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Billet de blog 8 septembre 2013

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Irzk, Libye, Syrie: les raisons de la "passe de trois" (2)

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Personne n'aime être "tenu" par autrui, les états pas plus que les individus. La diversification des alliances, des ressources, des revenus, est une préoccupation constante. Entrent en jeu souvent d'autres facteurs que les froids calculs "logiques".

Saddam Hussein, par exemple, fut déchu de son rang de "bouclier arabe contre le péril Perse" dès la fin de la guerre Iran-Irak. Auparavant choyé, aidé, abreuvé de crédits et largement pourvu en armements divers, dont des gaz de combat, il se vit du jour au lendemain sommé de rembourser ses dettes. Impossible: l'Irak sortait ruiné de cette guerre.

Et jusqu'à sa mort, le boucher de Bagdad jura que Mme l'Ambassadeur (oui, et non "Ambassadrice"; Ambassadeur est une fonction, et non un qualificatif, donc neutre) lui avait clairement laissé entendre que le Koweït ne faisait pas partie des préoccupations de Washington, ce qu'il interpréta comme un feu vert. J'imagine sans mal sa fureur devant les discours sanctimonieux de George Bush Sr (qui entre parenthèses fut directeur de la CIA avant sa carrière politique...).

L'échec, prévisible, de son aventure koweïtienne pouvait l'inciter à chercher des contacts ailleurs, qui lui eussent permis de desserrer l'étau de la coalition. Ce qui explique l'embargo US, notamment sur le pétrole, seule source de revenus appréciable de l'Irak, et son maintien au-delà de toute raison et j'ajouterai au-delà de toute humanité. Car un seul "client tiers" potentiel existait à l'époque: la Chine qui opérait alors sa métamorphose.

C'est pour parer à ce danger potentiel, mais hélas pour eux bien réel, que le Pentagone et le Département d'Etat conçurent à tout hasard des plans d'élimination de Saddam et de son régime. Et c'est pourquoi l'équipe Bush Jr insista tellement pour régler son compte à l'Irak en profitant de l'indignation générale suscitée par les évènements du 11 septembre 2001. "Posséder le pétrole", de facto sinon de jure n'était pas l'objectif principal: empêcher la Chine d'en acheter une partie l'était.

Le lien posté dans le commentaire deYT75 dans la 1ère partie est un élément fondamental, qui illustre la recherche tous azimuts de la Chine pour s'approvisionner en or noir, et les méthodes originales par lesquelles elle y parvient. Approvisionnempents auxquels il faut ajouter ceux éventuels procurés par la diaspora sous formes "d'investissements privés" de firmes officiellement non rattachées à Beijing. J'insiste lourdement: il y a "la Chine" officielle, continentale et ses excroissances économico-étatiques dans le monde, et la "Chine invisible" des diasporas est au moins aussi importante économiquement.

Les juteux contrats de "reconstruction" de l'Irak étaient le prix à payer pour le soutien sans faille des néocons US à cette stratégie géopolitique.

Mouammar Kahafi posait un autre problème, un problème en quelque sorte bicéphale.

- Ses ventes de pétrole lui assuraient une indépendance quasi-absolue sur le plan géostratégique. Ses foucades militaro-terroristes mises à part, il ne présentait guère de danger pour les Occidentaux jusqu'au jour où il s'aperçut que cet argent pouvait être bien plus efficace que des fusils. Les dernières années de Kadhafi virent des avancées significatives de Tripoli en Afrique.

D'une part, sous forme de prêts préférentiels, quand ce n'était pas de dons purs et simples, Tripoli s'en vint piétiner allègrement les plates-bandes post-coloniales de l'Occident. Il n'y a pas que la Françafrique, l'Anglafrique est une réalité bien solide, malgré les apparences. et se dessinait depuis quelques années une Usafrique. La politique de Tripoli venait mettre à mal la stratégie de prêts irremboursables mise au point chez les Occidentaux pour tenir l'Afrique sub-saharienne.

Bien que "revenu en grâce" et "pardonné pour ses péchés", Mouammar Kadhafi commit un faux pas grave qui devait amener sa perte: la proposition d'une "monnaie commune" africaine, le Dinar-Or, gagée sur les revenus pétroliers. Cette proposition fut accueillie très favorablement par l'ensemble de la communauté africaine, dont quelques pays étaient gros producteurs de pétrole. Comme pour le Yuan chinois, cette monnaie venait entamer les positions non seulement du Dollar US, mais aussi de l'Euro qui auraient vu se rétrécir leur champ d'action comme monnaies d'échanges internationaux.

La goutte d'eau fut l'accord prévu entre la Chine et la Libye sur l'exploitation de nouveaux gisements, et des ventes préférentielles. Passe encore le Dinar-Or: une bonne crise financière bien menée en serait venue à bout. Mais ouvrir un canal pétrolier supplémentaire à la Chine menaçait directement les "intérêts vitaux" des USA et par ricochet de l'Europe. et ce fut le concert de vociférations contre "le dictateur" ..... et les pluies de bombes.

