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Billet de blog 4 mars 2014

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Ukraine: Eurusa vs Rusoviet

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je crois qu'il est important maintenant, d'essayer de faire le tri dans les monceaux de communiqués partiels et d'articles médiatiques.

Une évidence s'impose, très dérangeante: apparemment en quelques 20 ans les Blocs du début de la Guerre Froide se sont reconstitués, le mot-clé étant "apparemment". Car il y a une différence énorme: le "glacis" du Pacte de Varsovie a disparu.

Européens et Chinois sont pour l'heure des "seconds couteaux", peu pressés d'en découdre, et donc "la main" est aux USA et à la Russie, deux impérialismes très inégaux. Il serait intéressant d'essayer de déger ce qui anime ces deux puissances, au-delà du fatras des groupes dirigeants avoués ou occultes. Essayer de voir pourquoi les peuples de ces deux puissances soutiennent (plus ou moins, il n'y a pas unanimité, d'ailleurs il n'y en a presque jamais) leurs dirigeants.

L'impérialisme US.

Il est de fraîche date: fin du XIXe siècle. La psychologie US est dominée par un trait fondamental: la plupart des immigrants fuyaient l'Europe, "terre d'iniquités sans nombre": fugitifs politiques (Trotsky travailla bien pour l'industrie du cinéma aux USA), en grand nombre poussés par la misère ou les persécutions, les Etasuniens, c'est le moins qu'on puisse dire, ne voulaient plus entendre parler du Vieux Continent.

Pour M. Bonnet, si d'aventure il lit ça: eh oui! Etasuniens. Les Canadiens, les Mexicains, les Honduriens, lers Brésiliens, enfin toutes les Nations, les peuples qui vivent sur ces deux continents sont "Américains". Dit-on "je suis Français" ou "je suis Européen"? La nuance est importante.

Assez richement dotés en ressources, les Etasuniens du XIXe siècle, tout à leur "Go West, young man", à la mise en valeur de cette vaste terre, ne voulaient surtout pas être mêlés aux éternels  conflits européens. Le peuple Etasunien est fondamentalement isolationniste. La guerre contre le Mexique ne fut nulle part vilipendée avec autant de virulence qu'aux USA: les européens avaient l'habitude de ce genre de rapine, les Etasuniens ne voulaient pas que cela se produise chez eux. Mais bon, le Texas, le Nouveau Mexque permettaient de rallier rapidement la Californie (elle aussi soustraite aux Mexicains).

La querelle Nord-Sud aux USA, datant des années 1830, donna quelques idées aux gentlemen du Sud, inquiets de l'expansion du Nord. Le Nord industriel, ouvert de plus sur un Midwest très prometteur, dépassait largement du point de vue démographique et économique le Sud agricole... et esclavagiste. La tentation existait d'étendre le Sud en direction des Caraïbes et de l'Amérique Centrale: tentative avortée d'envahir le Nicaragua, et surtout Guerre Hispano-Américaine (je cède à la tradition...)  dont la perle était Cuba, qui devint "une colonie" en tout sauf le nom. Mais, je le répète, non sans rencontrer une très forte réprobation dans TOUS les USA.

Note: la singulière explosion (accidentelle) du croiseur Maine en rade de La Havane présentée par la presse Hearst comme un sabotage, fut un des facteurs déclenchants de cette guerre. L'envoyé spécial de la presse Hearst pour "les troubles" (bien réels) à cuba, déclarant qu'il ne voyait pas de "guerre", Hearst en personne répondit "Fournissez reportage, nous fournissons guerre"; authentique. Et à méditer. La "cause morale" était trouvée...

Les Philippines,  Hawaï et une poussière d'îles dans le Pacifique tombèrent comme par magie dans l'escarcelle de Washington, par inadvertance pour ainsi dire. Et Washington usa sans vergoggne de la formule préférée des européens "c'est pour leur bien ,pour les faire accéder à la démocratie et à la modernité". En fait, peu d'Etasuniens étaient et sont colonialistes: l'Histoire est là pour leur rappeler douloureusement leur passé de "Colonies". Et d'ailleurs les Philippines se virent assez vite promettre l'indépendance.....

