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Billet de blog 30 octobre 2018

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Le populisme réellement existant en France

Pour une approche épistémique (ontologique et caractéristique) du populisme.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J’essaie une approche épistémique du populisme : ontologique et caractéristique.

D’abord dévoiler le populisme réellement existant en France par un triptyque de critères:

1. l’anti-élitisme sélectif. Voir quelles élites sont réellement visées.

2. l’anti-pluralisme moralisateur. Voir quelle morale exclut "du peuple" du peuple.

3. le constructionnisme populaire. Voir quel peuple se crée en trouvant un populiste.

Ensuite caractériser, i.e. résoudre la question des "caractères" du populisme réellement existant en France. Introuvable le populisme de gauche. En travail le populisme de droite. Ek-sistant le populisme d’extrême-centre. Il s’agit donc d’évaluer la situation du peuple sur un mode pragmatique : partir de ce qu’on peut penser savoir du peuple français actuel, sans donner à ce savoir le pouvoir d’une définition extensive de nom. Or, si le populisme d’extrême-centre mis en marche par Macron semble réellement existant, l'hypothèse est lourde à vérifier. Il s'agit d'une opération qui se pose dans une situation qu’on dira "critique", puisque le peuple-en-marche croit vraiment savoir à quel populiste se vouer.

Enfin, la question ne sera pas de dénoncer le populisme de Macron, mais bien plutôt de... s’apitoyer ! Non pas plaindre Macron d’être ce qu’il est (un Populiste), mais refuser de se mettre à sa place, c’est-à-dire « à sa croyance » : le populisme d’extrême-centre comme seule solution démocratique.

L'anti-élitisme sélectif

Le premier critère ontologique, le signe extrinsèque qui permet de reconnaître le populisme est l’antienne des libéraux, chasseurs bien connus de populistes. Soit l’anti-élitisme sélectif... Bon, faut-il encore que la sélection soit effective et bien incarnée.

Entre "les coups de gueule de Méluche" contre la Caste financière et les coups de vice de Macron à l’endroit de "l’Ancien Monde", il y a comme une solution de continuité, une rupture d’efficace. Car les élites de l’État social (pourri par quarante ans de néolibéralisme) sont sur le point d'être liquidées par la Start-up Nation... Le catalogue est proprement iliadique : criminalisation éclatante de la France Insoumise (et de Mélenchon en particulier), corruption rampante des syndicats revendicatifs (FO), exclusion des journalistes d’investigation (citoyenne), privatisation des appareils répressifs d’État, vassalisation des "corps intermédiaires", moralisation néolibérale des appareils idéologiques d’État, cigalisation des chercheurs-fourmis, parquettisation de la Justice, embeddisation des associations humanitaires, godillotisation des parlementaires, protectionnisation de la Sécurité Sociale, pantouflisation de la haute Fonction publique, etc., etc. Feues les élites dites républicaines : elles ferment bien leurs gueules. Réduire ses ennemis à des Riens ou des Restes et - suprême ironie - les qualifier de Nihilistes, voilà l'en-marche révolutionnaire du populiste Macron.

Si marche en avant de Macron il y a, c’est à l’encontre de ses adversaires, visiblement en peau de lapin : le RN & LR, les sectes anti-méluchiennes de gôche, les syndicats de soupe, etc. Pour des étreintes assurées. Car tous partagent les mêmes valeurs néolibérales : la Liberté d’entreprendre, l’Égalité des droits mais pas des devoirs, la Fraternité communautaire. Apparemment, cette adversité ne présente que des avantages : elle permet à Macron de jouer sur la signification et la mise en œuvre des valeurs partagées : un peu plus de "sociétal" ou un peu moins de "national"?... Il peut ainsi corriger son aventure néolibérale et apparaître comme Progressiste. Petit coût idéologique : alimenter au goutte à goutte ses adversaires, médiatiser leurs exploits politiciens et se faire un peu peur. Ça lui évite de devoir les requalifier élites.

