À l’heure à laquelle je prépare ce billet, nul ne sait qui, de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande, emportera la victoire de cette élection présidentielle. Les derniers sondages donnent François Hollande gagnant d’une courte tête. L’écart de plus de dix points du début de campagne a bien fondu. Nicolas Sarkozy s’est même trouvé en tête à plusieurs reprises, selon les nombreux sondages dont on nous a abreuvés tout au long de cette éreintante campagne. Les « courbes se sont croisées » et recroisées. Les reports de voix des électeurs du centre comme ceux du Front national risquent de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. De fait, la balance a déjà sérieusement penché d’un côté : le droit. Si nul ne peut nier « l’extrême-droitisation » de la campagne du président sortant, il est difficile d’occulter le glissement droitier de l’ensemble du Partis socialiste. Ainsi, l’enjeu de ce deuxième tour n’est pas tant la victoire de la gauche contre la droite, encore moins l’avènement d’un « Grand soir », que le coup d’arrêt, définitif, qu’il est urgent de porter à une politique, si on peut encore appeler cela comme ça, désastreuse.
Depuis plus de cinq ans, la, ou plutôt les politiques menées par Nicolas Sarkozy produisent des résultats calamiteux. J’emploie le terme politique au pluriel, du fait des forts nombreux renoncements, retournements, contradictions et trahisons qui ont émaillé ce quinquennat. Depuis dès avant sa prise de fonction, l’alors candidat, pas encore président, franchit les limites de l’acceptable. Au plan politique comme au plan humain, si j’ose dire, Nicolas Sarkozy s’est montré exécrable, insupportable, innommable, voire odieux, à de trop nombreuses reprises.
Sur le plan politique, pour commencer, il est, aujourd’hui, loisible de constater à quel point les promesses et les discours de Nicolas Sarkozy, la main sur le cœur, les yeux dans les yeux, n’étaient que rodomontades. Tout comme sa manie de donner des titres grandiloquents à la moindre mesure de son gouvernement ne masque plus l’inanité de ce qui est prétendu. Le « Grenelle de l’environnement », complété du « Grenelle de la mer », est sans aucun doute le meilleur exemple de l’écart entre la grandiloquence verbale et la petitesse des résultats obtenus. Ainsi, « ce grenelle a été une entourloupe »[i]. D’ailleurs, Nicolas Sarkozy, lui-même, l’a dit : « l’environnement, ça commence à bien faire »[ii]. Et puis, tout à fait entre nous, l’allusion aux accords de Grenelle, venant du président qui a refusé tout coup de pouce au SMIC durant son mandat, était déplacée. Encore, le « Plan Marshall des banlieues », autre projet au titre outrageusement ampoulé, n’a pas produit plus de résultats. À peine quelques mois après son annonce et « après quelques semaines de cacophonie » [iii], ce plan, « revu par le président de la République, a fait long feu ». Son bilan se résume à : « quelques ilots de réussite dans un océan d’échecs »[iv]. Enfin, le « Plan de relance : 1 000 projets pour toute la France », rien de moins, n’a pas plus abouti. Là aussi, autant le discours s’était voulu volontaire, autant l’action n’a pas dépassé l’intention. Ce plan devait, « au total »[v], « générer 1,3 point de croissance en plus », par « un effet d'entraînement» des investissements publics ». La force des critères qui président au choix des chantiers, « identifiable, visible et durable », n’aura pas suffi à sauver ce projet d’envergure nationale, d’un enterrement aussi rapide que discret. La liste des échecs et des renoncements présidentiels durant ce quinquennat se révèle bien trop longue pour la citer entièrement. Cependant, avant d’aller plus loin, il me reste un point, sans doute le plus important, pour décrire ce qu’est le sarkozysme. Au contraire des exemples cités ci-dessus, ce point prouve que Nicolas Sarkozy n’est pas qu’un tchatcheur, mais est tout à fait capable de traduire un discours en actes, avec constance. Il s’agit de l’adhésion et des sympathies du président sortant pour les thèses de l’extrême-droite. Dès avant de se déclarer candidat à l’élection présidentielle de 2007, par deux fois, l’encore ministre de l’Intérieur, à l’occasion de déplacements en banlieue, a tenu des propos qui ne collent pas tout à fait à l’idée qu’on peut se faire d’un ministre d’État, dans une république démocratique. Une première fois lorsqu’il propose, « dès demain »[vi], de « nettoyer au Karcher la cité », avant de récidiver, quelques mois plus tard, lorsqu’il demande aux habitants du quartier qui l’entourent : « vous en avez assez, hein ? Vous en avez assez de cette bande de racaille ? Eh bien, on va vous en débarrasser !»