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Billet de blog 19 septembre 2016

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Mélenchon-présidons & Montebourg-président

On connaît déjà les issues présidentielles, mais on serait bien en peine d'enchanter le concret politicien sans une certaine "pensée sauvage". Se peut-il que le peuple-de-gauche s'ensauvage, au bon sens de Lévi-Strauss - qu'il pense sauvage et se mette à bricoler?

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Faut-il croire au peuple-de-gauche pour imaginer une solution politique à la dissolution politicienne? On connaît déjà les issues présidentielles, mais on serait bien en peine d'enchanter le concret politicien sans une certaine "pensée sauvage". Se peut-il que le peuple-de-gauche s'ensauvage, au bon sens de Lévi-Strauss - qu'il pense sauvage et se mette à bricoler?... Quand on se règle sur le chapitre premier de La pensée sauvage, on en vient vite à bricoler les signes. Il est vrai que la notion de bricolage a perdu de son actualité en anthropologie, mais en politique elle paraît jouer franchement le jeu de l'innovation. Quand tout semble bloqué, pourquoi ne pas changer les signifiés en signifiants, et inversement?

Pour ces heures présidentielles, le peuple-de-gauche ne dispose que de résidus conceptuels et traces d'événements. Notamment le signifié Mélenchon-présidons (= effacement du président par constitution d'un peuple "parlementaire") et le signifiant vide Montebourg-président - le reste étant insignifiant. Or, qui peut croire qu'un mouvement social va booster Mélenchon cet automne, et que notre homme mobilisera (avant la fin de l'année) les Absents pour mieux recomposer le corps électoral? L'élection du monarque 2017 se jouera guichets fermés: bourgeois et demi-bourgeois s'y bousculeront, les populaires regarderont. Nul besoin de sondage pour établir le structurel politicien de Mélenchon à 15 points au mieux. Pas de quoi faire l'Après, surtout avec un Mouvement construit sur Projet. Certes, l'ingénieur social Mélenchon ne rompt pas avec le bricolage, puisque son projet n'a rien d'une création ex nihilo, mais celui-ci est trop "précis" (sur l'Europe, la mer, la constitution) pour être vraiment populiste, au sens de Laclau - ce qui supposerait une validité pragmatique, acquise par les demandes effectives du mouvement social. Autant dire que le concept Mélenchon-présidons ne risque pas la dénotation et la connotation.

Si le peuple-de-gauche paraît condamné au bricolage politicien, i.e. au réemploi de ses politiciens (de Duflot à Poutou), voyons à quels renversements syntaxiques (et non sémantiques) il pourrait se livrer, s'il devenait sauvage. Comme le signifié Mélenchon-présidons n'a visiblement aucune consistance actuelle, il se pourrait tenter une échappée belle: l'insistance du virtuel. Son changement en signifiant vide serait autrement fécond: ça relancerait et ferait marcher le populisme cher à Laclau - comme un vide sur ouverture. Pour une course de fond, pas pour le sprint final des présidentielles... Mais à cette condition de possibilité: que le signifiant vide Montebourg-président devienne un signifié politicien, et s'actualise. Pour l'entrepreneur Montebourg ça signifierait: gagner la primaire BAP, négocier le retrait de Mélenchon, affronter Sarkozy plutôt que Juppé - autrement dit: mobiliser le populaire pour un nouvel État social, caresser le demi-bourgeois par de l'éthique, de l'Europe sociale et du vert, ne pas trop effrayer le bourgeois du premier décile... Rien d'impossible!

On objectera alors l'arbitraire du bricolage Mélenchon-présidons & Montebourg-président: aucun lien nécessaire ne les attacherait, en sorte que cette pirlouète & ne serait jamais qu'une pirouette. On répondra que depuis la nuit des temps, ou plutôt des signes, une logique de l'hétéroclite est à pied d'œuvre devant nos résidus, nos traces, nos événements - "ils sont à nous", parce que chaque peuple a son kaléidoscope à lui pour voir un peu plus clair... Ici, le peuple-de-gauche a le sien pour visionner ses politiciens: sondages tronqués, histoires pipoles, manifestations en tout genre, etc. Dans les limites étendues de ce monde clos, il ne peut faire que du neuf, non du nouveau. Des moyens limités qui ne l'empêcheraient pas de réaliser certains arrangements structuraux. Alors, en quoi Mélenchon-présidons & Montebourg-président serait un arrangement nécessaire? C'est que la pensée sauvage précontrainte ne satisfait pas simplement à des besoins politiciens, elle répond surtout à des exigences politiques. Soit un laclau-populisme qui ne s'ignorerait plus.

Faire aller ensemble Mélenchon et Montebourg... Voilà une congruence dont la formule semblait assez hypothétique. Pour mille bonnes raisons répétées à l'envi: compromission, trahison,  piège à cons, etc. Or, quel autre arrangement politicien pourrait introduire un début d'ordre politique, si la solution et l'ordre valent toujours mieux que la dissolution et le désordre? En remaniant ainsi les signes de ses politiciens, le peuple-de-gauche réorganiserait complètement ladite gauche - mais toute autre que la gauche rêvée ou préférée par chacun. Non, il n'est pas dit que "le peuple-de-gauche est le plus bête du monde". Sauvage ou bête, il peut encore choisir. 

Aussi, plût au tribun Mélenchon que son fameux concept Mélenchon-présidons devienne l'image acoustique qui sied tant au populisme pour l'élan et le souffle... et plût à l'entrepreneur Montebourg que son concept présidentiel ne soit pas oublieux de certaines réalités empiriques (la souffrance du populaire, le je-m'en-foutisme du demi-bourgeois, la morgue du bourgeois). Enfin, qu'ils se rassurent l'un l'autre en relisant Bouvard & Pécuchet: un ouvrage qui n'en finit pas pour raison de bricolage ne peut pas être tout à fait mauvais.

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