jean-guy trintignac (avatar)

jean-guy trintignac

directeur d'école

Abonné·e de Mediapart

12 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 octobre 2023

jean-guy trintignac (avatar)

jean-guy trintignac

directeur d'école

Abonné·e de Mediapart

Pourquoi un débat sémantique aussi acharné pour qualifier l'horreur ?

Il m'a donc fallu patienter, écouter, soupeser, analyser, les interventions de nombreux(ses) observateur(rice)s sorties des canaux traditionnels mainstream pour remettre de l'ordre dans mes pensées tourmentées et commencer à construire mon propre récit.

jean-guy trintignac (avatar)

jean-guy trintignac

directeur d'école

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Terrorisme, crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocide : pourquoi un débat sémantique aussi acharné pour simplement qualifier l'horreur, la barbarie ?

Je me suis donné le temps de laisser retomber les poussières de l'émotion, de la colère, de l'indignation, pour rédiger ce billet qui m'est apparu comme nécessaire afin d'apaiser une douleur morale et presque physique qui m'oppresse depuis le 7 Octobre. Après l'effroi des horribles massacres perpétrés par les groupes armés du Hamas contre des civils israéliens, j'ai essayé de comprendre, de trouver une explication à ces actes barbares. Mais pour trouver des réponses à mon effarement, il fallait objectivement que je puisse bénéficier d'informations « indépendantes », « équilibrées », pour ne pas être embarqué malgré moi dans un récit présupposé, irréfutablement tranché dès les premières réactions, les premiers commentaires politiques et médiatiques. Or, je n'ai pas pu recueillir d'emblée ce « salut » qui m'aurait soustrait très vite de ce douloureux désarroi. Il m'a donc fallu patienter, écouter, soupeser, analyser, les interventions de nombreux(ses) observateur(rice)s sorties des canaux traditionnels mainstream pour remettre de l'ordre dans mes pensées tourmentées et commencer à construire mon propre récit, une synthèse de toutes ces expertises, de toutes ces expériences.

C'est alors que j'ai mesuré à quel point nous sommes aujourd'hui, mais cela s'est installé insidieusement depuis plusieurs années, assommés, manoeuvrés par une véritable « police de la pensée », dirigée aujourd'hui par le commandant en chef Darmanin abusant sans réserve de son armée de tweets furtifs et d'assignations. Pour lui et pour ses partenaires de la macronie, de la droite extrême, de l'extrême droite et même parfois chez certain(e)s étiqueté(e)s à gauche, quand on cherche à recontextualiser ce qu’il se passe, c’est assimilé à une apologie du terrorisme. D'où cette chasse aux sorcières menée depuis le 7 octobre contre celles et ceux qui ne veulent pas se conformer à la position « juste et raisonnable » de l'axe du bien contre l'axe du mal, de la défense de la liberté et des démocraties contre les « terroristes ». Cette atmosphère manichéiste qui neutralise notre liberté de penser est absolument insupportable. Il faut en sortir.

Ce tragique épisode que nous traversons, loin d'être terminé, dans le ressenti, les émotions, dans les éléments de langage utilisés par la plupart des médias, soulève un débat philosophique, psychanalytique, juridique, politique, lourd de conséquence.

Ce débat que je me suis efforcé de trancher dans mon fort intérieur, c'est terrible de ne pas pouvoir admettre, de ne pas pouvoir comprendre, je tiens ici à l'illustrer par des interventions de personnalités reconnues dans leur domaine de compétences (journalistes, sociologues, philosophes, universitaires, juristes, membres d'associations...) recueillies dans divers supports médiatiques. Ce sont des témoignages, des observations d'hommes et de femmes qui ne peuvent pas être qualifié(e)s « d'islamogauchistes », « d'apologistes du terrorisme ».

Ces analyses sont listées pêle-mêle en contrepoint de prises de positions politiques du gouvernement français ou de faits marquants qui ont structuré ces événements depuis le 7 octobre.

  • « Le gouvernement français exprime son soutien inconditionnel à Israël,  sa profonde solidarité face à l'horreur des attaques terroristes qui touchent le peuple israélien ». Communiqué de l'Elysée identique à celui du groupe des 5 dont fait partie la France avec les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie.

  • « Le texte du Statut de Rome de 1998 définit 4 crimes relevant de la cour pénale internationale : le crime d'agression, le crime de guerre, le crime contre l'humanité, le crime de génocide. Il n'y a pas de nuances dans les crimes commis. La cour pénale internationale ne définit pas de crime de terrorisme, celui-ci relevant du droit national ». Julia Grignon (spécialiste en droit international des droits de la personne et des réfugiés).

  • « Le terrorisme c'est une méthode qui est souvent utilisée aussi bien par un groupe, le Hamas, que par un état, Israël. C'est du terrorisme à partir du moment où cette méthode touche avant tout les civils ». Bertrand Badie (spécialiste de la sociologie des relations internationales).