À première vue, Macron a une base élitaire claire - on pointe vite les Réussis : la haute Fonction publique pantouflarde, le management "détaché" des multinationales et des bancassurances, l’éditocratie, etc. Ces élites transparentes, propres et quasi invisibles jouent gagnant-gagant avec Lui. Et pourtant, cet hyper-startupper mobilise un anti-élitisme... à usage interne. On sait que Macron ne vient pas familialement de l’élite financière (le monde clos des "investisseurs") mais du peuple des entrepreneurs à profession dite libérale. Pour image : il est né au centre du peuple travailleur et il tient maintenant l’extrême-centre d’un peuple en marche. Car il a bien compris que l’élitisme marcherait aussi pour les investis version Feher. Par un anti-élitisme paradoxal, le voici Chef du Herrenvolk, le peuple des élites.

L'anti-pluralisme moralisateur

Si Macron satisfait au premier critère d’être du populisme par son effectivité  (en marche serait l’ek-sistant de ma phénoménologie), il lui faut quand même moraliser son populisme d’extrême-centre. Voyons maintenant si l’anti-pluralisme moralisateur (second critère ontologique) permet au populisme de Macron de se légitimer.

Il me semble que je vois, videre videor... un peuple-en-marche qui se donne pour Un. Le populiste Macron aurait-il le monopole de la représentation du peuple en France? S’il faut éclairer la marche de ce peuple, je ne vais pas prendre de gants pour sa décomposition. Marchent ensemble la caste desdits investisseurs, le peuple des entrepreneurs et la masse des investis chers à Feher - en gros, un résident français sur trois, les autres deux tiers étant nommés Riens, et au mieux Nihilistes. Soit un peuple-Un qui obéit à une hiérarchie claire et distincte.

Pour marcher ce peuple doit se distinguer. De quoi? des Riens et des Nihilistes censés représenter les Riens. Il faut donc que le populiste Macron trace une ligne de démarcation entre les investis qui appartiennent au peuple-Un et les Riens/Nihilistes hors-peuple. La moralisation est faite pour ça: dire et pratiquer l’exclusion des Riens/Nihilistes comme l’inclusion des investis. Il faut avouer que le peuple-en-marche est doué, quand on suit le populiste Macron, d’un sens moral inaccessible aux Riens, mais également d’un bon sens épistémique supérieur à celui desdits Nihilistes.

Certes, les plaintes des Riens et les idées des Nihilistes sont acceptées superficiellement ou rhétoriquement par Macron : il sait que le mépris vivifie et la haine tue. Donc, il y va d’une bonne histoire de mépris. C’est au nom du peuple-Un que ces plaintes et ces idées ne sont pas recevables moralement et épistémiquement - anti ou extra-populaires. Belle ironie macronique : les Nihilistes mépriseraient le peuple-en-marche au point de s’exclure eux-mêmes du fameux Débat démocratique. Clairement, Macron use et abuse du chantange au "mépris du peuple".

Moralisation sauvage donc, mais pas seulement. Macron a toujours de bonnes raisons pour restreindre son environnement cognitif et de succomber aux biais de confirmation. Par exemple : l’hyper-présidence serait le pire régime de domination démocratique, à l’exclusion de tous les autres. Son anti-pluralisme moralisateur suppose bien une déclaration d’antagonisme (hostilité aux Riens/Nihilistes) et d’agonisme (adversité aux Populistes de droite comme de gauche). Sans elle, le Rien serait un pair moral et le Nihiliste un pair épistémique. Résultat horrifique : impossibilité de marcher.

La prétention du populisme d'extrême-centre au monopole moral (Liberté d’entreprendre, Équité, Communauté) n’est pas simplement anti-pluraliste, elle apparaît franchement totalitaire. Les Riens et les Nihilistes n’auraient point de "raison populiste" et n’exprimeraient que des intérêts illégitimes. De manière circulaire, l’adhésion à la morale d’extrême-centre (l’entrepreneuriat) constitue un critère d’appartenance au Peuple authentique. Et le populiste Macron, son porte-parole, devient incritiquable.

