- Cette période qui s'ouvre au début de l'année 2023 est marquée par l'émergence de tous les paradoxes, des supercheries les plus grossières, des mystifications les plus outrancières. Tous les excès sont permis, toutes les allégations fallacieuses se déchaînent dans le camp des ultra-libéraux. L'occasion est trop belle pour se défaire définitivement des oripeaux de la solidarité, des derniers symboles de la justice sociale. Haro sur les services publics, la sécurité sociale, l'assurance-chômage, la retraite. Les piliers de notre République, pour la plupart hérités d'un compromis politique au service d'un contrat social consensuel, que l'on croyait éternels, immuables, au lendemain de la seconde guerre mondiale.
- Et pourtant, petit à petit, depuis plus de 30 ans, réforme après réforme, le camp du capital, du profit sans vergogne, de l'accumulation est en passe de réussir en France ce qu'il a déjà imposé dans une très grande majorité de pays riches ou moins riches. Il n'y a plus, il n'y a pas de place pour le progrès social, le partage, l'espoir, nous n'en n'avons plus les moyens. Ce constat, un aveu d'échec refoulé par les apologistes de l'argent roi, suggère immanquablement une nouvelle cure d'austérité, un nouveau tour de vis, pour sauver un système à bout de souffle.
- Afin d'assurer encore un peu plus longtemps les appétits et le train de vie des nantis de notre beau pays, les milliards d'argent public consentis à la solidarité devront encore davantage abonder les caisses des grandes entreprises afin de les aider à gagner des parts de marché, à amortir les aléas de la compétition mondiale et au passage à rassasier les « fidèles actionnaires ».
- Ce postulat au moins aussi daté que le règne du couple Thatcher/Reagan, pour les plus vieux d'entre nous, fait émerger sans trop d'artifices les limites d'un mode de pensée complètement dépassé, déconnecté des enjeux, des urgences qui se dressent devant nous. Mais ce camp croit toujours en sa capacité à imposer ses règles du jeu, sa religion, alors que les citoyen(ne)s dans leur grande majorité, face aux grands défis écologiques, attendent d'autres réponses, une contre-offensive sérieuse et déterminée.
- Alors qu'Emmanuel Macron et ses affidés font du délitement de la solidarité nationale (services publics, assurance chômage, retraite) le socle programmatique de ce nouveau quinquennat, les adaptations et les transformations que nous devons opérer afin de résister au mieux à la brutale mutation climatique que nous traversons, sont abandonnées, négligées dans le débat national. La priorité reste la même, réduire la dette publique, faire des économies, se battre pour notre compétitivité, comme si rien n'avait changé, comme si un péril bien plus inquiétant ne nous menaçait pas. On nous invite à nous projeter dans 30 ans et prendre les meilleures dispositions pour sauver nos retraites, mais dans quel état sera notre planète, l'humanité, si nous ne nous engageons pas vers des choix radicaux ? Des orientations radicales qui questionnent nos modes de production, de consommation, notre manière d'appréhender le rythme de nos existences futures. Des transitions, des transformations auxquelles ne pourra pas échapper la double problématique travail / retraite, non plus à partir de critères productivistes mais sous l'influence d'un impératif majeur d'équilibre et de modération.
- Aujourd'hui, c'est encore aux mêmes que l'on demande de faire des efforts, de faire preuve de "responsabilité" dans leurs revendications : les chômeurs, les salariés, les retraités. Sur les plateaux de télévision, afin de bien faire passer la pilule, les disciples de l'austérité libérale répètent à l'envie que la France est le pays du monde où les prélèvements obligatoires sont les plus élevés et que cela ne peut plus durer éternellement. Parallèlement, ils omettent de préciser que l'Etat Français, chaque année, alloue 150 milliards d'euros d'aides publiques aux grandes entreprises françaises. Ce qui fait de notre pays, de loin, celui qui distribue le plus d'argent public à ses grands groupes, beaucoup plus que l'Allemagne ou l'Italie. D'autre part, la France est aussi le pays européen où les grandes entreprises versent le plus de dividendes à leurs actionnaires (record absolu en 2022 : 81 milliards pour les seules entreprises du CAC 40). Les entreprises les plus subventionnées d'Europe / Les actionnaires les mieux rétribués d'Europe, vous saisissez la corrélation…..
- Bref, pour les indécrottables apôtres du Dieu « marché » qui va même réussir l'exploit de réguler le réchauffement climatique, ceci est un détail et la réalité est bien plus complexe que cela, comme nous l'assène chaque matin Dominique Seux, l'économiste en mission. Pour autant, 150 milliards, c'est pas « une paille » et cela mériterait que l'on se penche sur les effets produits en matière d'emplois, d'investissements, de salaires. Nous avons tous une petite idée sur la conclusion d'une hypothétique expertise.
- Parce qu'elles "le valent bien", les grandes entreprises françaises n'ont jamais été aussi bien dorlotées et tant pis pour la France qui se lève tôt, les sacrifié(e)s que l'on a applaudis sur nos balcons pendant la pandémie, les premiers de corvée. Mais comment rester de marbre face à la propagation d'une logorrhée gouvernementale aussi grossière, aussi impitoyable ? Il faut sans nul doute se retourner vers les temps reculés de la monarchie absolue pour observer un tel acharnement à l'encontre du "petit peuple des périphéries".
- Cette nouvelle réforme des retraites, la huitième en trente ans, après celles de l'assurance chômage, du RSA, du code du travail, de la sécurité sociale, avec l'effondrement de tous les services publics, est l'ultime bataille qui nous permettra de relever la tête et de briser cette funeste fatalité, d'évacuer ce sentiment persistant de la défaite sociale pour le camp "des travailleurs". Ce camp qui, sous les coups concertés des élites médiatiques et politiques en place, souffre de l'accablante image "de profiteurs", "de fraudeurs", "d'assistés". Mais n'en déplaise à Jean-Marc Daniel, à Dominique Seux et à bien d'autres adulateurs du "grand capital", les assistés ne sont pas ceux qu'ils s'évertuent à fustiger, à montrer du doigt mais bel et bien les grandes entreprises vers lesquelles l'Etat français déverse des tombereaux de subventions publiques sans aucune contrepartie. Les chiffres sont têtus et peuvent dévoiler un autre récit, une autre vérité. Une vérité pas facile à accepter par ceux qui font de la liberté d'entreprendre et d'exploiter un crédo absolu. L'amère confirmation que cette "puissante" organisation survit grâce aux subsides de l'Etat.
- Ne soyons pas trop médisants, Elisabeth Borne a dit que tous ces sacrifices "c'était pour notre bien, pour sauver notre système par répartition ", comme les sept réformes précédentes.
Jean-Guy Trintignac