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Billet de blog 10 juin 2012

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« Des courriers pour lutter contre l’oubli »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les dernières révélations du Canard Enchaîné[i], sur les derniers jours de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, sont pathétiques. Ces révélations, si elles s’avèrent mais ne doutons pas de la fiabilité des sources du « canard », nous apprennent, a postériori, à quel point le « président sorti » était capable du pire et, par voie de conséquence, à quoi nous avons « échappé belle » s’il avait été réélu.

Le Canard Enchaîné, donc, nous apprend que Nicolas Sarkozy a détruit, fait détruire plutôt, les courriers destinés à François Hollande arrivés à l’Élysée avant son investiture, le 15 mai. Les courriers en question auraient, selon le journal satirique, été passés à la broyeuse et l’ex-locataire du palais présidentiel l’aurait annoncé à son successeur lors de leur rencontre de passation des pouvoirs. L’élégance du geste a été relevée dans nombre de journaux qui y ont vu un « manque de fair-play » de la part de l’ancien président.

Déjà, en mars dernier, Louis, digne fils de son père et sacripant à ses heures avait, pour tromper l’ennui d’une campagne électorale dans laquelle il n’était pas impliqué, pour « excuse atténuante de minorité », canardé une policière en faction dans la cour de l’Élysée. La conjonction des excuses paternelles et, sans doute son rang social, l’âge du « snipper » ainsi qu’une bonne dose d’humour de la victime avait alors permis d’arrondir les angles et éviter à cette affaire de prendre la tournure juridique qu’elle aurait prise, jouée par d’autres acteurs, en d’autres lieux. Car le Code pénal, notamment dans son article 433 – 5[ii], dispose que « l’envoi d’objets quelconques adressés à une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie » constitue un « outrage puni de 7 500 euros d’amende ». Pour un peu, le président de la République aurait été classé parmi les parents de jeunes délinquants (parents démissionnaires ?) et se faisait retirer les allocations familiales. Quelle image aurait ainsi véhiculé la France, pays des Lumières ?

Au-delà d’une mauvaise blague et à l’instar de celui de son fils, ce geste de Nicolas Sarkozy relève du Code pénal qui prévoit, dans son article 226 – 15, portant sur « le secret de la correspondance » que « le fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance, est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende »[iii]. Cet article précise même que : « est puni des mêmes peines le fait, commis de mauvaise foi, d'intercepter, de détourner, d'utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmises ou reçues par la voie des télécommunications ou de procéder à l'installation d'appareils conçus pour réaliser de telles interceptions ».

Si vue sous son angle pénal, cette brouille dépasse de loin la « mauvaise blague », elle n’atteint cependant pas le niveau d’autres affaires sur lesquelles Nicolas Sarkozy qui, rappelons-le, va prochainement perdre son immunité présidentielle, est attendu. Ainsi, les affaires « Woerth – Bettencourt », « Kadhafi », « Karachi », sans oublier les questions en suspens sur « le financement de son appartement de l’Ile de la Jatte », passionnaient ceux qui, de la majorité comme de l’opposition ou simples citoyens, même pas militants, qui souhaitaient obtenir des réponses à ces questions éthiques. Ce faisant, fort était de constater que « le président de la rupture » n’avait, finalement, pas rompu avec toutes les traditions en vigueur en politique. Cependant, la complexité de tels dossiers ajoutée aux soutiens encore effectifs du « président sorti » et aux antécédents dans de telles affaires ne laissaient que peu d’espoirs à ceux qui voulaient que, sous réserve qu’elle soit méritée, une condamnation soit prononcée.

Cette dernière affaire relance une intrigue déjà vue, complètement éculée. Contrairement aux précédentes, sa limpidité risque de faciliter l’instruction du juge. Rien, ni enjeux politico-financiers, ni secret d’État, ni immunité, ne peut empêcher une enquête aussi simple d’aboutir. Le désormais « citoyen ordinaire » Nicolas Sarkozy et son « manque de fair-play » risquent d’offrir à des juges, trop fréquemment bafoués pendant ce quinquennat, une mise en bouche, moins intéressante mais autrement plus drôle que les traditionnelles enquêtes politico-financières. Parions que ceux-ci rendront justice avec toute l’impartialité liée à leur fonction.

Outre raviver un suspense déjà trop vu, cette histoire de destruction de courriers représente l’occasion, une première, de condamner un ancien président de la République, dans un délai très court. Dans ce sens, Nicolas Sarkozy pourrait poser deux records historiques, sous la Cinquième République. Le premier est déjà homologué : président dont l’exercice aura été le plus court et, en fonction des résultats des investigations des juges qui, n’en doutons pas, se pencheront sur cette histoire « pénale » de destruction de courriers, président condamné le plus rapidement après la fin de son immunité.

Celui pour qui « les Sarkozy doivent se faire oublier » ne le sera donc pas de sitôt. Gageons que, cette fois, la presse française se gaussera autant que la presse étrangère des frasques du personnage. D’abord, il n’y a plus de raisons de se gêner, ensuite, c’est bien plus facile à lire dans sa langue maternelle.


[i] Le Canard Enchaîné, mercredi 6 juin 2012.

[ii] Code pénal, article 433 – 5 sur le site de Légifrance : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000006418555&dateTexte=20090602, consulté le 9 juin 2012.

[iii] Code pénal, article 226 – 15 sur le site de Légifrance : http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000006417954&dateTexte=20090620, consulté le 9 juin 2012.

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