La Realpolitik naît avec l'humanité, mais se confond pour nous, Européens, avec la politique d'Otto von Bismarck. C'est dire si, en France, elle a mauvaise presse. Des "penseurs" qui n'ont étudié que les quatrièmes de couverture l'ont qualifiée de "cynisme" voire de "veulerie.
Rien n'est plus éloigné de la réalité.
Le "maître", Otto von Bismarck, est dévoré d'UNE ambition: être Premier Ministre de Prusse. Contrairement à l'iconographie répandue en France, ce n'est PAS un militaire. Etudiant, il a fait son année règlementaire en tant qu'Aspirant: il hait et méprise les militaires. Sa carrière est celle d'un DIPLOMATE: Saint Petersbourg, Paris. C'est un Casanova, qui séduit toutes les femmes, et qui est fêté en société pour son agréable compagnie..... Autre atout: il écrit dans un Allemand admirable, d'une limpidité, d'une fluidité sans pareilles.
Les années 1830-1850 sont celles d'un bouillonnement dans ce qui reste LES Allemagnes: une collection à la Prévert de Duchés, Grands Duchés, Principautés, Royaumes, sans compter les villes libres et les Princes-Evêques. Fatigués d'être les paillassons de toutes les armées d'Europe, les Allemands veulent une Allemagne unifiée.
Bismarck forme alors un projet: l'unité allemande, oui, mais sous la direction de la Prusse dont il sert le Roi.
Il y a un obstacle de taille à cette ambition: le géant Autrichien. La Prusse est un petit pays, assez pauvre, relativement peu peuplé. Si l'Autriche se joint au jeu de l'unification, il est évident qu'elle en prendra la tête. Bismarck va s'employer à empêcher cela.
Son projet, c'est David contre Goliath, la Prusse étant David.
Et la Realpolitik c'est cela: la politique du faible au fort, dans laquelle le faible entend vaincre le fort.
N'importe quel livre d'Histoire un peu sérieux vous exposera comment il a réussi. Intrigues, tours de passe passe, alliances "de revers", toute la panoplie y est.
Mais ce qu'il y a de plus surprenant, ce en quoi ce Chancelier de Fer est vraiment grand, c'est qu'une fois le Reich proclamé, une fois son Roi devenu Kaiser und König, Empereur et Roi, il ARRETE TOUT. Il décrète que l'Allemagne (sans l'Autriche) née à Versailles est REPUE: il lui faut maintenant digérer sa "conquête", le Reich. Et ce va-t'enguerre (pour nous Français) devient l'architecte d'une "Pax Europeana" qu'il portera à bout de bras une vingtaine d'années durant. Son triomphe: l'Alliance des Trois Empereurs, le Russe, l'Autrichien et l'Allemand, qui assure une ère sans conflit majeur durable. Hélas, la mort de son Roi amène sur le trône un agité: Guillaume II, lequel se débarrasera de lui et défera son "tricot" européen avec les conséquences que l'on sait.
Un successeur de Bismarck sera Charles De Gaulle, militaire lui, vaguement Maurassien (il s'en détachera vite) obsédé non par Napoléon, mais par Louis XIV: la France mère des arts, des armes et des lois. Il tombe mal: sortie vainqueur de la Guerre de 14-18, celle-ci est épuisée, vidée de sa substance et n'est déjà plus, malgré les apparences, qu'une puissance de second ordre.
Cette évidence, De Gaulle la refuse de toutes ses forces. son objectif est de rétablir la grandeur de la France dans le concert des Nations. Officier, il cherche les moyens de la puissance et prône donc l'emploi du char de combat; ce qui déplaît fortement en haut lieu, et le fait presque mettre sur une voie de garage.
Après une belle coduite à Montcornet en Juin 40, il s'évade de France lors de la défaite et fonde la France Libre. C'est là, précisément que Charles De Gaulle rejoint Otto von Bismarck: il va se révéler diplomate hors pair, et homme d'Etat tout à la fois.
Car ce Général de Division "à titre provisoire", ex-Secréatire d'Etat à la Guerre, n'a pratiqument personne, pratiquement rien pour "faire entendre la voixc de la France". Les Hollandais, les Norvégiens, ont leur souverain à Londres, et quelques hommes d'Etat, quelques soldats. Des membres du gouvernement Belge aussi sont à Londres, de même que des Polonais (dont les soldats forment le plus gros contin,gents de "Forces Libres"). De Gaulle, lui, est bien seul, entouré d'une maigre cohorte.