  • « Contrairement à ce qu’on essaierait de nous faire croire, l’histoire n’a pas commencé et ne finira pas le 7 octobre, elle est le fruit d’une lâcheté vieille de 30 ans de la communauté internationale, de plus de 16 ans de blocus, de siège de Gaza, de l’échec des marches du retour pacifique de 2018 qui a abouti à des morts, et du processus électoral abandonné en 2021. » Bernard Heilbronn (président de l'association France Palestine).

  • « L’attaque [du 7 octobre] a relancé malgré tout la question de la Palestine sur la scène internationale. La lutte armée serait donc la seule perspective valable ? » Jean-Paul Chagnollaud (professeur des universités et spécialiste de relations internationales).

  • « Les massacres du 7 Octobre font appel à une émotion familière. Ce qui s’est passé en Israël, lors de l’attaque de la rave party, ça fait écho à ce qu’ont vécu les Français avec le Bataclan, alors que c’est un contexte différent. » Johann Soufi. ( ancien responsable du bureau juridique de l'ONU à Gaza)

  • « Le gouvernement israélien est le principal fossoyeur de l'autorité palestinienne. Israël se moque totalement des résolutions de l'ONU » Alexandra schwartzbrod ( directrice adjointe de la rédaction de Libération).

  • «  Le colonisé face au colonisateur sait que le seul moyen qui lui reste c'est de résister avec tous les moyens à sa portée. Comme en Afrique du Sud du temps de l'apartheid, comme en Algérie du temps de la lutte d'indépendance, comme au Vietnam pour ne citer que ceux là. La résistance désespérée du colonisé face au silence et l'entêtement du colonisateur et de ses soutiens, face à l'asymétrie de cette lutte d'indépendance, le colonisé passera toujours par des actes de désespoir quitte à choquer, quitte à passer pour un barbare ». Bertrand Badie .

  • « Ça ne me dérange pas d’utiliser, pour qualifier les actions du Hamas, le terme “terroriste”, mais d’une manière générique. En revanche, d’un point de vue juridique, je ne préfère pas utiliser ce terme, qui ne correspond pas à grand-chose au niveau du droit international humanitaire. Je ne comprends pas forcément la symbolique recherchée. Qu’est-ce que ça ajoute à la condamnation ? Pourquoi la reconnaissance du caractère terroriste de l’attaque du Hamas est-elle si importante pour toute une partie de la classe politique ? En quoi cette qualification serait elle plus grave que le crime contre l’humanité ou le crime de guerre ? Elle n'apporte rien de plus » Johann Soufi.

  • « Qu'on le veuille ou non, le Hamas a été élu démocratiquement. On ne demande pas aux palestiniens de commenter le choix de nos représentants politiques. D'autre part,

    le pire de l'antisémitisme serait d'encourager la riposte israélienne, d'intensifier l'opération de génocide contre les palestiniens. Ceci attesterait l'idée que les juifs, victimes d'un génocide, sont aujourd'hui coupables d'un autre génocide... » Michèle Sibony (ancienne présidente de l’Union juive française pour la paix UJFP).

  • « Le peuple israélien est un peuple malade, obsédé par sa supériorité et l'idée de contrôle sur les palestiniens, ses voisins arabes. Il faudrait être fou pour ne pas haïr du fond du cœur ce gouvernement Nétanyahou. Ce sont des idiots et des psychopathes. Comment peut-on parler de démocratie en Israël, alors que notre pays bafoue le droit international, occupe des territoires, a instauré une politique d'apartheid ? On a rendu Gaza monstrueux. Comment vivre enfermé dans un espace aussi déshumanisé sans devenir fou ? » Nadav Lapid (scénariste, réalisateur israélien).

  • « Malgré le flou de l’expression, les crimes des commandos du Hamas justifient qu’on parle de terrorisme, non seulement à propos des actions, mais à propos de l’organisation de résistance armée qui les planifie. Mais cela se passe parce que l’État d’Israël n’a jamais eu d’autre projet politique que l’anéantissement ou l’asservissement du peuple palestinien par différents moyens : déportation, expropriation, persécution, assassinats, incarcérations, apartheid. Terrorisme d'État. Et depuis qu’une droite raciste a pris les commandes, c’est purement et simplement de nettoyage ethnique qu’il s’agit. » Etienne Balibar (philosophe)

  • « La mouvance suprémaciste qui gouverne Israël avec Nétanyahou c'est celle qui a assassiné Rabin en 1995 et tout espoir de paix » Jean-Paul Chagnollaud.

  • « Le statuquo, l'écrasement des palestiniens ne pouvait pas durer éternellement. La communauté internationale pensait naïvement qu'on pouvait laisser Israël gérer tranquillement et définitivement la question palestinienne et passer à autre-chose ». Ronny Brauman (ancien dirigeant de Médecins Sans Frontières).

  • « Les accords Abraham en cours de concrétisation entre Israël et certains pays arabes (Maroc, Arabie Saoudite, Soudan, Emirats arabes) dédiés à la normalisation de leurs relations communes passaient par pertes et profits le sort des palestiniens ». Alexandra schwartzbrod.

