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Billet de blog 3 mars 2014

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L'Ukraine, point de vue d'un paysan du Danube

La polémique sur Mediapart au sujet de l'Ukraine me divertit (les noms d'oiseaux sont parfois bien trouvés et bien tournés) et me chagrine. J'y vois, oserai-je le dire? , l'influence pernicieuse d'Internet: une humanité sans mémoire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La polémique sur Mediapart au sujet de l'Ukraine me divertit (les noms d'oiseaux sont parfois bien trouvés et bien tournés) et me chagrine. J'y vois, oserai-je le dire? , l'influence pernicieuse d'Internet: une humanité sans mémoire. La fonction créant l'organe, lorsqu'on dispose d'une "mémoire" mécanique, à quoi bon exercer la mémoire charnelle? Evidemment, c'est un piège.

S'il est à mes yeux une leçon à retenir, c'est celle-ci: l'humain ayant mentalement peu évolué depuis l'apparition d'homo sapiens sapiens, chaque "cause" engendre toujours ou à peu près les mêmes "effets". L'humain réagit de manière sensiblement uniforme aux "situations" comparables.

Que s'est-il donc passé au juste en Ukraine? D'abord, ce qui s'est passé en Russie sous l'ère Eltsine: l'accaparement de richesses par des oligarques (souvent issus de la nomenklatura soviétique) . Une guerre de clans pour savoir qui serait le plus à même de "têter la vache à lait". Correctif immédiat et nécessaire: c'est une tendance mondiale. Avec des méthodes différentes selon les pays, c'est ce à quoi nous assistons partout ou presque. Rien donc, que de très normal selon Bruxelles, Londres et Wall Street.

Ensuite, et c'est là l'important, la conjugaison de DEUX constats faits par les Ukrainiens eux-mêmes, qui ne sont pas si ignorants qu'on le croit (à lire les uns et les autres) de ce qui se passe dans le monde.

1) la révolte Tunisienne. La preuve qu'un peuple peut se soulever et chasser des dirigeants autoritaires et corrompus.

2) les faillites grecque et chypriote. La corruption de ces deux "démocraties" n'est plus à démontrer, et la manière dont ont été traitées ces deux Nations (distinction: le peuple = la Nation; les dirigeants et l'administration = l'Etat, ne pas confondre) est.... édifiante.

L'objectif général des manifestants était, je pense, de "bouter hors" les mafieux-oligarques-poltiCHiens, mais SANS être traités comme le furent les Grecs ou les Chypriotes. Des efforts, oui, être tondus non.

Problème: comme en Belgique l'Ukraine est "duale": plutôt "russophile" à l'Est, plutôt "polonophile" (pas vraiment europhile) à l'Ouest. Je parle ici de majorités relatives dans les populations, pas "d'homogénéité" absolue. Plutôt Catholique à l'Ouest (Uniates), plutôt Orthodoxe Russe à l'Est. Et les "tensions" sont analogues à celles qui se font jour en Belgique avec l'ombre de la partition planant là dessus.

Ianoukovitch enfui, surgissent brusquement sur la scène médiatique des formations d'extrême droite Svoboda, Pravyi Sektior. Ce qui, avouons le fait mauvais genre. Très gênants, ces nervis nazifiants, surtout lorsqu'ils accèdent aux postes de commande (7 sur 21, dont évidemment l'Intérieur et la Défense si je ne m'abuse). Et c'est là qu'il convient de s'arrêter et de réfléchir avant des dire des couenneries.

Là encore, que s'est-il passé? Oh! le mécanisme est relativement simple. Les manifestants de Maïdan étaient une foule, donc sans but précis à part un vague objectif général de destitution du Président en place (qui fleurait bon le stalinien bon teint). De plus, ils étaient assez inorganisés, dans la pure tradition "Makhno", anarchistes, quoi: ils faisaient de l'anarchie sans le savoir. Mêlés à eux, DEUX types de groupes organisés:

- ceux soutenus par des ONG et PEUT ETRE par des groupes issus de Washington (pas vraiment sûr, ça) les "polonohiles" ou europhiles.

- et les fameux groupes d'extrême droite.

Les uns pour "la démocratie" à l'occidentale, le rattachement à l'Europe (sous tutelle polonaise, il faut le rappeler); les autres pour une Ukraine "indépendante", une Grande Ukraine si vous soulez.

Je n'esquive pas la connotation nazie de Svoboda et de Pravyi Sektior. Mais c'est plus compliqué qu'il n'y paraît. Comme les Serbes se disaient "Cetniks", ils se disent "Banderisti": deux mouvements faisant référence à la Seconde Guerre Mondiale. Les Cetniks serbes, furent des résistants non communistes qui menèrent une guerre à la fois anti-allemande et anti-communiste; ils furent écrasés. Les Banderisti furent un mouvement indépendantiste ukrainien, d'abord lié aux Allemands, puis résistants; comme les Cetniks, anti-allemands et anticommunistes, ils furent écrasés (cela dura jusqu'en 1951 quand même). A noter: comme certains Ukrainiens, les Oustachis Croates et DES Bosniaques se rangèrent aux côtés de l'Allemagne; Ukrainiens et Bosniaques formèrent des Divisions SS, et le rôkle de CERTAINS Ukrainiens dans l'Holocauste n'est plus à démontrer. C'est dire que tout cela est compliqué, et qu'il faut se garder de généraliser.

Bref, une fois Ianoukovitch "dégagé", les groupes organisés n'avaient plus qu'à prendre en mains la foule manifestant à Maïdan. Et ce furent les mieux structurés et les plus déterminés qui réussirent à "infliltrer" puis à entrer dans les instances dirigeantes, parce qu'au rebours de la foule, ils savaient exactement ce qu'ils voulaient. Comme les Bolcheviks en 1917, comme... les Gaullistes en Alger en 1958.

"Et voilà mon cher pourquoi votre fille pisse des gouttes" (Molière, le Vilain Mire).

Cette tentative d'explication, évidemment, ne résout rien. "L'avenir n'est écrit nulle part" comme disait feu Michel Prince Poniatowsky (tiens!). De toute manière, pour les prochains mois, il s'annonce bien sombre pour les Ukrainiens; et l'évolution de la Tunisie, et de l'Egypte, pour ne rien dire de la Libye (disparue des écrans radar, celle-là) doit les faire énormément réfléchir. "Déjà Ioulia perçait sous Timochenko", pardon M. Hugo, je n'ai pas pu résister.

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