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Billet de blog 23 mars 2016

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L'intention du contre-terrorisme

Le contre-terrorisme a-t-il une philosophie de l'action?

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Par ces temps de détresse, parlons philosophie de l'action.

Par-delà le "terrorisme" et le "gouvernement par la peur", on devrait a minima entrevoir une philosophie de l'action contre-terroriste. Si l'intention (au sens vulgaire) du contre-terrorisme n'est pas de nous gouverner par la peur mais de terroriser les terroristes, il lui faut jouir d'une certaine puissance conceptuelle pour ne pas chasser le Snark.

A première vue, le contre-terrorisme semble peu pouvoir en tant que philosophie créative et les terroristes n'ont manifestement pas peur de ses montages. Mais notre hypothèse est charitable: le contre-terrorisme a pu instrumentaliser la philosophie analytique de l'intention(n)alité, du moins sa matrice anscombienne.(1) 

Avant d'entrevoir l'esprit de cette "intention", il faut avoir sous la main le syllogisme premier du contre-terrorisme, de facture bauerienne(2): Les terroristes disent toujours ce qu'ils vont faire / Voici un terroriste qui se tait / Il faut le faire parler avant qu'il fasse. Pour le coup, les prémisses (universelle et particulière) sont vraiment en service actif. Ce qui est remarquable ici, c'est qu'aucune "raison d'agir" n'a sa place comme prémisse, obéissant ainsi à l'injonction d'Anscombe. On peut en tirer qu'il s'agit bien d'un véritable syllogisme pratique et non d'un semblant inopérant dont le terme serait dit par un pur esprit qui infère. On est là dans la vraie vie conceptuelle du contre-terrorisme, vie que les terroristes devraient craindre.

En tous cas, les terroristes ne semblent pas terrorisés par la loi Renseignement, et notamment par son "existentiel démonstratif": « Il existe des raisons sérieuses de penser que... ce comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics. » Cet existentiel démonstratif suppose une thèse philosophique que nul n'est censé ignorer: Action = intention - et il n'y a pas d'exception. Pour l'apprécier à sa juste valeur pragmatique, il faut la frotter à l'intention anscombienne.

La thèse anscombienne est révolutionnaire de simplicité: Intention = action, en régime normal. Si on voit bien que le contre-terrorisme subvertit cette thèse par son pas d'exception (à l'action-intention), il garde néanmoins certaines "prothèses" d'Anscombe pour établir l'état d'intention:

- il y a un lien interne entre l'intention et l'action, et si la coïncidence est "le cas normal" pour Anscombe, elle vise "tous les cas" pour le contre-terrorisme.

- l'intention ne s'exprime qu'au présent, jamais au futur. D'où la préemption contre-terroriste.

- l'action intentionnelle requiert une analyse historique et biographique, et non une analyse mentaliste. Pas d'introspection, juste l'inspection - bonjour les fiches S et les notes blanches!

- l'intention n'est pas une cause de l'action (sinon problème régressif de "l'intention de l'intention"), ce qui ne veut pas dire qu'elle ne s'explique pas. D'où le besogneux travail sociologique du Renseignement.

- l'action intentionnelle repose au fond et au final sur un paradoxe: on peut faire ce qu'on n'a pas l'intention de faire, sans même changer d'avis. Le terrorisme comme le contre-terrorisme ont donc de beaux jours devant eux.

Existe-t-il des raisons sérieuses de penser que ces "prothèses" sont employées au mieux par le contre-terrorisme - pour la bonne cause diront certains, pour l'Etat profond diront d'autres ? En tous cas, elles autorisent le gouvernement à prononcer des mesures attentatoires aux libertés (perquisitions/assignations à résidence) sur des bases dites infalsifiables.

Comme aucun élément matériel tangible n'est plus nécessaire pour étayer l'existence d'une simple menace à l'ordre public, il faut entendre la prévention comme une préemption. D'où le mot d'ordre contre-terroriste: Cherchez l'intention, vous trouverez l'action! Évidemment, il n'y a aucune exception pour confirmer la règle.

On aura compris que c'est bien le Premier ministre (ou ses 200 conseillers) qui décide de l'état d'intention. Soit une souveraineté à la Schmitt.

(1) Elizabeth Anscombe, L'intention, 2002 (traduction française)

(2) Bauer & Huygue, Les terroristes disent toujours ce qu'ils vont faire, 2010

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