  • « Après des décennies de négociations, de manifestations pacifiques, de recours auprès des instances internationales qui ont été autant d'espoirs déçus alors que la colonisation des territoires en Cisjordanie et le blocus de Gaza s'intensifiaient, quel

choix avons nous laissé au peuple palestinien pour faire entendre sa voix ? Même s'il

n'adhérait pas majoritairement à ses idées, le Hamas représentait le dernier refuge

pour résister encore. Des gazaouis que l'on traite comme du bétail et à qui l'on

demande pour plus d'un million d'entre eux d'évacuer leur lieu de vie pour être parqués dans le sud en 24 heures. Si le Hamas avait demandé aux 800 000 colons israéliens de quitter les territoires annexés de Cisjordanie, quelle aurait été la réaction de la communauté internationale ? » Omar Slaouti (Fondateur de la Campagne BDS pour le boycott des productions issues des colonies juives).

  • « Dans ce conflit jamais éteint, qui tourne depuis 75 ans autour de l'existence ou non d'un état palestinien, l'existence de l'état d'Israël n'étant nullement remise en cause, subsistent encore les traces de cultures hiérarchiques où on ne donne pas le même écho à des souffrances humaines identiques. Il y a des races supérieures et des races inférieures. » Bertrand Badie.

  • « Quand on voit ce qu’il a été possible de faire en Ukraine, et ce qui ne semble pas l’avoir été jusqu’à présent en Palestine, on ne peut que constater une différence dans la manière dont la justice internationale s’appliqueIl ne devrait pas y avoir deux poids, deux mesures. » Johann Soufi.

  • « Cette guerre s'installe aussi sur le terrain de l'information, de la propagande. Les interprétations sont en train de faire l'Histoire et on ne sait pas jusqu'où va aller cette Histoire ? Il faut marquer à tout prix l'opinion internationale. D'un côté on nous montre des tas de gravats et de blocs de béton pour illustrer les bombardements israéliens à Gaza, de l'autre on nous livre les images de cadavres dans des sacs poubelle pour exposer le massacre de juifs».Bertrand Badie

  • Selon le site « Arrêt sur images », un site web français d'analyse et de critique des médias, l'armée israélienne achète sur Youtube des espaces publicitaires pour diffuser ses clips de propagande, en violation des règles du média social. Elles dévoilent des images très crues de violences, des cadavres de bébés et de combattants en armes, et relayent des témoignages relatant les sévices corporels perpétrés par le Hamas, sur fond de musiques tristes. D’autres clips, au ton nettement plus martial et menaçant, promettent à ceux qui «s’en sont pris» à Israël qu’ils en «paieront le prix fort».

  • « Je trouve ce débat sémantique sur - terrorisme ou pas terrorisme- déshonorant, à la fois pour la France et Israël. Vu ce qu’il se passe sur place, le fait que ce qui occupe la vie politique française est de savoir si oui ou non ou peut qualifier ces actes de terroristes est désolant. » Julia Grignon.

  • « C'est triste de ramener ce conflit si tragique, qui touche tant de vies humaines, qui génère tant de souffrances des deux cotés, à un combat de basse politique ». Bertrand Badie.

Tous ces témoignages, ces paroles tirées d'interventions récentes, selon l'acception du ministre de l'intérieur français Gérald Darmanin, pourraient pour la plupart d'entre eux s'inscrire dans une forme « d'apologie du terrorisme » puisqu'ils remettent en cause une pensée dominante qui ne peut être discutée. Ce qu'il y a de plus navrant dans cette histoire c'est qu'une partie de plus en plus large de la gauche française, de Cazeneuve à Ruffin désormais, à des degrés différents tout de même, se range derrière cette injonction ou tout du moins ne la conteste pas d'une manière très offensive, frontale. Ceci, semble t'il pour quelques un(e)s d'entre elles-eux, ne pas insulter l'avenir et solder son capital de « présidentiable ».

Cette « police de la pensée » ne tombe pas du ciel. Rappelons nous de la question des violences policières envers les gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites, les mégabassines, les émeutes urbaines après l'assassinat du jeune Nahel. Il était interdit d'évoquer l'idée même de « violences policières ».

Comme le dit très sagement Bertrand Badie « Cette police de la pensée ne pourra pas apaiser les cœurs et les esprits en invoquant un fatras de notions creuses et de slogans hétérogènes tels que : expliquer c'est excuser, islamo gauchisme, wokisme ».

Ce deux poids deux mesures, largement répandu dans le traitement médiatique des événements, la parole politique, dans lequel on veut nous confiner avec détermination, réduit au silence tout discours qui voudrait exprimer une solidarité avec le peuple palestinien et s’inquiéterait de son sort actuel. Il tend à légitimer la criminalisation de tout soutien à la défense de ses droits démocratiques. A travers ce combat là, c'est aussi notre liberté d'expression que nous défendons.

Jean-Guy Trintignac

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.