J'ai rêvé mon pays, la France. Ce rêve a été suscité puis nourri par (sans doute) les derniers "hussards noirs de la République".
J'ai cru en eux, sans voir -sans doute étais-je trop jeune - que ce dont ils parlaient était un idéal encore loin d'être atteint. J'ai cru, vraiment cru, que nous Français, n'étions pas racistes, que "notre" colonisation n'était pas aussi horrible que celle des autres. J'ai cru en l'humanisme de mes compatriotes.
Comme tout jeune rat, vous savez, celui de La Fontaine "qui cherche à se donner carrière", je ne me suis pas étonné des guerres menées en Indochine, puis en Algérie: eh quoi! ils sont sous l'aile protectrice de la Patrie Des Droits de l'Homme et ils se rebellent? Sus!
J'aurais dû m'étonner. En classe, çà et là, il y avait des jeunes "d'ailleurs", que nous ne considérions pas comme étrangers: eh! c'étaient nos copains! Et ils n'étaient pas plus bêtes que nous. C'est ce qui aurait dû me mettre la puce à l'oreille: si les fils étaient "bien", les pères et les mères devaient l'être aussi. Alors, pourquoi se rebellaient-ils?
Et pourquoi tous ces Communistes? Que reprochaient-ils à notre société?
Bon, j'avais 11 ans lors de Dien Bien Phu, 13 ans lors de Suez et 14 ans lors de Palestro; je n'avais pas tous les éléments pour comprendre. Je faisais confiance à "mes maîtres", c'est ainsi qu'on appelait les instituteurs, et eux faisaient profil bas. Ils sortaient de la guerre, l'un d'eux avait passé presque cinq ans dans un stalag, un autre avait rejoint le maquis.Ils auraient pu parler, mais non. Pourquoi?
Ces questions je me les suis vraiment posées vingt ans après. Trop tard.
Le réveil a été douloureux. Traumatisé par l'Algérie, l'exil des Pieds Noirs (on oublie souvent que cet exil, ce sont les pauvres qui l'ont subi, les riches étaient partis depuis longtemps), la tragédie des harkis, j'ai essayé de comprendre. Ce que j'ai trouvé m'a stupéfié.
La France de mon enfance, celle de l'immédiate après-guerre n'était pas, n'avait pratiquement jamais été celle de la Résistance. La France de mon enfance, c'était Vichy lavé de tout soupçon. On fusilla à la va-vite quelques figures de proue, mais surtout des lampistes et dès 49, les tribunaux "comprenaient". Mais pire encore, c'était la France des B.O.F., du "Bon Beurre" si cruel à lire.
Vichy, c'était l'Empire, "la place éminente de la France dans le monde" justement par cet Empire. Et les gouvernements successifs de la IVe, qui faisaient ressembler ceux de la IIIe à des modèles de stabilité, adhérèrent tous, sans exception, à cet article de foi, et je dis bien "foi". Il était donc "naturel" que les rebelles soient matés, amenés à récipiscence comme naguère Abd El Kader ou Abd El Krim. Et que tout redevienne "comme avant".
J'ai découvert une France horrible, la sorcière de Blanche Neige, cette reine qui se voulait "la plus belle de toutes", pour laquelle aucune vilenie, aucune trahison n'était de trop.
Et puis, il y eut la deuxième "divine surprise"; après le Maréchal adulé au-delà de toute raison, le Général devant qui tous se prosternaient. Charles De Gaulle, il est vrai, avait en partie sauvé l'honneur; il avait aussi parrainé le Projet du C.N.R. C'était un grand homme. Un grand homme qui avait compris en particulier que garder l'Empire, c'était signer l'arrêt de mort de la France. Les répressions féroces et pas seulement en Indochine ou en Algérie, mais à Madagascar, en Afrique Française avaient creusé des abîmes de haine qui ne se refermeraient pas en cinq générations.
Mais hélas, De Gaulle n'était que De Gaulle; il était bien seul. Car certes quelques résistants l'avaient rejoint, mais LA MASSE des "gaullistes" deuxième manière était quasiment la même que celle qui s'était agglutinée autour de Philippe Pétain. Et il lui fallut faire avec. L'impulsion donnée à l'industrie lui valut de forts soutiens qui ne l'enchantaient guère. Et lorsqu'il s'avisa de vouloir réformer les collectivités territoriales (excellentes vaches à lait) et dissoudre le Sénat (excellent bouclier pour les affairistes), on le jeta dehors.
Lui parti, ses successeurs renouèrent avec délices avec une "politique de l'Empire" qui ne disait pas son nom: ce fut la Françafrique. Tétanisés par "la menace soviétique" (s'ils avaient su! dans le même temps l'URSS était tétanisée par une invasion de l'OTAN!) ils décrétèrent que seul "l'American way of life", ou quelque chose d'approchant c'est à dire une société de l'abondance pouvait les sauver, et accessoirement sauver la France.
L'American way of life, dans les années 70, c'était déjà le crédit à la consommation. Mais pour que ça fonctionne en France, encore fallait il "armer" les banques. Qu'à cela ne tienne! Obligation d'avoir un compte en banque pour être payé, fusion banques d'affaires-banque spéculatives (dites "d'affaires) et pour couronner le tout, interdiction pour l'Etat d'emprunter ailleurs que sur les marchés. Et hop! tournez manèges!
Le crédit à la consommation suscite la concurrence de l'offre: LE PRIX DE VENTE. C'était l'heure du "pas 10 francs, pas 8 francs, pas 6 francs, pas 5 francs: non! 4,95!". Pour cela, il fallait de la main d'oeuvre pas chère, pour la "reconstruction" aussi d'ailleurs. Et "tout naturellement", au lieu de former des ouvriers vraiment qualifiés, on se rappela nos chères "colonies". Un des patrons du CNPF (j'ai oublié le nom de cette ordure) dira "dans les annés 60, nous importions 60 000 ouvriers par an". IMPORTIONS!!!!! On importe des marchandises, pas des êtres humains. Et c'était ça le patron des patrons: du Bousquet dans le texte.
La guerre d'Algérie, il est vrai, a laissé des traces profondes, dont la méfiance à l'égard "des Arabes". Ce n'est pas d'hier qu'on parle de "terrorisme", de "terrorisme aveugle". Pendant ces huit années, la presse française étalait à la Une les "actes terroristes" du FLN, s'étendait complaisamment sur les atrocités commises, se gardant "par pudeur" de parler de NOS crimes de guerre.
"La crise" dure pour le Français lambda depuis 1972. Les quelques embellies notées n'ont pas profité à l'ensemble de la population: le pouvoir d'achat s'échine en vain à "rattraper" la hausse des prix. Il n'en faut pas plus pour susciter la xénophobie des classes pauvres: l'étranger vole le pain des Français. Sentiment entretenu par les fils et petits-fils de Vichystes pour qui "l'indigène" restera à jamais inférieur. Ce qu'ils ne deisent pas tout haut (sauf entre eux) c'est qu'ils méprisent tout autant LE PAUVRE.
Ce n'est pas "ma" France, ce ne le sera jamais. Au soir de ma vie, je dois bien me l'avouer: j'ai été cocufié. Monumentalement.
"Qui sait si le soldat qui dort sous l'arche immense n'est pas ce Maghrébin (ou Africain, ou Asiatique) devenu Fils de France non par le sang reçu, mais par le sang versé"
Voilà la France que je souhaite à mes enfants.
Bonsoir. JH.