Au fond, le populisme d’extrême-centre est un vrai faux anti-intellectualisme, doué d’un sens épistémique supérieur et proprement intouchable. Si l’entrepreneuriat est devenu la Gnose de Macron, c’est bien pour mettre au pas la connaissance du monde social, non? Maintenant, pour réduire cette connaissance au bon sens entrepreneurial, les sciences dites sociales sont sommées de respecter le peuple-en-marche, comme l’orthodoxie économique. Ce peuple aura ainsi les mœurs pures grâce à l’entrepreneuriat, qui "des capitaux", qui "des autres", qui "de soi". Pourtant, la moralisation reste une nécessité. Même si les Riens ne peuvent pas corrompre ces belles mœurs, les Nihilistes, eux, sont en capacité de les montrer. Oui... mais ils ne peuvent plus les dire.

Il faut alors se demander pourquoi le populisme d’extrême-centre sombre dans le conspirationnisme. Car le fait est que Macron accapare les appareils répressifs et idéologiques d’État et affaiblit tous les contre-pouvoirs. Un amusement, un divertissement? Plutôt une "action directe" : par prophétie auto-réalisatrice, Macron "déconspire" les Nihilistes et laisse les Riens se plaindre bêtement. Oui, la moralisation est toujours en marche.

On connaît le noyau argumentatif et justificatif de sa Morale : faire le bien (à tous sens) du peuple-en-marche. Pourtant, les intérêts dudit peuple préexistent à l’action et au discours de Macron. C’est en tant que Populiste qu’il doit les trouver, au cours de l’équivalence et de l’enchaînement des demandes populaires, lors de la construction du peuple-en-marche par lui-même (le peuple, pas Macron)

Évidemment, cette morale n’a aucune visée universaliste. Il ne viendrait pas à l’idée de Macron que la satisfaction des intérêts du peuple entrepreneurial conduit à un bien-être global. Faire le bonheur des Riens et la rééducation des Nihilistes, vous n’y pensez pas! Ça tombe bien, le peuple-en-marche non plus. En tant que peuple-principe (Rosanvallon), sa morale est l’UE.

Le constructionnisme populaire.

Un peuple se construit en trouvant un populiste. Ce critère n’est pas positif en regard des critères précédents, apparemment négatifs - tous sont descriptifs, disons... aussi peu prescriptifs que possible : peuple et populiste font. Bien comprendre que le populisme apparaît "réellement existant" par sa phénoménologie : il est ek-sistant, pouvant-être, se-faisant, en marche & en advenir.

Ici et maintenant, le prétendant sérieux à cette ek-sistance est le populiste d’extrême-centre Macron. Et je ne sache pas qu’en France un populisme de gauche ek-siste, ni un populisme de droite d’ailleurs.

Alors, qui construit le peuple-en-marche? Un peuple qui demande! C’est par des "demandes" (Laclau), i.e. des revendications d’ordre (et non de justice) s’enchaînant dans l’équivalence et "montant" dans le symbolique que se construit le peuple-en-marche. Bien entendre les demandes équivalentes des investisseurs, des entrepreneurs et des investis qui auront trouvé la demande qui s’excède en symbole : le populiste Macron. Trouver est un art, non un hasard.

L’entrepreneuriat est manifestement le "bien commun" de ces demandeurs populaires, mais c’est leur hiérarchie qui mobilise le populisme d’extrême-centre. On pointe déjà trois castes (investisseurs/entrepreneurs/investis) qui s’englobent comme contraires pour faire peuple - et non société ! Car le hors-peuple est là, comme le fameux Horla, pour compléter. Les Riens et les Nihilistes n’ont rien de populaire, ils sont juste nécessaires. Ainsi, tout se passe comme si le populiste Macron avait besoin de leur existence horla pour confirmer, voire corriger le peuple-en-marche.