La Syrie Ba'assiste, "soeur" de l'Irak Ba'attiste de Saddam Hussein, produisait un peu de pétrole... jusqu'à très récemment. Elle était, elle est encore pour quelques temps, la dernière représentante du "socialisme arabe" à connotation nationaliste inauguré par Gamal Abd El Nasser. Comme pour l'Irak sous Saddam, et la Libye sous Kadhafi, elle est dirigée par une minorité, les Alaouites, secte Chi'ite.

Le régime inauguré par Haffez El Assad, père de l'actuel dictateur, était une "dictature dure", dont la férocité découlait simplement de la position minoritaire des "cadres alaouites" inféodés au pouvoir, et pour cause. A la différence de Saddam et de Kadhafi, rien, aucune rente ne permettait, ne permet aujourd'hui (mais peut-être pas demain) aux Assad de déverser comme le firent les deux autres dictateurs, des bienfaits bien réels sur les populations (du moins sur les populations soumises...).

La Syrie est alliée à la fois à la Russie (depuis le temps de feu l'URSS) par son côté "socialiste" et à l'Iran par le caractère Chi'ite de ses dirigeants. La Russie et l'Iran sont deux importants producteurs de pétrole, la Russie tirant même de ses ventes de pétrole et de gaz de quoi restaurer sa puissance évanouie en 1990 (par les conseils vénéneux des "experts" US disent les Moscovites). Fournissant des armes, des conseillers, ces deux pays, dont l'un est officiellement antagoniste des USA depuis 1979, et l'autre "redevenant" antagoniste après la catastrophique lune de miel sous Eltsine, ces deux puissances tentent de contrer les projets occidentaux concernant l'acheminement du gaz et du pétrole du Kazakhstan vers la Turquie (en contournant les réseaux existants contrôlés par Moscou). Mais surtout, surtout, un "axe" Moscou-Téhéran-Beijing se dessine nettement depuis le Consensus de Shanghaï. Se dessine alors un "croissant" comportant encore des hiatus, partant d'Asie Centrale, vers la Méditerrannée d'une part, de du Caucase vers Beijing d'autre: l'ancienne Route de la Soie en somme.

Pour tout étudiant en géopolitique, le bloc Russie-Chine-Iran a de quoi inquiéter: il recouvre une grande partie du Heartland cher à Mackinder. Et qui tient le Heartland physiquement, tient le monde.... du moins en principe.

La menace est bien réelle, même si elle n'est pas encore manifestée: l'Iran peut effectivement bloquer le Détroit d'Ormuz à volonté.

Ce qui explique la frénésie US pour s'assurer quoiqu'il arrive du pétrole d'Asie Centrale. Le premier essai a raté: les négociations pour un pipe-line traversant l'Afghanistan et aboutissant directement dans l'Océan Indien, ont raté, les Taliban s'étant ravisés. Le deuxième essai est en cours: acheminer le pétrole soit vers la Mer Noire, soit directement en Méditerrannée. Pour "ne pas manquer de pétrole" en cas de crise? Sans doute; mais plus immédiatement: pour empêcher l'Asie Centrale de se tourner vers Beijing pour vendre son gaz et son pétrole, faute de pouvoir le faire avec l'Ouest. Car pour vendre ces produits, il faut qu'ils soient transportés vers les pays acheteurs. Et pourl'instant Moscou, avec ses pipelines, tient la vanne entre ses mains.

La goutte d'eau est évidemment la découverte récente (???) de gaz et de pétrole en quantités importantes à la fois sur le territoire Syrien (le Golan appartient toujours de jure à la Syrie, aucun traité de paix avec Israel n'ayant eu lieu) et au large des côtes syriennes.

L'affaire libyenne ayant rapporté de très substantielles "miettes" à Total, je cois (peut-être me trompais-je) que c'est un des ressorts de la position de M. Hollande: l'imbroglio libyen (en train de tourner au chaos) a ouvert une porte pétrolière. Un imbroglio syrien a des chances de faire de même, d'autant que les forages en mer promettent une empoignade homérique entre les pays riverains et leurs "droits de zones économiques". Sacrée théorie du chaos.....

Cela explique la "prudence" des Etats de l'UE face aux menaces Franco-US: le bien-fondé d'une intervention n'apparaît pas aveuglant, et les dommages collatéraux aux relations avec le monde Arabe seraient graves et pérennes.

Cela explique aussi en partie la position d'Israel en la matière: la Syrie est son plus ancien et son plus dangereux ennemi; son armée est entraînée, ses armements récents et elle sait s'en servir. De plus, le gisement du Golan serait en mesure de combler une part non négligeable du déficit endémique de l'économie israélienne.

SI la manoeuvre contre la Syrie réussit, cela affaiblira considérablement l'influence Iranienne dans la région, supprimera la base de Tartous pour l'Eskadra Russe, et peut dans un avenir plus ou moins lointain aboutir au frationnement de toute la région (à l'exception d'Israel, de l'Iran et de la Turquie "ethniquement" assez homogènes) en micro-Etats à bases ethniques et confessionnelles, dressés les uns contre les autres par des haines ancestrales (à l'instar des Balkans) et donc facilement "gendarmables" et inoffensifs somme toute.

SI.........

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