[vii]. Non content de rééditer de tels exploits pendant la campagne présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy, devenu président de la République, multiplie les annonces xénophobes et racistes. De trop nombreux discours confirment cela. D’abord celui de Dakar[viii], ou notre président nouvellement élu proclame que « l’Homme africain n’est pas assez rentré dans l’histoire ». Ensuite, à Saint Jean de Latran[ix], ou Nicolas Sarkozy rappelle que « les racines de la France sont essentiellement chrétiennes », avant de préciser que « c’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l‘Église » et d’appeler « de [ses] vœux l’avènement d’une laïcité positive ». Encore à Grenoble[x], ou, non content de vouloir « mettre un terme aux implantations sauvages de campements Roms [qui] constituent des zones de non-droit qu’on ne peut tolérer en France », il annonce que « la nationalité doit pouvoir être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique ». Enfin, à Toulon[xi], où, pas encore candidat, Nicolas Sarkozy proclame : « Nous défendrons notre identité. Nous n'accepterons pas une immigration incontrôlée qui ruinerait notre protection sociale ». Et continue par « l'immigration est féconde si elle est maîtrisée ». Aujourd’hui, à la veille du second tour, le président sortant, à nouveau candidat, s’inquiète des « Français ayant de vraies préoccupations et à qui il faut parler », en parlant de ces « fachos racistes et xénophobes »[xii]. D’ailleurs, s’il est réélu, Nicolas Sarkozy, pour qui « il y a trop d’étrangers sur notre territoire », entend limiter à 100 000 le nombre d'entrées annuelles sur le territoire contre 180 000 actuellement[xiii].
Bien d’autres « dérapages » confirment le glissement de la droite républicaine vers l’extrême-droite. Plusieurs des collaborateurs du président, notamment parmi les plus proches, ont tenu des propos qui marqueront l’histoire de ce quinquennat « décomplexé ». En premier lieu, Claude Guéant, conseiller présidentiel devenu ministre de l’Intérieur, toujours à la recherche du bon mot. Ce peut-être prochain Premier ministre, en cas de réélection se félicite : « Nous sommes en route vers 40 000 reconduites d’étrangers en situation irrégulière ». Pour ce militant UMP convaincu, « accepter le vote des étrangers, c'est la porte ouverte au communautarisme ». Il précise, sans dire qui est nous, que « nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent obligatoire la nourriture halal dans les repas des cantines, ou réglementent les piscines à l'encontre des principes de mixité ». D’ailleurs, il n’hésite pas à affirmer, comme une évidence, que « les étrangers doivent accepter nos règles, c'est à eux de s'adapter. Chacun comprend que si on reçoit moins d'immigrés, les choses se passeront mieux ». Claude Guéant est un multirécidiviste du « dérapage » raciste ou xénophobe. Ainsi, il avait déjà affirmé, en février dernier : « Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas »[xiv]. Ensuite, Brice Hortefeux, condamné pour injure raciale, après avoir dit, à propos d’un jeune militant de l’UMP, d’origine maghrébine : « Quand il y en a un, ça va, c'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes », avant d’être relaxé en appel, même si la cour d’appel reconnaît qu’il y a effectivement eu injure raciale. Brice Hortefeux avait déjà, quelques mois auparavant, présenté Fadela Amara comme « une compatriote »[xv], précisant : « comme ce n’est pas forcément évident, je le précise ». Ce grand serviteur de l’État, ministre de l’Intérieur, a été condamné pour atteinte à la présomption d’innocence, avant de faire appel et d’être promu conseiller élyséen.