Grâce aux Riens qui restent et aux Nihilistes qui nihilisent, le peuple-en-marche apparaît entrepreneurial, authentique et vrai. Or, le voilà taiseux sitôt son populiste trouvé : pour dire ses opinions et montrer ses affects, le populiste est là. Et c’est ainsi que Macron devient un populiste d’action directe (Bergson) qui n’interprète pas les désirs d’advenir ou les envies de milliards, mais les exprime et les traduit en politiques concrètes. On sait lesquelles.

Dans sa longue marche, le peuple entrepreneurial paraît d’une remarquable passivité : il n’a presque rien à réviser en matière d’appartenance. S’il  se corrige, c’est marginalement : en intégrant des Riens qui veulent s’investir, comme on dit. Très peu d’élus, je crois. Heureusement, le populiste Macron est là pour maintenir les Riens et rééduquer les Nihilistes. Il voudrait faire Société avec ces hors-peuple ? Le mépris oui, mais pas la haine!

Dénier aux plaintes des Riens toute morale (solidaire) et aux idées des Nihilistes toute raison (épistémique), c’est le travail du Populiste, mais pas plus : voudrait-il transformer le peuple-en-marche, Macron serait aussitôt renvoyé de sa charge. Car ce peuple a un grand privilège cognitif. En se construisant, il sait. Au commencement, ce peuple sait qu’il n’a plus de Nation - la France? Au final, il sait qu’il ek-siste, qu’il est ontologiquement union en marche. Les retombées ontiques sont là : hiérarchie des castes nationales, hiérarchie dans l’Union européenne.

Les subversions

Anti-élitisme sélectif & anti-pluralisme moralisateur & constructionnisme populaire... Le cadre ontologique du populisme d’extrême-centre étant posé, j’essaie de montrer sa caractéristique (Stengers) française en proposant une pragmatique : de quelle(s) manière(s) démocratiser le populisme de Macron? Sachant que la possibilité est une catégorie ambivalente (ontologique et déontique), quelles actions directes (Bergson), quelles subversions idéelles sont possibles

La première subversion qui me vient à l’esprit est de traiter ce populisme comme une pathologie. Il s’agit de montrer aux Riens les passions tristes du Peuple entrepreneurial - passions réussies en discours et paraîtres glorieux : « la Jeunesse désire le Milliard, etc ». Mais avant de pointer les cas pathologiques, il faut survoler la macronie par ses types.

Le macroniste n’avait aucune obligation d’opter pour Macron au premier tour, mais au second tour, oui, gaiement! Ici, on identifie franchement le macroniste à l’Investisseur. Cette caste majeure du Peuple pesant un centile seulement - le "centile obscène" (Lordon) de la population empirique résidant en France - ne doit jamais se perdre en chicayas. Le macronien aura pu voter de même... Non seulement il remplit les conditions de possibilité de l’Entrepreneur, mais carrément la caste moyenne du Peuple. Ce "décile nuisible" (Lordon) ne s’est guère fait prier pour gagner gagnant.

Enfin, le fameux macron de Panurge qui aura même opté pour Mélenchon au premier tour. Au second, c’est sans grand plaisir qu’il aura fait son devoir. Quel devoir? Celui de faire comme tout investi (Feher) qui se respecte en devenant "entrepreneur-de-soi". On comptera deux déciles de la population empirique pour ces investis, la dernière caste du Herrenvolk. Bref, ces Populaires auront tous ou presque voté Macron. 

Si la société française de l’UE est bien constituée d’un peuple entrepreneurial macronisé - les Populaires des trois castes précitées : en gros, un résident français sur trois - et des Hors-peuple appelés Riens ou Nihilistes (les deux tiers restant), il faut quand même revenir aux cas pathologiques de ce Peuple en affirmant que chaque caste est un cas... Oui, il y a vraiment peu de travail pour les thérapolitiques! On se contentera donc de montrer les affects populaires à la manière de Spinoza. 

