Se redressant soudain à cette pensée extraordinaire, laissant soudain choir ses outils, ses armes, ses munitions, chaque personne est partie en hâte à la recherche d’un concitoyen proche - Palestinien pour l’Israélien, Israélien pour le Palestinien. Et voyant que beaucoup d’autres faisaient la même course, constatant dans le regard de l’autre la présence de la même inspiration, sans un instant de pause, ils se sont mis à dire à voix forte :
Maintenant au pays de Canaan.
Nous ne jugeons pas les paroles;
Nous exerçons à chaque seconde la bienveillance;
Nous cessons toute violence et lui répondons par le souci du bien de l’autre personne humaine;
Nous déposons toutes nos armes;
Nous tendons maintenant les mains ouvertes à l’autre personne humaine, en silence;
Nous regardons nos cicatrices comme des invitations solennelles à ne pas prolonger ni renouveler les causes de nos violences;
Car nous avons fait taire en nos cœurs les discours de la haine, de la vengeance, des croyances et de la rancœur, pour mettre l’énergie née de la douleur au service de la paix;
Nous décidons que la paix nous est indispensable et que la fin définitive de la violence est indispensable à la paix;
Il n’y a pas de fête palestinienne ni de fête israélienne aujourd’hui. C’est pourquoi nous fêterons désormais ce jour comme « Le Jour du Commencement »
Et jetant parfois un regard sur les outils et les armes tombées à terre, soldats et paysans, parents et enfants, secrétaires, agents de police, et religieux répétaient avec ferveur ce rituel, encore et encore jusqu’à ce que leur parvint, du lointain et du plus proche, une chape de silence. Les enfants sont les premiers à s‘apercevoir du silence. Ils tirent sur les mains de leurs parents qui les uns après les autres s’arrêtent de réciter.
Puis après un très court silence, tous lancent au ciel un immense assourdissant et long cri de joie, avant de se prendre dans les bras et de se serrer, les larmes aux yeux, longtemps. Puis tout le monde parle en même temps « Tu te souviens, ça nous était déjà passé par la tête d’être tous d’accord d’un coup. C’était comme une utopie de bisounours ! Et on l’a fait !" Et une autre : "Rien d'autre ne marchait, de toutes façons»
Depuis toutes les décisions concernant le pays sont préparées de concert par les Palestiniens et les Israéliens, très lentement, et mises en œuvre sous contrôle partagé. A chaque difficulté, ils reprennent le rituel du Commencement.
Cela fait maintenant trois années que la Fédération de Canaan n’a plus entendu un seul coup de feu.