A la veille du premier tour de l’élection présidentielle, nombre d’électeurs s’interrogent encore pour savoir s’ils vont voter selon leur conviction ou bien voter « utile ». Cette question est encore plus prégnante cette année, avec quatre candidats susceptibles de se qualifier et 6 duels possibles pour le second tour ! Cette situation est-elle inévitable ?
Si cette question porte sur l'existence de règles de vote permettant d'échapper complètement à ce dilemme, la réponse est malheureusement négative. Au début des années 1970, un économiste, Mark Satterthwaite, et un philosophe, Alan Gibbard, ont montré que tous les modes de scrutin démocratiques étaient sensibles à ce problème. Quelle que soit la règle, il y aura toujours des situations dans lesquelles des citoyens auront intérêt à abandonner leur choix sincère pour un vote stratégique.
On peut cependant comparer les règles entre elles. Parmi tous les systèmes de vote, notre scrutin officiel, uninominal à deux tours, reste un filtre particulièrement sévère, puisque la complexité des préférences de chaque électeur se résume finalement à un unique nom déposé dans une urne. Il existe pourtant de nombreuses méthodes qui, permettant une expression plus complète des souhaits de chacun, atténuent grandement la problématique du vote utile.
En Australie ou en Irlande, le bulletin de vote se présente sous une forme très différente, puisqu’il demande un classement des candidats. Le vote unique transférable va alors éliminer un à un les candidats jusqu’à désigner un vainqueur. A chaque étape, le candidat qui a le moins de voix est éliminé, et le vote de ses partisans est transféré au candidat suivant sur le bulletin. Plus besoin alors pour l’électeur de voter d’emblée utile, puisque l’éviction de son candidat favori ne se traduit pas par la perte de son vote mais par sa réattribution au suivant de ses choix encore valides. Ce vote transférable tend à se répandre: en novembre dernier, les électeurs de l’état du Maine (Etats-Unis) ont décidé par referendum de l’utiliser pour toutes leurs élections (Gouverneur, Sénateur, etc.…).
On peut aussi imaginer d'autres méthodes, au fonctionnement intuitif et aisément utilisables par les électeurs. Le vote par approbation donne la possibilité de voter pour plusieurs candidats, le vainqueur étant celui qui recueille le plus de voix. Il permet de mieux apprécier le poids de certains courants, marginalisés par le vote uninominal. Dans la même logique, le vote par évaluation demande aux électeurs de noter chaque candidat sur une échelle commune (0, 1, 2, 3, …etc.), il leur permet d’exprimer et de nuancer leur opinion sur chacun d’entre eux. Le vainqueur est alors le candidat qui obtient la meilleure moyenne ou, dans une variante plus complexe, la meilleure médiane.
La recherche s’intéresse depuis longtemps aux modes de scrutin alternatifs, et un collectif de chercheurs va tester ceux-ci à grande échelle lors de l’élection présidentielle dans le cadre de 15 bureaux de vote situés dans le Bas-Rhin (Strasbourg), le Calvados (Hérouville-Saint-Clair) et l’Isère (Grenoble, Crolles, Allévard-les-bains). Et tout un chacun en France peut participer à une expérimentation en ligne, sur le site https://vote.imag.fr.
Pour ne pas perturber le déroulement du processus électoral, les résultats ne seront divulgués qu’après la fin des élections législatives. Ces recherches visent à améliorer l’expression de la démocratie, et dans le futur, elles permettront peut être d’éviter que la question du vote utile ne domine les débats.
Ce billet est signé par plusieurs chercheurs travaillant actuellement sur le sujet:
Vincent Merlin, CNRS, CREM, Universités Caen-Normandie et Rennes 1
Isabelle Lebon, CREM, Universités Caen-Normandie et Rennes 1
Antoinette Baujard, GATE Lyon Saint-Étienne, Université Jean Monnet Saint-Étienne
Renaud Blanch, LIG, Université Grenoble-Alpes
Sylvain Bouveret, LIG, Université Grenoble-Alpes
François Durand, CREM, Universités Caen-Normandie et Rennes 1
Herrade Igersheim, CNRS, BETA, Université de Strasbourg
Jérôme Lang, LAMSADE CNRS, Université Paris-Dauphine
Annick Laruelle, UPV-EHU, Universidad del País Vasco
Jean-François Laslier, CNRS, Ecole d'Economie de Paris