La cupidité du macroniste investisseur est un désir puissant en passions tristes : le Milliard de Milliards et la Société de castes, notamment. Sa caricature? Le boubour (Chemla), le bourgeois-bourrin. L’espoir entretenu par le macronien-entrepreneur est cette joie inconstante née de l’idée du Milliard futur, mais dont la célébration lui paraît douteuse. Ce grand espérant est une caricature d’imitateur, au sens de Tarde. Faut-il le préciser... le populiste Macron est un macronien! Quant à la peur propre au macron de Panurge, c’est une crainte qui dispose cet investi-entrepreneur-de-soi à éviter la Peste qu’il juge à venir par un moindre mal - le Choléra macronique. Au fond, le macron de Panurge a opté pour l’orgueil d’appartenir à la plus basse caste afin de s’épargner l’humilité des Riens. 

Affectivement parlant, les Populaires méprisent les Riens et ne semblent pas les haïr - ils y tiennent comme on sait. Mais peut-on imaginer que les Riens haïssent les Populaires sans les mépriser, au point qu’ils désireraient les exterminer plutôt que les faire souffrir? En tous cas, ce n’est pas ce qu’un Nihiliste a en tête, puisqu’il entend montrer aux Riens que l’humilité est une tristesse qui naît de ce qu’ils reconnaissent leur impuissance ou leur faiblesse. Or, l’humilité n’est toujours pas de ce monde sublunaire. Considérée en soi, la nature humaine du Rien déploira mille efforts subreptices contre l’humilité. Assez conscient de sa faiblesse, un Rien peut faire l’humble, si bien que ce Rien (que le Populaire croit humble au plus haut degré) devient ambitieux au plus haut degré - ambition du Milliard? non, ambition du Demos, comme on verra.

Si le Nihiliste est ce Rien ambitieux, ce Rien devenant puissant par subversion idéelle, voyons sa possibilité d’action directe... La première que les Riens ambitieux peuvent engager est de s’extraire en douceur de leur place assignée (le hors-peuple). On sait que le populisme macronique a extrait le Peuple entrepreneurial de la totalité empirique des populations résidant en France. Restaient donc les Riens assignés à une place vide utile - pour faire fonctionner la Société hiérarchique promue par Macron. Sans hors-peuple, point de peuple.

Les Riens ont souvent "des papiers", mais ils n’ont jamais les bons au bon moment ou au bon endroit. Car le populisme d’extrême-centre dispose pour son avancement d’une distinction symbolique morale impérative : « toi pas Entrepreneur ». Les Riens auront quand même essayé de négocier le critère d’appartenance au Peuple en montrant qu’ils entreprennent aussi, à leur manière, en faisant "bien privé" de leurs petits riens. Rien à faire : le populiste Macron avait déjà décidé que la négociation n’irait pas loin dans cet état d’urgence permanent! Ça serait la porte ouverte, criait-il, à l’entreprise de n’importe quoi... La porte ouverte à - encore un cri de la bêtise, dirait Deleuze, puisqu’on entend ici ce qui dépasse Macron : des petits riens entrepris par les Riens au mépris de l’Entrepreneuriat sûr de son fait.

Lorsque le populiste dit aux Riens : « je sais bien que vous entreprenez à votre mesure, mais quand même! », il devient pour eux inutile de discuter. Les Riens ont affaire à un pur Dominateur dont les raisons se sont arrêtées au fameux « Il existe des raisons sérieuses de penser... » pour inspirer l’effroi... Sans doute, Macron aimerait que la Société soit différente, que les Riens soient des artistes de rien, mais sa "bêtise" reste active : elle se nourrit de ses effets à détruire la capacité de penser des Riens en cherchant une confirmation. « Avec ces Riens, c’est la violence assurée! »

En regard, les Riens devenus Nihilistes estiment que le populiste capturé par cette bêtise ne mérite ni accusation, ni indignation, qu’il ne mérite rien... C’est son emprise ou plutôt son addiction à l’Entrepreneuriat qui importe ici. Voilà le gros affect qui n’a plus qu’un refrain menaçant et entraînant : « Riens, que feriez-vous à ma place de Populiste? » Les Nihilistes se garderont bien de passer pour nihilistes en répondant : « Nous ne sommes pas à votre place! » Réponse peu respectueuse mais saine, devant cette négociation rompue, ou plutôt qui n’a jamais commencé.