Arrêtons là cette revue du festival de racisme et de xénophobie qu’aura été ce quinquennat. Non, il ne s’agit donc pas d’un énième virage à l’extrême-droite, mais de la confirmation de son adhésion à ce courant de pensée. S’il est un point sur lequel Nicolas Sarkozy, n’a pas changé de cap, durant tout son quinquennat, c’est bien celui-là. Xénophobie et racisme font partie de son discours et de ses convictions depuis avant même son arrivée à la tête de la République. Bien pire que tous ses autres défauts cumulés, son penchant pour de telles thèses représente un véritable danger pour une République démocratique comme la nôtre. Danger bien plus grave que « les affaires » qui pèsent sur cette fin de quinquennat. Financement occulte, pressions... ponctuent l’actualité depuis maintenant quelques années. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la promesse d’une « République irréprochable » reste une utopie. Les questions de financement occulte, renforcées par la démission du ministre du Budget, alors trésorier de la campagne, Eric Woerth, les démissions en cascade de plusieurs ministres suite à l’utilisation « personnalisée », pour ne pas dire abusive, d’argent public, à des fins personnelles, la destitution du responsable de la police Corse et du préfet du Var, du fait de leur immobilité dans le règlement d’affaires gravissimes concernant les propriétés de son ami Christian Clavier et de sa belle famille, la tentative de nomination de son fils Jean, à la tête du plus grand quartier d’affaires d’Europe... montrent à quel point ce président aura agi avec l’impunité d’un seigneur (saigneur ?) qui n’a de comptes à rendre à personne.
Sur le plan personnel, le bilan n’est pas plus glorieux. Outre ses nombreuses gaffes, bévues et boulettes, Nicolas Sarkozy est apparu, tout au long des cinq dernières années, comme un personnage démesurément ambitieux, prétentieux, capricieux, nerveux, colérique, complexé, vulgaire, voire grossier et dont l’immense goût pour le fric et le « bling-bling » n’a d’égal que sa profonde inculture. La fête de sa victoire au Fouquet’s, le soir du second tour, en compagnie du gratin du CAC 40 et de quelques « pipoles », sa croisière sur le yacht de luxe de son ami Vincent Bolloré, l’annexion, à son profit, de La Lanterne, pavillon traditionnellement dévolu au Premier ministre, la commande d’un nouvel avion présidentiel, surnommé, dans la presse, « Air Sarko One » et, surtout, ses propos sur ses perspectives d’avenir : « je fais ça pendant cinq ans et ensuite, je pars faire du fric », « moi, en 2012, j'aurai 57 ans, je me représente pas. Et quand j'vois les milliards que gagne Clinton, moi, j'm'en mets plein les poches ! Je fais ça pendant cinq ans et, ensuite, je pars faire du fric, comme Clinton. Cent cinquante mille euros la conférence ! »[xvi]... montrent à quel point il aime le luxe et l’argent. Ses tics, ses talonnettes, le débat sur la sélection d’ouvriers ou d’agents de sécurité plus petits que lui[xvii]... confortent la thèse de ses complexes et de sa nervosité. La réponse qu’il adresse à l’un des pêcheurs qui l’apostrophe, lors d’une visite au Guilvinec : « Toi, si tu as quelque chose à dire, tu as qu'à venir ici ! »[xviii], et, encore plus, celles qu’il fournit, au Salon de l’agriculture, à un anonyme énervé, d’abord « casse-toi, alors », avant d’enchaîner par : « casse-toi alors, pauvre con ! » [xix] atteste de sa difficulté à « maîtriser ses nerfs ».