Et cela continuera jusqu'en 1944, où enfin les Forces Françaises Libres redeviendront les forces Françaises tout court grâce à une mobilisation qui reste un modèle du genre. Ceci n'est PAS pour déprécier les Forces Françaises ayant combattu du côté Allié dès 1941: elles ont sauve l'HONNEUR perdu de notre pays. A partir de fin 1942, l'Armée d'Afrique rentre elle aussi dans la guerre, et prend part avec distinction aux opérations.
Mais là n'est pas le problème.
Le problème est qu'aux yeux des "Grands", principalement des USA, la France n'est plus qu'un "pion", un lieu géographique: en tant qu'Etat, elle n'existe plus. D'ailleurs, jusqu'au débarquement en Afrique du Nord (voir épisode Darlan), Vichy "est" la France pour Washington.
Selon le principe du "need to know" US, De Gaulle (que Roosevelt tient pour un "fasciste"!) n'a pas été prévenu du débarquement en Afrique du Nord, et il faudra toute l'affection de Churchill pour son "frère en esprit" pour lui permettre de gagner Alger. LE favori des Américains, après l'assassinat de Darlan, c'est... Honoré Giraud!
Anecdote: Honoré Giraud est un bouillant Général qui, en Juin 40, court la campagne en voiture pour rallier ses troupes. Dans un village, il fonce à la Mairie, saute de voiture, gravit quatre à quatre les marches du perron et apostrophe les officiers présents "Qu'est-ce que c'est que ce foutoir? Des sentinelles qui ne présentent pas les armes! Un poste de commandement en plein désordre!..." Un des officers se met au garde-à-vous "Pardon, mon Général, ici c'est un poste de commandement ALLEMAND" C'est ainsi qu'il fut capturé.....
De Gaulle ne sera prévenu que très tard du débarquement en Normandie. La IIe D.B. ne devait débarquer que fin Juillet d'ailleurs, un élément comme un autre d'une armée d'invasion, subordonnée au Commandement US.
Et pour cause: les U.S.A. ont benoîtement préparé le gouvernement direct des pays "libérés": l'AMGOT (Allied Military Government of Occupied Territories). Je n'invente rien, et vous avez bien lu: OCCUPIED, pas "LIBERATED".... ils ont même préparé une "monnaie d'occupation". A part des auxiliares recrutés sur place pour l'administration, le "plan" US ne prévoit PAS de Gouvernement Français: à la place de l'Oberbefehlsaber Allemand, il y aura un "Military Governor" Allié, pardon! US..... Tout simplement.
Et c'est là, précisément, que De Gaulle se révèle un GRAND homme: en position d'infériorité dans tous les domaines, il va ARRACHER à Washington la prééminence du Gouvernement Provisoire de la République Française. Et ça, mes amis, c'est de la Realpolitik à l'état pur. Souvenez-vous: du faible au fort.
Ce Gouvernement Français, grâce au retour en force de l'Armée Française dans les derniers mois de la guerre, nous rapportera une place à la table des négociations, enfin... un strapontin. Washington tolère, par la force des choses, un Empire Anglo-Saxon (same civilisation, same culture, and all that), mais il ne va certaienement pas accepter un Empire Français. A quatre (USA, URSS, Grande Bretagne, Chine Nationaliste) on joue au poker, à cinq, c'est le foutoir....
De Gaulle va rééditer cet exploit après 1958: la France, défaite en 40 (ça restera encore longtemps accroché à nos basques), défaite en Indochine, "presque" défaite en Algérie n'est décidément plus "une puissance". Bismarckien jusqu'au bout, par un rapprochement avec l'URSS, par la sortie du Commandement de l'OTAN, et par l'expulsion des bases étrangères de notre sol, il redonnera pour un temps à notre "cher et vieux pays" "une voix dans le monde" qui n'apparaisse pas inféodée aux Superpuissances. Ce qui est un exploit.
Voilà, la messe est dite.
Mais quelle utilité présente donc ce rappel? Nous, citoyens d'Europe et citoyens Français, sommes confrontés à la même situation à laquelle furent confrontés ces deux hommes: nous sommes faibles, "ils" sont forts. Il est peut-être temps de regarder ailleurs que dans les schémas traditionnels (mouvements politiques, grêves, manifestations) pour mener le combat. Car c'est un combat, ne nous y trompons pas: "ils" ne lacheront pas leurs privilèges de bon coeuret, pour l'instant, "ils" ont la force avec eux.
Mais le judo apprend à utiliser la force de l'adversaire pour le faire chuter: c'est ça, la Realpolitik que j'évoque.
Rassurez-vous: les instruments de leur chute sont là; il suffit de savoir regarder pour les trouver.