Jean HUCK

Abonné·e de Mediapart

65 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 septembre 2013

Jean HUCK

Abonné·e de Mediapart

Pour changer: éléments de stratégie

Jean HUCK

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'on a beaucoup daubé sur le "devoir de vacances" imposé par M. Hollande à ses ministres: "La France en 2025". C'est pourtant le seul geste "présidentiel" dont j'aie eu connaissance, car cela pouvait devenir le premier pas vers une réflexion stratégique concernant notre pays dans le cadre européen et mondial.

Contrairement à ce que beaucoup croient, la réflexion stratégique se situe (en principe) bien en amont des évènements et des décisions qu'ils entraînent. Et les études stratégiques portent le plus souvent sur des sujets apparemment très prosaïques: productions, amtières premières, transports, etc....

Un exemple, puis un contre-exemple vont peut-être réussir à éclairer un propos que je crains confus:

- "War Plan Orange"

A l'issue de la guerre Russo-Japonaise (1904-1905) les Etats Unis prirent conscience de la montée en puissance de l'Empire Japonais.

Theodor Roosevelt, l'oncle (ou le cousin, je ne sais plus) de Franklin, profita de son rôle d'intermédiaire entre Moscou et Tokyo pour passer un "gentleman agreement" avec les Japonais (bien oublié par les historiens actuels) limitant non seulement l'immigration de citoyens Japonais, mais aussi les exportations japonaises aux Etats Unis: la dynamique industrielle nippone taillait déjà des croupières à l'industrie US, dans les années 1900.....

Les USA avaient récemment acquis Hawaï (1893), puis les Philippines (1898), suite à la guerre hispano-américaine. Ils devenaient ainsi une puissance du Pacifique, concurrente directe non seulement des puissances européennes, mais aussi du Japon. C'était le premier pas important de Washington en dehors de la sphère définie par la Doctrine de Monroe (sphère d'influence: les deux Amériques avec interdiction à toute puissance tierce d'y intervenir).

En 1910, l'Etat Major de la US Navy entreprit les études, routinièrement de son ressort, envisageant un conflit dans le Pacifique avec le Japon. Je vous passe les détails (passionnants) des controverses qui agitèrent la Navy au suejt de ce War Plan, qui ne fut finalisé qu'en 1935. Il était très imparfait, ignorant en particulier le role clé des porte avions, et conservant la doctrine surannée considérant le cruirassé comme le "capital ship" dans une guerre navale. Mais stratégiquement, dès les premières années, ce War Plan décrivait avec une précision quasi-hallucinante les grandes lignes de ce que fut la Guerre du Pacifique. 1910......

- contre-exemple: la bévue de Herr Hitler

Lorsque le Caporal Autrichien se voit confier, du bout des lèvres par un Président Hindenburg qui le méprise, la poste de Chancelier, la Reichswehr, l'Armée de la République de Weimar, est un croupion de poulet déplumé: 100 000 hommes, quasi sans avions, sans artillerie, sans navires non plus. Le premier soin du revanchard de 14-18 est de reconstituer une Armée, une Aviation et une Marine dignes de ce nom.

Pas de blague, hein? c'est n'est PAS un "miracle hitlérien": dès 1919, des officiers de la défunte Armée Impériale ont planché en secret sur les matériels du futur. Non seulement QUOI produire, mais COMMENT: usines, matières premières, etc... Sur le papier, tout est prêt pour reconstituer les forces armées du Reich, sauf.... que ça prend du temps. Il faut tester les matériels, les mettre en service, entraîner les hommes, prévoir les pièces détachées pour réparer.

Bref, le Grand Quartier Général a fait ses calculs et donne son verdict: "PAS de guerre avant 1943, fin 1942 au plus tôt", parce qu'il est hors de question que la Wehrmacht (au fait cela veut dire "Force de Défense"...) soit prête avant, tant au niveau des quantités requises de matériels que de l'entraînement des unités.