Je ne sais pas si François Hollande sera le président idéal, je n’en suis pas sûr du tout. Par contre, je sais, sans aucun doute possible, que Nicolas Sarkozy ne le sera pas. Il ne l’a jamais été, ne l’est pas, donc ne le sera pas. François Hollande, s’il l’emporte, ne devra pas fêter sa victoire, car il ne s’agira pas d’une victoire. L’ampleur de sa tâche, les difficultés qu’il va rencontrer et les enjeux de son accession au pouvoir interdisent d’évoquer quelque victoire que ce soit. La victoire sera celle du retour et, surtout, du maintien dans le long terme, au pouvoir d’un idéal sociétal radicalement différent de celui du président sortant. La victoire sera celle du : « plus jamais ça ».
[i] Fabrice Nicolino, cité par Rue 89, consulté le 6 mai 2012 : http://www.rue89.com/planete89/2011/03/21/comment-hulot-greenpeace-wwf-et-fne-ont-tue-lecologie-195929
[ii] Rue 89, 6 mars 2010, consulté le 6 mai 2012 : http://www.rue89.com/2010/03/06/salon-de-lagriculture-sarkozy-arrive-sur-la-pointe-des-pieds-141663
[iii] Le Monde diplomatique, 8 février 2008, consulté le 6 mai 2012 : http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-02-08-Banlieues-le-plan-Marshall
[iv] Le Point, 22 janvier 2012, consulté le 6 mai 2012 : http://www.lepoint.fr/societe/plan-marshall-des-banlieues-ilots-de-reussite-dans-un-ocean-d-echecs-22-01-2012-1422144_23.php
[v] Libération, 2 février 2009, consulté le 6 mai 2012 : http://www.liberation.fr/economie/0101316282-1000-projets-pour-la-relance
[vi] À La Courneuve, cité des 4 000, le 19 juin 2005, source Le Figaro, 24 novembre 2009, consulté le 6 mai 2012 : http://www.lefigaro.fr/politique/2009/11/24/01002-20091124ARTFIG00435-d-argenteuil-a-bobigny-les-visites-de-sarkozy-en-banlieue-.php
[vii] À Argenteuil, le 25 octobre 2005, source Le Figaro (op. cité).
[viii] Discours de Dakar : 26 juillet 2007.
[ix] Discours de Latran : décembre 2007.
[x] Discours de Grenoble : le 30 juillet 2010.
[xi] Discours de Toulon : 1er décembre 2011.
[xii] C’est Marine Le Pen qui le dit : http://www.mediapart.fr/journal/france/010512/marine-le-pen-votera-blanc-ses-electeurs-hesitent-encore.
[xiii] Médiapart : http://www.mediapart.fr/journal/france/030512/gueant-promet-40-000-expulsions-si-sarkozy-est-reelu
[xiv] Médiapart : http://www.mediapart.fr/journal/france/050212/eric-fassin-gueant-cherche-doubler-l-extreme-droite-sur-sa-droite
[xv] Janvier 2009
[xvi] Le Monde, 24 janvier 2012, consulté le 6 mai 2012 : http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/01/24/depuis-2005-sarkozy-evoque-regulierement-l-apres-elysee_1633591_823448.html
[xvii] Libération, 8 septembre 2009, consulté le 6 mai 2012 : http://www.liberation.fr/societe/0101589511-sarkozy-et-les-salaries-de-petite-taille-allusions-ridicules-selon-lefebvre et Le Nouvel Observateur, 5 décembre 2010, consulté le 6 mai 2012 : http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20101205.OBS4216/du-personnel-de-petite-taille-autour-de-sarkozy-en-inde.html
[xviii] Le Monde, 6 novembre 2007, consulté le 6 mai 2012 : http://www.lemonde.fr/societe/video/2007/11/06/nicolas-sarkozy-s-emporte-au-guilvinec_975043_3224.html
[xix] Le Nouvel Observateur, 23 février 2008, consulté le 6 mai 2012 : http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20080223.OBS1979/sarkozy-a-un-visiteur-casse-toi-pauvre-con.html