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Billet de blog 16 octobre 2017

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En marche vers notre société d’ordres (1)

Le Projet Mc Ron aura mis en marche la société individualiste de classes vers notre société globaliste d’ordres - une société statutaire où l’homo hierarchicus cher à Louis Dumont recouvre toute sa place.

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Imaginer un autre monde est le propre des dominants, puisque l’imagination mène le monde. Le Projet Mc Ron aura mis en marche la société individualiste de classes vers notre société globaliste d’ordres - une société statutaire où l’homo hierarchicus cher à Louis Dumont recouvre toute sa place.

Qui aurait oublié l’arrogant énoncé du W. Buffet 2006? There’s class warfare, all right, but it’s my class, the rich class, that’s making war, and we’re winning. Son imagination fut très efficace: un prononcé. Ladite classe des riches n’est pas sortie vainqueur de la lutte des classes, non, elle a gagné la guerre des classes au point exquîs... de l’élimination des classes. Donc, pas simplement l’abolition du prolétariat, du salariat, du précariat, etc., mais d’elle-même - entraînant la rich class française dans un douloureux combat contre elle-même.

À proprement parler, le Projeteur Macron n’avait pas de base sociale. C’était l’extrême-centre de trois cercles concentriques: le fondé de force centripète des Investisseurs. Cette oligarchie politico-financière se comptait en décile de centile pour former le cercle englobant. Un second cercle englobé-englobant courbait tous les Investisseurs-investis à la qualité plane de Fonctionnaires du mouvement centripète: les entrepreneurs en tout genre (professions libérales, commerçantes, industrielles, agricoles) ainsi que les managers salariés du continuum public-privé - au mieux quinze actifs sur cent. Évidemment, le troisième cercle était le plus attiré: doublement englobé mais englobant au plus près l’œil du système financeur. Car les Investis-investisseurs touchaient presque au Projeteur Macron pour accréditer leurs projets de micro-entrepreneurs (ubérisés ou pas) ou d’emprunteurs réputés "salariés solvables". Il faut dire que les managers du Syndicat unique invitaient tous les salariés projetables (envron vingt cinq actifs sur cent) à s’endetter positivement pour étudier, se soigner ou se loger... Enfin, hors cerclage erraient les Investis. Ces six déciles de travailleurs sans projet crédible travaillaient sous projet dûment financé, i.e. comme s’ils s’investissaient. Le chômeur était recasé par le Service du travail obligatoire comme "investisseur de soi sans vrai retour sur investissement". De même, le travailleur endetté négativement pour consommer (i.e. pour abuser) voyait son crédit sauvé en projection seulement. Seul, l’investi volontaire (heureusement marginal) posait problème aux investisseurs.

Videre videor - il me semble que je revois le Projet Mc Ron sans le Malin Génie qui me fait douter de tout, surtout de lui-même. Car tout s’est passé comme si une lutte des places, c’est-à-dire des ordres, avait remplacé la guerre des classes gagnée comme on sait: trois classes d’investisseurs dominant une hors-classe d’investis. Ce remplacement partes extra partes redonna à la France un goût d’universel concret. Soit la caste des Phinanceurs (on explicitera ce nom passablement ubuesque) versus le peuple des Entrepreneurs (on verra ce que peuple veut dire) versus la masse des Investis (on remerciera Feher pour son bon mot mais peut-être pas pour le concept). Oui, place à nos trois places, à nos trois ordres, à nos trois statuts, à nos trois castes, à nos trois états pour une lutte - pas une guerre - qui avance selon la règle de "l’englobement du contraire" (L. Dumont) et non du surpassement hégélien. N’oublions pas que le porteur du Projet Mc Ron avait doctement travaillé "l’intérêt général dans la philosophie du droit de Hegel".

En gagnant un peu à son corps défendant la guerre des classes, la rich class française aura finalement gagné sa place, celle des Phinanceurs. Place forcément mondialisée pour assumer ici et là la globalisation hiérarchique de notre société. Car France, UE, Monde ne sont plus que des lieux incertains pour des places certaines. Premier centile en France, premier décile de centile en UE, premier centile de centile en ce Monde devenu Paradis fiscal - peu importe, l’essentiel est de tenir sa place, son ordre, son statut anywhere in the world.

Mais au fait, c’est quoi cette Phinance des Phinanceurs - de l’Ubu déchaîné? Plus abusivement encore, il y va non d’une idéologie, mais d’une idée-logie - si feu Dumont le permet. Soit une idée-valeur hiérarchisée que notre société d’ordres affirme ou plutôt reconnaît comme supérieure, afin de persévérer dans son être globalisant... au stade suprême, toujours suprême, du capitalisme. La Phinance s’oppose ainsi à la Néance comme le Pur à l’Impur chez nos Indiens, indous ou pas. Autrement dit, l’idée-valeur Néance n’a rien du néant d’idée qu’abhorrait Bergson - si près si loin de la Phinance, elle est au pire sa privation, pas sa négation.

Voilà nos deux idées-valeurs liées comme les dents aux lèvres. Mais oui, ça peut aussi faire mal! Surtout quand elles se déclinent comme opérateur binaire pour mobiliser chaque ordre: Phinance & Néance chez les Phinanceurs, Réussite & Rien chez les Entrepreneurs, Être & Survie chez les Investis. Ces trois couples hiérarchisés de valeurs formatent non pas des individus libres en action et égaux en droits (homo oeconomicus, homo aequalis) mais des êtres qu’on dira ordinaires puisque rapportés à homo hierarchicus - ce que nous sommes devenus en toute signification et en toute conscience.

La Phinance est donc cette idée-valeur suprême que les Phinanceurs imaginent quand ils agissent en tant qu’allocataires de Crédit - un crédit aussi financier que moral ou symbolique. Feher avait bien montré que le financeur ne fonctionnait qu’au crédit-valeur, mais son essai Le temps des investis n’aura pas imaginé que la réversibilité de l’investisseur et de l’investi n’était qu’un espoir aristotélicien et que ce crédit sans réelle contre-partie pouvait constituer les financeurs en ordre: nos Phinanceurs. Car maintenant, ces derniers jouent dans l’entre-soi, interdisant formellement aux Entrepreneurs comme aux Investis de toucher au Grand Jeu. 

Mais qui le regretterait? Dans la très passagère société individualiste de classes, certains entrepreneurs suivis de certains investis avaient essayé de contre-spéculer, à l’instar des financeurs établis, allant jusqu’à se doter en propre d’agences de notation des valeurs. On a ainsi connu Le Média couplé à Médiapart et bien adossés à une France Insoumise ouverte à la gauche dite rebelle, de Montebourg à Poutou. Leur fameuse Agence FI... Seulement voilà: ses excellents cours évaluatifs et contre-spéculatifs ont vite tourné court. Soudain, un projet totalisant - le Projet Mc Ron - la prit de vitesse pour l’englober comme contraire... Enfin revint homo hierarchicus.

Sans spéculer jamais, nous verrons dans un second billet l’opérativité du Projet Mc Ron - métamorphique au possible. Et dans un troisième billet, si une autre imagination en sortira.

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