Cet impérialisme-contre-leur-gré semble même avoir renforcé l'isolationnisme des citoyens des USA au début du XXe siècle. Seuls s'y intéressaient vraiment certains trusts agro-alimentaires; et même pas les militaires, vous trouverez facilement les commentaires cinglants et sarcastiques du General de Marines Smedley sur sa carrière entre les eeux Guerres Mondiales.

Bref, à l'orée du XXe siècle, les USA "the land of plenty", la "terre d'opportunité" étaient assez heureux dans un isolement non pas "splendide" mais confortable. Enfin, en surface... Mais ce n'est pas le lieu ici de décortiquer cet aspect.

Et puis éclata 1914.... Une fois de plus, le Vieux Continent cédait à ses démons millénaires. Et très vite faisait appel à l'Oncle Sam; d'abord pour trouver de l'argent. France et Angleterre, pourtant les deux premiers créanciers de la planète, étaient dès 1915 aux abois. Explication facile: les débiteurs, pas fous, gelèrent leurs remboursements "jusqu'à la fin des hostilités". L'argent était dehors.. et ne rentrerait pas. L'Allemagne Wilhelmienne commit alors une erreur stratégique de débutant; grâce à son excellent Nachrichtendienst (service de renseignement), elle n'ignorait rien des engagements énormes réclamés par les Alliés. La logique eût voulu qu'elle contracte des engagements similaires, pour éviter que la peur de perdre leurs créances n'incline les banquiers US à "pencher" en faveur de ces Alliés. Elle n'en fit rien, ou presque, et ce qui devait arriver arriva: en 1917 les USA entraient en guerre contre l'Entente.

Cette entrée en guerre fut précédée d'une tentative de médiation du Président Woodrow Wilson, sous la forme d'un questionnaire en 16 points pour tenterde conclure une "paix blanche". La "cause morale", là encore, était rouvée: forts de leurs positions quasi-imprenables par les seuls Alliés en France et en Belgique les Allemands ne répondirent pas, ou très mal. Ils se désignaient par là même comme les "méchants" et l'Entente comme l'Axe du Mal.

Note: attention! je ne veux ni interpréter ni refaire l'Histoire. La Première Guerre Mondiale fut un suicide collectif de l'Europe dû principalement.... à la bêtise et à la pusillanimité des dirigeants du temps. La "responsabilité" dans ce conflit est collective.

Bref les "Sammies" vinrent tirer les Alliés d'un sacré guêpier, au prix de lourdes pertes (proportionnellement à leur temps de participation aux combats). Ils les avaient "sauvés" avec des prêts et des facilités dè 1916, ils venaient le fusil à la main les sauver une deuxième fois en 1917. C'était une "première" pour les USA.

C'était surtout une première qui leur ouvrit les yeux sur une évidence qui leur avait échappé jusque là: les européens étaienet en déclin, ils avaient passé leur apogée. Ils avaient beau avoir des Empires colossaux (l'Allemagne aussi en avait un en Afrique dans le Pacifique, et jusqu'en Chine), ils ne faisaient plus le poids face aux USA. Et ça, c'était vraiment nouveau pour eux: eux, les "colonials", les "petits cousins" qu'on aimait bien, mais qu'on regardait de haut, avaient dépassé en taille les européens!

Le rêve de Woodrow Wilson, la SDN, pour la prévention des conflits, n'était pas si idiot que ça; il plaçait Washington exactement dans la position de Bismarck dans les années 1870-1890: le médiateur international idéal, l'Honest Broker, capable, grâce à son isolement d'influencer les puissances européennes, de présider à la Paix en quelque sorte. Ce qui convenait très bien au type de Christianisme en vogue chez les Wasp du temps. Las, le Congrès fit capoter le rêve; surtout lorsqu'il vit (le Congrès) se dérouler les tractations du Traité de Versailles et les suivants: une Paix Carthaginoise, des exigences draconiennes qui laissaient présager une reprise rapide des hostilités. Plutôt qu'être partie prenante dans ce marigot, même au titre d'arbitre, le Congrès et avec lui le peuple, préférèrent retourner vers leur isolationnisme confortable.