Refuser de se mettre à Sa place, c’est refuser l’irresponsabilité de celui qui se dit Responsable - et partant montrer l’irresponsabilité du Peuple des entrepreneurs à l’égard des hors-peuple. Pouvoir ne pas être à la place du Populiste, c’est s’extraire en douceur de sa place de Rien, c’est devenir Nihiliste. Pour aller où? Surtout pas au Peuple... Au Demos !

Le retour au Demos même 

Aller au demos... Mais comment les Nihilistes pourraient-ils entreprendre le demos sans retomber dans le populisme entrepreneurial?

Si les Nihilistes pensent que le demos n’est pas un être substantiel, ils peinent quand même à "entreprendre autrement". Ils voient bien ce que entreprendre veut dire quand le peuple entrepreneurial entreprend : il y va de la sacro-sainte Liberté d’entreprendre. Une liberté qui n’a que faire des retombées de l’entreprise et ne se soucie que de la sécurité. Liberté & Sécurité sont liées comme les dents aux lèvres pour "faire marcher" ce peuple. Aller autrement, est-ce vraiment possible?

En fait, le peuple entrepreneurial n’a pas la liberté de tout entreprendre, mais de tout entreprendre en Affaire sûre, profitable et immédiate. Investisseur, Entrepreneur, Investi sont chargés, chacun en ce qui le concerne, d’une passion triste mais extrêmement gaie pour la Possibilité et ses aventures ontiques comme déontiques. Car ils ne veulent pas entendre parler de la Question des retombées entrepreneuriales - les conséquences susceptibles de mettre en péril leur petite entreprise.

Pour ce peuple, heureusement, il y a comme un état d’urgence entrepreneurial : "le secret des affaires" est bien gardé, poudré d’une loi d’airain, afin que tout récit sur les retombées entrepreneuriales ou tout argumentaire sur les conséquences tourne court. Certes, les conséquences de l’Affaire sont calculées au mieux et même provisionnées, mais le long terme est prestement évacué : « Nos petits-neveux trouveront bien une issue, à défaut d’une solution : le Cia Report n’oblige personne. »

Évidemment, un Populaire compassionnel pourra toujours estimer son entreprise désastreuse pour les Riens, ou son aventure plus aventurière qu’aventureuse pour Soi... Désolant, sa propre caste, voire son peuple tout entier ne l’entendra pas ainsi. Car on ne recule pas devant une possibilité d’entreprendre quand on a l’État néolibéral et la Science académique en secours d’urgence permanent. Ancillaires comme on sait, l’État impliqué et la Science appliquée sont là pour reconnaître la légitimité de toute aventure populaire, définissant le risque de l’innovation comme un risque-zéro. Et on ne compte pas le nombre de bons coups "droit" niant les retombées désastreuses.

Mais pour un Nihiliste, entreprendre signifie d’abord « prendre au sérieux les conséquences entrepreneuriales ». Concrètement, soutenir les lanceurs d’alerte (des Populaires réfléchis) et les porteurs de plainte. Non, les Riens ne savent pas se victimiser comme les Populaires bourrins! Or, cette entreprise en droit est loin d’être suffisante. Maintenant, notre Nihiliste se doit de prendre la cause entrepreneuriale à la racine : subvertir l’agir dominateur en marche... Soit une méta-politique qui commencerait sous lesdites institutions populaires.

