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Billet de blog 1 avril 2016

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Peut-on sidérer un terroriste prêt à mourir? [2]

Second mémoire d'outre-tombe pour servir d'instruction dans la conduite du contre-terrorisme, présenté au Premier ministre en exercice par la philosophe G.E.M. Anscombe.

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Si je tiens tant à ma thèse "intention = action, en régime normal", c'est parce qu'il peut toujours y avoir divorce entre intention et action terroriste, eu égard aux circonstances qui donnent à cette action mortifère une part aléatoire. Or, ce divorce vous le refusez par principe, et soutenez que "l'action terroriste, c'est l'intention - en tous cas"... Plaisant renversement et folle extension de ma thèse! Pourtant, je rejette comme vous la conception moralisante qui fait de ce divorce entre intention et action le cas normal, et je cherche (un peu contre vous) leur coïncidence certaine, aussi précise que possible.

Nous ne sommes pas, vous et moi, de ces mentalistes qui interprétons l'expression d'une intention terroriste comme une déclaration par laquelle cet agent ferait connaître son état interne. Ce serait aller au devant d'insolubles difficultés: seul le terroriste aurait main mise, si j'ose dire, sur son état mental, et nous serions condamnés à on ne sait quel accès indirect ayant cours sur la place publique. "Il faut être moi, dirait le terroriste, pour savoir que j'ai l'intention d'agir par la terreur, et rien ne l'indiquera au contre-terrorisme tant que je ne manifeste pas mon intention!" En fait, comme nous voulons voir directement, nous nous réglerons autrement: l'état mental du terroriste ne sera pas vu intrinsèquement (c'est-à-dire quel que soit le contexte), mais par ses raisons d'agir "en contexte".

Seuls les mentalistes peuvent penser que ce terroriste daechien prêt à mourir pourrait avoir l'intention d'exterminer des jeunes of Paris alors même qu'il n'a pas de charge explosive, tout comme il lui suffirait de se figurer qu'il en aura bientôt - déconnectant en continu son mental du contexte. Pis encore, le terroriste pourrait avoir l'intention "d'exploser" ces jeunes, alors même qu'il vivrait à une époque où n'existerait pas encore les explosifs... C'est pourquoi "l'état interne" ainsi visité ne peut nous intéresser, sauf à nous perdre hors contexte ou dans la causalité régressive.

Mais pour accéder directement à l'intention terroriste, l'enquête n'en reste pas moins difficultueuse. Trois difficultés à surmonter, me semble-t-il. D'abord, comment décrire phénoménologiquement cette intention quand le terroriste peut (et ce n'est pas un cas limite) ne plus rien ressentir du tout? Ensuite, comment "extérioriser l'acte" du terroriste, quand on sait (depuis Pascal) que cet agent ne peut pas diriger par un acte intérieur son intention terroriste, sauf à régresser indéfiniment dans l'intention (de l'intention) et... ne plus agir? Enfin, difficulté formidable au sens premier, et qui commande les deux autres: comment rapporter l'état présent du terroriste "devant le bar" au futur proche "dans le bar"?

Comme moi, vous craignez "la causalité" de l'action - à juste titre! Quand on se demande: Qu'est-ce qui fait la différence entre une action terroriste qui serait intentionnelle et la même qui ne serait pas?, on est immédiatement tributaire de l'état mental précédant l'action intentionnelle: le terroriste serait alors décrit causalement comme exécutant une intention. Or, l'intention terroriste définie comme antécédent causal de l'action intentionnelle peut bien être une image naturelle de l'intention, elle n'en est pas moins irréfléchie pour notre prospection. Oui, il vous faut bien comprendre ce qui distingue le futur de conjecture du futur d'intention.

Le terroriste daechien (se) disant Je vais me faire exploser et exterminer ces jeunes of Paris ne forme jamais qu'une conjecture, un pronostic qui nous ferait connaître à l'avance ce qu'il croit qu'il va faire - et nous comprenons alors qu'il croit qu'il va le faire, et non qu'il a l'intention de le faire. Tout autre le futur d'intention. Là, le terroriste ne dit plus ce qu'il croit qu'il fera, mais ce qu'il se propose de faire: exterminer des jeunes of Paris. Il pré-dit au sens littéral, voire il per-forme. Autrement dit, il parle au futur sans faire une hypothèse inductive sur ce qui va se produire - et que nous constaterons malheureusement le moment venu. Sauf à le sidérer au bon moment... Or, ce n'est pas encore le bon moment!

Maintenant, vous ne pouvez plus employer le futur d'intention pour l'état présent du terroriste, mais seulement pour l'événement futur que le terroriste veut produire (exterminer des jeunes of Paris). En effet, l'aparté du terroriste je vais me faire exploser... n'a plus aucun rapport effectif avec le futur (explosion/extermination), et comme nous ne sommes pas de ses spectateurs comme tous les mentalistes qui "causent", nous voyons directement ses raisons d'agir ou futurs d'intention. Aussi, son action terroriste n'est-elle plus qu'objet de compréhension... de ce qu'il dit dans un contexte de raisons d'agir (à investiguer). Soit la condition de possibilité de sa sidération.

Pour l'aide involontaire qu'il aura apportée à ce mémoire, je remercierais volontiers Vincent Descombes. Ce serait bien le moins pour continuer la quête d'une sidération contre-terroriste.

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