Puis ce fut l'entre-deux-guerres, que l'on nomma ainsi après évidemment. Du point de vue de l'Etasunien de la rue, l'Europe une fois de plus se couvrait de nuages noirs.... et rouges. Mussolini? "Fasciste", ouais, mais avant la guerre il était un des théoriciens du socialisme. Ailleurs ce n'était guère mieux: l'Europe était dirigée progressivement par une floppée de généraux, maréchaux et amiraux. En vrac Primo de Riveira en Espagne, puis Franco, Horthy en Hongrie, Pilsudski puis Rydz-Smigli en Pologne, Mannerheim en Finlande, Antonescu en roumanie, Metaxas en Grèce, et j'en oublie. Et puis, il y avait la jeune URSS "patrie du socialisme".

Il faut bien voir que "peste brune, noire ou rouge" c'était tout un vu de Washington: des régimes menaçant la démocratie US, fondée comme la Britannique sur les classes moyennes et le capitalisme. Il n'y avait pas UNE menace, il y en avait DEUX, nazis et fascistes d'un côté et soviétiques et communistes de l'autre ce qui fait beaucoup, convenons-en. Et tout cela, comme par hasard en Europe. Décidément, le Vieux Continent avait pêté les plombs; ou, plus simplement était frappé de démence sénile. Et il n'y avait pas à choisir: il fallait éliminer les DEUX menaces. Quasi impossible à faire simultanément.

D'autant qu'il y avait aussi ces Nippons remuants, agresseurs en Chine. Là aussi, Washington était bien renseigné: le 4e Marines était en poste en Chine et rapportait de première main la brutalité des Japonais qui ne faiasient d'ailleurs pas mystère de leurs ambitions: la Grande Asie sous obédience de Tokyo.

Miracle! Le 22 Juin 1941 l'Allemagne envahit l'URSS! Jeu triangulaire (démocratie vs Fascisme-Nazisme et aussi vs Communisme-Soviétisme) facilement réduit à jeu "à deux", les dictatures se sautant à la gorge. L'alliance de revers avec l'URSS s'imposait d'elle-même.

Euh... pas très facile quand même: bien que favorable à l'Angleterre, "l'autre démocratie", l'opinion publique était restée farouchement isolationniste. Aller encore se fourrer dans le guêpier européen? "Thanks but NO thanks" et donc l'aide matérielle à l'Angleterre puis à l'URSS fut une pillule assez difficile à faire passer. Coup de génie: le "Prêt-Bail", "je prête à mon voisin ma lance d'arrosage" du pur Roosevelt!

Et, deuxième miracle: trois jours après Pearl Harbor, Berlin déclare la Guerre aux USA. Si! Si! En vertu des traités signés avec Tokyo, Hitler se sentit "obligé" de se joindre aux Japonais! On reste éberlué devant une telle ânerie: si le peuple US, outré par l'aggression de Pearl Harbor approuva comme un seul homme la déclaration de guerre contre le Japon, pendant les trois jours fatidiques, il restait farouchement opposé à une entrée en guerre en Europe. Hitler balaya cet isolationnisme là avec son pas de clerc.

Et à la fin de cette Deuxième Guerre Mondiale, les USA se retrouvent soudain "seule puissance mondiale avec l'URSS". L'Europe est à plat, ses défaites en rafale d'un bout à l'autre du monde l'ont laissée exsangue. elle va, c'est inévitable, perdre ses empires coloniaux. Elle est hors d'état de combattre qui que ce soit pour longtemps.

