fait une grave erreur. Il s’est trop dispersé au milieu de sa bataille pour combattre les règles surannées qui ont paralysé la zone euro, en faisant de cette bataille un point de vue communautaire. Et c’est ce qui me préoccupe.

Q : Trop d’égoïsme national

YV: Oui, il négocie seulement pour obtenir un avantage par rapport à sa propre loi budgétaire, mais il ne dit rien sur le reste de l’Europe. Passer un accord avec Bruxelles pour une meilleure liberté d’action nationale est une erreur. Nous sommes tous dans le même bateau. Renzi devrait lutter pour combattre la situation de toute l’UE. Ce n’est qu’ainsi que l’Italie aura une chance.

Q : Beaucoup d’autres, pas seulement Renzi, préfèrent faire cavalier seul : il suffit de voir la victoire des eurosceptiques en Grande-Bretagne avec UKIP et en France avec le Front National.

YV : Le plus grand allié de l’euroscepticisme est finalement européen. Si L’UE commençait à créer une véritable perspective de croissance et de prospérité, les eurosceptiques se dissoudraient. Mais aujourd’hui, Bruxelles met les citoyens sur le banc de touche et ce n’est pas en leur faveur.

Q : Devrait-on arrêter de parler de la Troïka et de l’austérité ?

YV : Oui, démontrer que l’UE peut fonctionner, qu'elle n’est pas une prison dorée. Ce devait être la maison commune, mais aujourd’hui, pour la majeure partie des citoyens, elle est devenu un camp de concentration. Et c’est cette peur qui s’appuie sur l’euroscepticisme.

Le dernier livre de Yanis Varoufakis, LE MINOTAURE PLANETAIRE : L’ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial, vient de sortir aux Editions du Cercle :

version Kindle: ICI

version KOBO: LA

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