À une semaine de l’élection présidentielle, il était urgent de se pencher sur l’un de ceux qui semblent bien pouvoir l’emporter. D’autant que sa candidature, si elle ne surprend personne, à nouveau dérange. Les mauvaises langues et une partie de l’opposition se moquaient de ce « président-campagnard »[i], dont les déplacements, les discours et, surtout, les attaques contre ses adversaires pas toujours déclarés incitaient à croire que sa campagne avait déjà bel et bien démarré. Pourtant, depuis son annonce, la campagne présidentielle connaît un nouveau tournant. Le verbe, comme le ton, montent, tandis que le niveau des débats descend. L’attaque, même personnelle, supplante l’idéal sociétal ou le projet politique tandis que le débat de fond, s’effondre dans les trente-sixièmes dessous.
L’encore actuel président de la République, en tant que candidat, promet, à tour de bras, comme si c’était la première fois. Il fait feu de tout bois : toute idée devient promesse. À croire que ce candidat, résolument tourné vers l’avenir, ignore, voire renie, cet encore président qui, il y a encore peu, juste avant son entrée officielle et avouée dans la campagne, affirmait se consacrer à terminer la mission que les Français, du moins une majorité des électeurs d’alors, lui avaient confiée en 2007 et de laquelle, avant d’y consacrer moins de temps, il disait ne pas vouloir s’écarter. Qui croire, donc, des deux Nicolas Sarkozy qui envahissent notre quotidien, l’encore chef de l’État, « Mister Hyde », comptable du bilan de ce quinquennat, ou le candidat du futur, « Docteur Jekyll », vierge de toute responsabilité, plein d’énergie et d’espoir ?
Lequel de ces deux Nicolas Sarkozy promet-il de consulter les Français par voie référendaire ? Le candidat du futur, conscient des évolutions démocratiques, pour qui consulter le peuple est une priorité ou l’encore président qui, submergé par tant et tant de revirements, voire de reniements, n’a pas eu le temps de le faire pendant son quinquennat ? Sans parler du président qui, une fois élu, a renoncé à sa promesse de loi sur le référendum populaire. Ou encore de ce même président qui a commencé par faire voter par voie parlementaire le traité européen que le peuple venait de refuser par voie référendaire.
Lequel de ces deux Nicolas Sarkozy a t-il proclamé : « je veux être le candidat du peuple de France et non celui d’une petite élite » ? Le candidat du futur, conscient de la fracture qui sépare les politiques de leur « peuple » ou le président qui, à peine élu, a fêté sa victoire dans une « brasserie populaire » parisienne bien connue : Le Fouquet’s, en présence de quelques amis, de la « petite élite » de la finance française ? Sans oublier le président, encerclé par des affaires, politiques et personnelles, que la transparence, par lui voulue, devrait obliger à répondre aux questions qu’on lui pose.
Lequel de ces deux Nicolas Sarkozy nous transmet-il des images de chacun de ses déplacements ? Le candidat en campagne, voyageant en TGV, parfois chahuté par une foule d’anonymes, « ouvriers et paysans »[1], qui profite de l’occasion pour exprimer un mécontentement trop longtemps tu, ou le président dont le moindre déplacement, forcément en avion présidentiel, sécurité oblige, quitte à élaguer quelques arbres et allonger quelques pistes d’atterrissage trop courtes, mobilise un dispositif jamais vu de forces de l’ordre ? Sans parler d’un président qui, à chacun de ses déplacements, aurait fait venir à grands frais ses militants et sympathisants locaux, pour écarter les autres, au point de se croire adulé par tous.
Lequel de ces deux Nicolas Sarkozy évoque-t-il le « peuple de France » ? Le candidat du futur, alerté sur les dissensions qui divisent ses concitoyens et qu’il est urgent de réparer ou le président qui, à de trop nombreuses reprises, a renvoyé dos à dos les Français de souche et les Français d’origine étrangère ? Ne mégotons pas sur un président qui aurait laissé, permis ou encouragé ses proches ou, pire, qui se serait autorisé à stigmatiser l’étranger à plusieurs reprises tout au long de son quinquennat. Surtout si ce président, redevenu candidat, renouait avec de tels vieux démons. Vieux démons contre lesquels son prédécesseur s'était érigé en rempart.
Lequel de ces deux Nicolas Sarkozy est-il le moins crédible ? Le candidat en campagne qui propose aux enseignants « d’enseigner plus pour gagner plus », sans doute conscient que les enseignants français comptent parmi les moins bien payés d’Europe, ou le président qui, pendant ses cinq années au pouvoir a réduit leur nombre de presque 75 000 ? Ne nous attardons pas sur un président qui, outre une réduction drastique des effectifs d’enseignants, aurait orchestré la diminution du temps d’enseignement et la mise à mal des réseaux d’aide spécialisés ou aurait diminué tous les systèmes d’aides aux enfants en difficulté.
Lequel de ces deux Nicolas Sarkozy faut-il ne plus accepter ? Le candidat qui promet une vigilance accrue au niveau de la gestion financière, à celui des dépenses publiques, ou le président sortant qui a dramatiquement augmenté l’endettement de la France, tout en diminuant ses recettes. Sans omettre celui qui, président ou candidat, coûte tellement cher, à l’occasion du moindre de ses déplacements, qu’il est qualifié de président « le plus cher du monde ». N’évoquons pas non plus l’ancien candidat, dont les comptes de campagnes présidentielles posent un certain nombre de questions pour le moins dérangeantes.
Lequel de ces deux Nicolas Sarkozy faut-il ne pas écouter ? Le candidat agressif, très critique au regard de ses concurrents, notamment celui présenté comme principal, dont il ne rate pas une occasion de dénoncer l’incapacité à présider, candidat auquel on ne peut opposer aucun bilan, encore moins négatif, ou le président sortant qui, en jouant un tel jeu, inverse les rôles, entre celui qui gouverne encore et celui qui ne l’a pas encore fait, en prononçant des promesses et en excluant tout bilan. Sans parler de celui qui, président comme candidat, éructe, plus qu’il n’expose ses conceptions et son projet, changeant de cap au gré des sondages.
À l’instar du célèbre docteur Jekyll, Nicolas Sarkozy semble être habité par un autre, complètement différent. À la différence de Mister Hyde, il n’est pas sûr d’être la seule personnalité différente, si démoniaque soit-elle, à l’intérieur de ce corps. En effet, candidat, président ou à nouveau candidat, il est difficile de savoir lequel de ces Nicolas Sarkozy, Nicolas Sarkozy contredit aujourd’hui. Le nouveau candidat soutient-il l’ancien ou renie-t-il les renoncements du président sortant, lorsqu’il reformule aujourd’hui, une promesse vieille de... cinq ans ? A l’inverse, annoncer aujourd’hui le contraire de ce sur quoi il s’était engagé en 2007 constitue-t-il un soutien au président sortant ou un pied de nez au candidat précédent ? Voilà qui semble démultiplier les possibilités de dédoublement de la personnalité. Je n’ai pas, à travers cet inventaire à la Prévert des postures contradictoires, pour ne pas dire schizophrènes, de Nicolas Sarkozy voulu atteindre à l’exhaustivité. Je me contentais de m’interroger sur quel sens donner à la parole ou à l’action de celui qui, candidat comme président, aura tout dit et son contraire. Pour finir, je rappellerai simplement que si « les promesses n’engagent que ceux qui y croient », il ne faut pas, pour autant, prendre l’électeur pour un canard sauvage.
[1] Se faire chahuter, en campagne électorale, par des paysans... il a tout osé !!