Les juristes de l'État nazi pensaient sérieusement que le droit international porté par la SDN était "juif", i.e. abstrait, statique et universaliste(1). Ils seraient sans doute sidérés de voir les juristes de l'actuel État juif aux prises avec des conventions et des résolutions de l'ONU pour opérer... le même finale. Oui, l'État-nation du peuple juif combat pour un droit international concret, dynamique et particulariste. Au diable le Völkerrecht, vive le Volks-Recht ! Soit le droit du seul peuple qui vaille... à conquérir son espace biblique. Aussi chercherait-on en vain un juriste de l'État juif qui ne vibre pas à cette maxime discriminante: « Est du droit ce qui sert le peuple juif. »
Aux fins de disqualification de certaines conventions et résolutions onusiennes, ces juristes patentés pourraient citer non sans ironie le Rousseau du Contrat : « Force ne fait pas droit » (2). Selon eux, la force ou plutôt le fait de la quatrième Convention de Genève (1949) et des Protocoles additionnels de 1977 ne fonde pas un droit légitime. Véritables voies de fait antisémites, ces "onuseries" violenteraient l'État juif - un pistolet tenu à bout portant, dirait l'autre - au mépris des principes élémentaires du droit (le consentement libre et éclairé des parties) et surtout au rejet de la nature même du droit qui n'est jamais induit du seul fait, d'un coup de force conjoncturel. La sacralisation par l'ONU de la simple factualité est donc à bannir : il n'est pas de droit vivant sans une possibilité effective de révision.
Les juristes de l'État juif doivent alors rappeler avec force que l'on n'invoque pas la maxime Pacta sunt servanda (« Il faut appliquer les traités ») sans cette clause : clausula rebus sic standibus (« les choses restant en l'état »). Depuis le fameux 7 octobre, il y aurait un contexte nouveau (sur-terroriste) en sorte que le droit international humanitaire doit être révisé pour être applicable. Car s'il n'est pas révisable, cui bono - à qui profite-t-il? Aux terroristes du Hamas, évidemment ! La rigidité du droit international onusien est donc contraire à la vie en général et à celle du peuple juif en particulier.
Si le principe et la fin du droit est bien la vie du peuple juif, cela vaut en droit interne comme en droit international. La révision du droit international humanitaire suppose une évaluation des valeurs sur un fondement non pas biologique (comme chez les nazis) mais culturel. Les juristes de l'État juif ne partent jamais que du plus évident des droits fondamentaux : le droit du peuple juif à exister bibliquement. Mais il serait insensé pour Israël de quitter l'ONU en claquant les portes: depuis 75 ans, par leur culture biblique, les US servent la vie du peuple juif.
S'il est vrai que chaque peuple a droit à l'existence, faut-il encore trouver un peuple "chez lui" avec ce mot d'ordre: Culture & Sol... Non, les juristes de l'État juif n'auront pas rencontré le peuple palestinien, pas plus que Joseph de Maistre l'homme. Dans le Grand Israël, il n'existe selon eux que des Arabes culturellement divers et variés - point. Car il faut concevoir "le peuple" comme une entité culturello-biblique, culturellement cohérente et juridiquement fermée. Au sens stato-juif, le peuple est la plus haute valeur politique, la seule valeur ferme à laquelle on peut se rattacher pour orienter l'action de l'État.
Le droit international n'est pas le produit de "l'humanité", mais des intérêts communs des États qui n'ont que... des intérêts particuliers. Quand on suspend l'illusion de "l'humanité", on obtient un droit international circonscrit aux seuls peuples capables de donner à leur existence la forme d'un État. On l'aura compris : il n'y a jamais eu, il n'y a pas, il n'y aura pas d'État palestinien. Pour ces juristes d'État, le particularisme du droit international est aussi strict que le droit interne en sorte que la jouissance du droit est limitée aux peuples dotés d'un État et ne s'étend pas à "l'humanité", et moins encore aux "animaux humains". Particularisme et colonialisme sont donc liés comme les dents aux lèvres pour reconstituer le droit international.
Contre les prétentions universalistes de l'ONU, les juristes de l'État juif conçoivent un nouveau droit international comme la manifestation des États culturellement ou bibliquement établis : à chacun son espace et sa normativité propres. Que la Russie vaque à ses intérêts dans son vaste empire et laisse Israël assurer les conditions de vie de son peuple juif ! En se détournant de la pensée onusienne (universaliste), l'État-nation du peuple juif obéit ainsi à la loi de la dynamique biblique qui commande d'étendre l'espace vital à la mesure de sa démographie.
Pour ces juristes, il y va d'un droit naturel puisque la culture est une seconde nature. Le national-judéisme émarge ainsi à un droit naturel authentique, contrairement au "droit naturel" des Lumières et de l'ONU qui postule l'égalité et repose sur l'universalité. Il n'ambitionne rien d'autre que d'appliquer les "lois" de la culture biblique, seconde mais véritable nature.
On sait à quelles réalités concrètes correspond cette définition d'un droit international particularisé : conquête, asservissement, colonisation, nettoyage ethnique, génocide. Si cela est parfaitement possible au vu et au su du monde entier (nonobstant le "silence" occidental), c'est que le droit onusien est en passe d'être déconstruit par le particularisme normatif des juifs israéliens et des chrétiens US. Leur solipsisme pratique (géostratégique et militaire) implique un autisme intellectuel qui ignore toute autre réalité que le peuple juif supporté par un dieu US.
Ainsi, l'état profond du droit onusien est comme une ruine attirant des touristes.
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(1) J. Chapoutot, « L'ordre international » in La révolution culturelle nazie, 2017.
(2) J.-J. Rousseau, Du contrat social, Livre I, chap. 3