Et voilà donc Washington propulsé, presque sans l'avoir voulu, "leader du Monde Libre". Je dis "presque" car les Yankees sont loin d'être idiots et ils se sont bien rendu compte, dès 1943, de l'état de faiblesse de leurs alliés. Restait quand même l'URSS avec à sa tête Staline.

Staline, le dernier Tsar. Acharné à reconstituer, et si possible agrandir l'Empire qui avait volé aux quatre vents en 1917. Staline, le grand vainqueur de l'Allemagne Nazie, le fameux Second Front n'étant qu'un appoint destiné à distraire des Divisions de la Wehrmacht.

Staline qui saisit l'occasion dès 1944 de s'assurer un "glacis" protecteur à l'Ouest (l'Europe de l'Est pour nous) pour prémunir l'URSS contre une "seconde invasion", celle-là par les démocraties occidentales. Paranoïa? Pas tant que ça: Patton parlait de "rentrer dans le lard des Bolcheviques", dans la foulée pour ainsi dire. et ce qu'il disait tout haut, beaucoup d'autres le pensaient tout bas. L'OSS recrutait des Allemands à tour de bras, peu regardante sur leur passé récent: être anticommuniste suffisait. Ne nous trompons pas: la présence bien réelle de très forts mouvements communistes de Résistance armés en France, Italie, la yougoslavie communiste dès la Libération, la Guerre Civile en Grèce, contre les communistes justement, tout cela donnait à réfléchir aux stratèges des deux "démocraties bourgeoises", le Royaume Uni et les USA.

Et, une fois n'est pas coutume, malgré les dépenses vertigineuses, colossales de la guerre, les USA émergent en pleine vigueur économique. Mieux: par les accords de Bretton Woods (1944) le Dollar est devenu la monnaie des échanges internationaux. Hormis l'URSS, nous sommes en 1945-46, les USA sont virtuellement les maîtres du Monde. "Officiellement" sans l'avoir voulu, sans l'avoir cherché. Ils deviennent le "centre du monde" économique de ce que l'on appellera l'Ouest mais aussi dans le Tiers Monde.

En Europe, nous avons oublié cette période: 1944-1966 (début de la Guerre du Vietnam) pendant laquelle les USA, avec leur auréole de libérateurs étaient devenus en fait "l'Empire du Milieu" du monde non directement soumis à l'URSS. Cette période où, précisément, naît et se développe en profondeur dans le peuple US la notion "d'Empire". Un Empire bienveillant, en quelque sorte bénévole, face à la menace de "la Force"; j'emploie à dessein cette expression tirée de "La guerre des Etoiles" car l'URSS est à cette époque l'équivalent de l'Empire de cette saga: une force maléfique, mais en même temps irrésistible. Et s'instille progressivement cette idée d'une "mission" qui est de libérer l'humanité de cette force démoniaque tapie à Moscou. C'est le point de vue US, pas de blagues, hein?

Pour la combattre, il faut être là où elle attaque, c'est-à-dire partout. L'URSS soutenant les luttes anti-coloniales, "évidemment" Washington va aider les anticommunistes. Qu'ils soient colonisateurs (la France en Indochine) ou tyrans (les diverses dictatures centre et sud-américaines, diverses monarchies du Moyen Orient, Synghman Rhee en Corée du Sud entre autres) importe peu: le "pragmatisme" qui a conduit à l'embauche d'Allemands pas très clairs prévaut là encore: c'est pour le Bien.

Terminer le tableau: évidemment, le commerçant suit de près le missionnaire, qui suit lui-même le militaire. C'est le B-A BA de l'Empire, de la colonisation. Combattre pour la liberté coûte les yeux de la tête; l'avidité des businessmen US se justifie après tout... là encore, c'est le point de vue de Washington, pas le mien.

Et c'est ainsi que pour défendre la liberté, Washington a essayé de "gober" le monde entier. Forcément, les hommes étant ce qu'ils sont, il y aura toujours des libertés à défendre. Surtout si rôde un Ogre qui ne rêve que d'agression. Sur cette dernière phrase, Washington ne pouvait pas se tromper davantage.

A suivre

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