Au passage, cela explique ce que les historiens parlant après coup ont considéré comme un "inadmissible laissez-aller" des Etats Majors des Alliés Franco-Britanniques. Renseignés par leurs Services Secrets (efficaces quoi qu'on en ait dit) sur l'appréciation "rien avant 1943" de leurs homologues allemands, ils pensaient avoir le temps de " faire monter en puissance" leurs forces armées, et de définir des doctrines d'emploi "modernes".D'où l'incroyable lenteur dans l'équipement des Armées, les querrelles byzantines sur l'emploi des blindés, sur le bombardier vs le chasseur, etc...

Quand l'épreuve viendra, 1938 la crise des Sudètes, ils verront que les retards accumulés lors des cinq années écoulées à la fois sur le plan matériel et sur le plan de tactiques d'emploi  par rapport à la Wehrmacht interdisent de montrer les dents: la victoire n'était plus du tout assurée en cas de conflit. Ils voudront rattrapper ce retard en "forçant les feux".... trop tard.

La capitulation de Munich devait coûter la victoire aux Nazis quelques années plus tard. Je m'avance un peu, RIEN ne m'assure qu'en cas de conflit à partir de 1943, les Alliés, ou l'Union Soviétique n'(aureient pas rattrappé leur retard TECHNIQUE sur la Wehrmacht. Sa victoire, inattendue, entraîna Hitler à faire les deux faux pas qui devaient entraîner sa chute:

- l'annexion de ce qui restait de Tchécoslovaquie en Mars 1939 qui mit Chamberlain en fureur.

- la crise de Dantzig à l'été 1939, qui devait déboucher sur la Guerre avec la Pologne.

Chamberlain suite au "coup de Prague" version hitlérienne, avait proposé une alliance à la Pologne. Stratégiquement, une absurdité, suspendue à une offensive française pour soulager les Polonais, que les Français n'envisageaient que du bout des lèvres.

Cela ne fit même pas frémir Berlin: les "vermisseaux" de 1938 ne s'étaient pas subitement transformés en lions, ils ne bougeraient pas; ils agiteraient leurs petits bras, pousseraient des petits cris, et s'arrêteraient là. De plus, son Ministre des Affaires Etrangères, von Ribbentrop qui se croyait un fin connaisseur de l'Angleterre, l'avait assuré que tout ce qui comptait à Londres était contre la guerre. Comme l'Autriche, comme la Tchécoslovaquie, la Pologne serait une promenade militaire... un peu plus "musclée" cette fois. Mais sans danger à l'Ouest.

Certains historiens ont relaté la stupeur de Hitler lorsque l'Angleterre puis la France déclarèrent la guerre à l'Allemagne le 3 Septembre 1939. On a la scène terrible où un Hitler à la fois décomposé et furieux interpelle von Ribbentrop avec un "Was nun?" rageur "Et maintenant?"

Je pense que Hitler ne s'attendait pas à une guerre majeure en 1939. La Wehrmacht n'avait pas achevé sa mobilisation complète: matériels et entraînement. Elle entra en guerre complètement déficiente en engins mécanisés de transport, et seulement 10% de ses unités étaient blindées et/ou mécanisées. Elle ne rattrappa jamais ce retard, en particulier dans le domaine trivial du transport, ce qui lui fut fatal en Russie.

Ces deux exemples historiques (et récents) montrent une évidence: la conduite d'un pays exige pour la paix comme pour la guerre des perspectives longues d'au minimum minimorum 15 ans.

A contrario, lorsqu'un Etat fait un mouvement de quelque nature que ce soit qui s'inscrit dans un ensemble logique, il y a gros à parier que ce mouvement a été préparé depuis au moins dix ans.

Les fameux "Pentagon Papers" sur la Guerre US du Vietnam montrent que les études commencèrent dès 1945; pour mémoire l'intervention US débuta en 1965... 20 ans plus tard.

La morale de cette histoire: en cas d'évenement surprenant, il ne faut jamais s'attarder sur "le détonateur", mais chercher les causes de l'explosion. Gavrilo Prinzip fut le détonateur dela Guerre de 14-18, mais les causes étaient ailleurs.

Idem pour l'Irak

Idem pour la Libye.

Idem pour le Mali.

Idem pour la Syrie.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.