La raison populiste d’extrême-centre (ici, néolibérale & néo-conservatrice) a produit tous ses effets institutionnels : des sociétés d’ordres hiérarchisées sous l’égide de l’Empire où le mérite est le fait de celui qui naît entrepreneur, par capitaux, par ressources humaines ou par Soi. La domination est fondée sur ce mérite-là, à nul autre pareil : naître entrepreneur! Mal-nés, les Riens n’ont donc qu’une solution, s’ils ne veulent pas l’issue fatale des hors-peuple : devenir Nihilistes en déconstruisant le populisme cher à Macron.

Déjà, ils imaginent instituer le communat en lieu et place de l’entrepreneuriat... Or, si le schématisme imaginaire du communat est valide, c’est qu’il y va (si on peut dire) d’un aller au demos, d’un agir subversif, d’un mouvement proprement anti-populaire qui se refuse à l’auto-législation, à l’autonomie et à la souveraineté : surtout ne pas devenir un peuple!

Bon, et pourquoi des Riens, des hors-sujet de droit n’auraient plus l’idée de demander la sujétion normale, le droit à avoir des droits? Tout simplement, parce que le "pouvoir du peuple" est devenu haïssable. La haine de la démocratie est une bonne chose quand on aime la puissance démotique. 

Le Rien qui va au demos devient ce qu’il est : un Nihiliste. Donc, tout se passe comme si « la démotique » était sa puissance, même s’il ne sait pas ce qu’il peut. Au fond, ce Nihiliste attend de lui-même un miracle : ne pas être un homo furiosus, devenir un brave Collectif.

Si Nihilistes il y a dans notre société d’ordres, descendent-ils des aristocrates chers à Rousseau, du moins celui de la Sixième Lettre écrite de la montagne? Des Meilleurs, probes, expérimentés, éclairés?... Pas du tout, si on imagine une aristocratie comme la forme nouvelle du gouvernement des Riens restant Riens. Car que peut faire ce hors-peuple aristocratique, sinon des gurus au service de la société d’ordres? Il faut donc nommer ce brave Collectif par provision et par défaut Demos de populistes d’extrême-gauche - et lui appliquer les trois critères ontologiques : anti-élitisme sélectif, anti-pluralisme moralisateur, constructionnisme populaire.

Ce Demos prétend ne pas se soumettre à l’Ordre hiérarchique, aux Populaires qui méprisent les Riens depuis la nuit des temps populistes. Seul moyen efficace : ne plus être une Unité normative mais une Union ontologique. Problème : quantité de Riens restent Riens, si bien que perdure l’ordre établi. C’est dire que l’Union démotique deviendrait vite une caste qui se moque des castes, si elle oubliait de moraliser la pluralité populaire.

Ce Demos veut le bien et le voit même la nuit. Contrairement au Peuple de Macron, il ne manque pas de lumière noire. Car on ne peut ni le corrompre ni le tromper pour lui faire faire le bien des Riens. Le mal des Populaires est son affaire, ici et maintenant. Mais on a vu que le populisme d’extrême-centre était le moteur stabilisateur de la société macronique. En aiguisant les angoisses pré-conscientes (Liberté & Sécurité) et l’obsession manifeste du Toujours Plus, le populiste s’attache le Herrenvolk en marche. C’est bien le Ressentiment qui génère le mépris des Riens et crée l’envie d’être Investi. Il suffit donc d’obscurcir ce sentiment moral par le communat amoral.

Ce Demos ne construit pas l’union des Riens par homogénéité. Le communat ne participe pas d’une communauté à constituer, c’est une puissance "supplémentaire" qui n’est pas l’auteur de lois auxquelles les Riens se soumettraient, mais l’acteur qui impuissante lesdits Populaires. Par exemple en soutenant ce qui reste du cadre national comme des nomades qui refusent de bouger.

Satisfaire à trois critères ontologiques ne donne pas forcément une meilleure titulature - Demos de populistes nihilistes pourrait même rendre l’aventure trop aventurière. On essaiera donc l'aventure aventureuse de la démotique comme mode d’aménagement des rapports entre Nihilistes et Riens.

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