Ah! l'Afrique, l'Afrique! Quelle couenneries ne profère-t-on pas en son nom? Moi le premier, d'ailleurs, rassurez vous. L'intervention au Mali m'a fait réagir; et puis, à la réflexion, de fil en aiguille, les diverses zones de conflit, d'instabilité se sont rappelées à mon bon souvenir. Et peu à peu s'est précisé un panorama familier: cette image, je la connais..... Mais c'est bien sûr! alors voilà:
Nous sommes dans un domaine peu familier, celui des constantes de la pensée humaine; celui dans lequel les humains PENSENT le monde; celui de la division sociale du monde. Les Africains ne sont ni moins, ni plus intelligents que le reste des humains. j'ose: ce sont des humains "normaux", où l'on rencontre des génies, des intelligences brillantes, et à l'autre bout du spectre, des abrutis, des sociopathes, etc...
Comme tous les humains, les Africains sont tributaires de la géographie. Ce sont le climat, la faune et la flore locales qui déterminent la vitesse de sédimentation des sociétés humaines. A ce sujet, voir Jared Diamond "Guns, germs and steel" qui explique de façon lumineuse l'impact de ces contraintes. En gros la vitesse de sédimentation, de l'organisation sociale des groupes humains, dépend à la fois de la nature des flores et des faunes locales, et de la possibilité de propagation des améliorations, des "inventions".
Surgit l'évidence si énorme qu'elle échappe à l'attention. Regardons une carte du monde: deux masses continentales orientées Nord-Sud: les Amériques et l'Afrique; une masse orientée Est-Ouest, l'Eurasie. Au début de l'ère "humaine", invention de l'agriculture, domestication des animaux, le seul moyen de propagation rapide des trouvailles est géographique: l'acclimatation. Et lorsque la masse continentale est Est-Ouest, ces "trouvailles" peuvent migrer selon les parallèles; des climats VOISINS qui accélèrent la vitesse de propagation. C'est pourquoi votre fille est muette, pardon! c'est pourquoi l'Eurasie s'est "civilisée" plus vite que les Amériques ou l'Afrique. Rappelons que "civilisé" vient de "civis", la ville, la cité qui dépend directement des ressources environnantes.
Alors que l'Eurasie, de proche en proche, se "civilisait", se couvrait de villes par augmentation des disponibilités alimentaires, sur de grandes surfaces assez rapidement, les deux autres masses continentales devaient affronter des variations climatiques Nord-Sud beaucoup plus importantes, donc se "civilisaient" beaucoup plus lentement.
Deuxième facteur fondamental: le cycle d'organisation sociale. Ce cycle m'apparaît comme une constante, analogue à la conception, la gestation, puis la vie d'un être humain. C'est un cycle soumis au temps selon des règles quasi immuables, avec toutefois des degrés de liberté. Un enfant naît environ neuf mois après sa conception, il passe par divers stades: enfance, puberté, adolescence, âge adulte, vieillesse et décès. Jusqu'à l'âge adulte, c'est cycles ont une durée fixe, plus ou moins. Ce n'est qu'à partir de l'âge adulte qu'ils peuvent varier en durée.
Il en va de même, à mon sens, pour l'organisation sociale des groupes humains, à la différence près que la durée des étapes est étroitement corrélée avec les conditions climatiques et géographiques.
Si l'on prend comme mesure "l'Histoire longue", dont l'unité serait le millénaire par exemple, que constatons nous? Que la "puissance" qui encore à l'orée du XXe siècle dominait le monde, l'Europe, était passée par plusieurs phases distinctes d'organisation sociale: féodalité, royaumes, empires. Par "féodalité", il faut entendre l'éparpillement des aires géographiques en pouvoirs locaux, souvent absolus; les Royaumes sont l'étape de soumission de ces Barons souvent pillards à un pouvoir central, l'Etat. Et les "Etats", les machines militaires et administratives au service d'UN monarque, ont fini par créer les Nations, et pas l'inverse: les Nations n'ont jamais créé d'Etat.
L'Afrique d'ujourd'hui peut se comparer dans son organisation sociale à l'Europe du Ve siècle, après l'effondrement de l'Empire Romain. Des régions découpées selon les vues administratives de l'occupant, sans grands liens sociaux entre elles. Et les "vues administratives" de l'Empire suivaient la logique de l'aisance, du confort de l'administration plutôt que la réalité sociologique. Les soldats romains sont partis, mais les habitudes administratives sont restées: des Etats sans grande homogénéité sociologique, infectés par l'idéologie dominante du XIXe siècle, l'Etat-Nation ethniquement homogène, ou à forte majorité ethnique.
Il n'est pas le lieu ici de retracer l'Histoire de l'Europe et de montrer la corrélation avec l'Afrique. MAIS de même que l'évolution sociale des peuples d'Europe, AVANT la conquête Romaine, a été "gelée" par la Pax Romana, de même l'évolution des sociétés africaines a été "gelée" par la colonisation européenne. De même aussi, les divisions administratives romaines ont subisté longtemps après la disparition des Légions, ce qui est le cas actuellement pour l'Afrique. ET les interventions "de pacification" en périphérie n'ont pas manqué lors de la décadence de l'Empire Romain.
Nous parlons ici de MENTALITES, d'habitudes du corps social, et non "d'avancement" supposé de l'intelligence des choses. L'Histoire de l'Europe nous montre à quel point peut être lente la diffusion des "idées nouvelles"; nous en avons aujourd'hui des exemples frappants au sein même de notre "Chrétienté" si "supérieure" avec les fondamentalistes, les intégristes de tous poils qui s'agitent au sein de nos sociétés en voie de laïcisation, ou plutôt d'indifférence religieuse.
L'Afrique, SOCIALEMENT, en tant que "sociétés constituées", me semble donc au stade même où était la Gaule après la disparition de l'Empire: divisée en cadres administratifs ne correspondant pas à la réalité humaine. Avec le handicap supplémentaire du spectre de "l'Etat-Nation ethniquement homogène". L'inexorable logique de l'évolution des sociétés humaines m'incline à entrevoir la mutation à venir:
- une réorganisation des aires géographiques des Etats. Cette nécessaire transgression du dogme de "linviolabilité des frontières" me semble la condition indispensable pour l'étape suivante.
- l'effacement des "baronnies" au profit d'Etats plus efficaces parce que (plus ou moins) plus "homogènes". Ce qui n'effacera pas hélas l'oppression locale de minorités, mais la réduira de manière sensible.
- suivie d'une période (peut-être évitable) de "guerres nationales" pour parvenir, comme en Europe, à une certaine stabilité de la carte de géographie politique de ce continent.
Pour l'heure, ce continent, outre les Armées étrangères, est parcouru de long en large par l'équivalent des Grandes Compagnies, avec le cortège de malheurs que l'on sait. Je ne peux que souhaiter que cette période de malheur soit la plus courte possible. Les Africains ont l'intelligence nécessaire, et même souvent au-delà, pour raccourcir cette période PAR EUX MEMES. Et, comme le Mali ces jours-ci, s'ils ont besoin d'un coup de main ponctuel, ils n'ont pas mais alors PAS besoin de tuteurs permanents. Un tuteur, c'est pour les inacapables, et les Africains ne sont PAS incapables. Il leur faut du temps, c'est tout.